Avant même de tomber enceinte, je m’étais vaguement intéressée au concept des maisons de naissance. Je n’ai jamais particulièrement apprécié le milieu médical, et je ne m’y sentais pas du tout à l’aise, ni rassurée.
Ce fut donc une évidence de me tourner vers la seule Maison de Naissance disponible dans cette grande ville de Suisse lorsque j’ai appris ma grossesse. La gynécologue qui me suivait essayait de me décourager et surtout, culpabilisait mon mari qui n’était pas franchement rassuré par mon choix au début. Il faut dire qu’il n’a jamais connu de grossesses physiologiques dans sa famille et aurait au début préféré m’aliter sous monitoring pour les prochains 9 mois … Maintenant, c’est un défenseur des Maisons de Naissance.
Dès le début du suivi, je n’ai pas du tout apprécié l’attitude de ma gynécologue. Elle était constamment à la recherche de pathologies, de choses qui lui confirmait que la grossesse était « à problèmes ». Face à mon refus de faire une prise de sang mensuelle pour vérifier la toxoplasmose (contre laquelle je n’étais pas immunisée), elle n’a pas hésité de me qualifier d’irresponsable – bien que je lui expliquais que cette pratique n’était plus conseillé depuis des années par l’office fédéral de santé, car le traitement prévu en cas d’infection n’a jamais prouvé une quelconque efficacité …
Elle n’a clairement pas appréciée mon attitude critique et informée, et lors de mon annonce que le suivi allait dorénavant se faire par ma sage-femme, qui lui transmettrait tous les résultat et m’adresserait vers elle uniquement en cas de complications, elle m’a tout bonnement mise à la porte. Ceci, ce fut lors de la première échographie, à 12 semaines de grossesse.
Je vous laisse imaginer les discussions avec mon mari qui ont suivi … il était présent ce jour-là, et m’a même sermonnée d’arrêter de remettre en question l’autorité médicale.
Je n’ai pas fléchi. Mon corps, mon accouchement. Je sentais très précisément ce qui était bon pour moi, j’étais confiante et détendue, et ce n’était certainement pas un suivi alarmiste qu’il me fallait.
Au fil des rendez-vous avec ma sage-femme, celle qui dirigeait la Maison de Naissance, mon mari prenait confiance. Elle était douce, calme, faisait un minimum d’interventions et travaillait surtout en prévention. Je me suis sentie très en sécurité tout le long.
Elle m’a annoncé à un moment donné que le bébé se trouvait bien la tête en bas mais « un peu vrillé, rien d’inquiétant ». Elle a alors copieusement évité de me parler de « position postérieure » sachant pertinemment que j’allais me renseigner sur le sujet et probablement angoisser. Par contre, elle m’a prescrit des exercices de position à prendre tous les jours pendant au moins 20 minutes les derniers semaines, afin que bébé « apprenne à se tourner pour faciliter sa sortie ».
Le seul moment de stress de ma grossesse, une fois suivie par cette sage-femme, était le dépassement du terme. Dans cette ville, il était tout bonnement légalement interdit d’accoucher en Maison de Naissance 10 jours après le terme (40 + 10 au maximum) et j’aurais été d’office provoquée dans la mégastructure hospitalière de la place. Après plusieurs tentatives toutes douces de mettre les choses en marche (promenades, faire l’amour, bain chaud, nettoyer les vitres, faire des escaliers,…) sans succès, ma sage-femme m’a envoyé en centre spécialisé d’échographie pour vérifier que tout était en ordre, puis m’a transmise sa recette pour un cocktail sans alcool, sensé aider aux contractions.
Une heure après avoir ingéré la dernière goutte de celui-ci, des toutes petites contractions se faisaient ressentir. Je me suis isolée, et j’ai même envoyé mon mari qui doutait que CE jour était LE jour, faire une ballade, afin de pouvoir me construire ma bulle et accueillir sans aucune distraction ces contractions. Comment je voulais qu’elles deviennent plus fortes, pour rencontrer notre bébé!
Trois heures après, les contractions devenaient plus régulières et fortes, et n’ont pas fléchi lorsque j’ai pris un bain chaud, comme me l’avait recommandé la sage-femme lors de l’entretien téléphonique quelques minutes auparavant. Nous nous sommes donc préparés et finalement arrivés à 22 heures à la Maison de Naissance. Le trajet ne fut pas sympathique, les virages font mauvais ménage avec les contractions et je ne pouvais pas bouger …
En arrivant, la Maison de Naissance était éclairée au moyen de bougies et de lumières tamisées, il y avait de la musique douce et des senteurs relaxants, tout était si accueillant. Mon excitation face à l’arrivée imminente de notre bébé était à son comble et je me sentais si bien, arrivée là-bas, dans cet antre accueillant et rassurant.
Là, la sage-femme m’ausculte (mon deuxième toucher vaginal de toute la grossesse, depuis qu’elle me suivait!) et m’annonce que mon col est ouvert à seulement 1 cm, qu’on était en début de travail. J’étais déçue, je m’attendais à plus vu l’intensité des contractions dans la voiture. Néanmoins, c’était largement gérable et je rigolais même avec mon mari entre deux contractions.
Je vais aussi aux toilettes pour vomir et aller à la selle, visiblement mon corps se déleste de toute cargaison inutile. Je me demande comment font les femmes en salle de naissance, ou il y a rarement des toilettes tout près? Est-ce la raison pourquoi certaines se retrouvent dans la position humiliante de déféquer au moment même qu’elles donnent naissance?
La sage-femme nous a donc dit qu’elle allait nous laisser et passer dans un petit moment pour voir l’avancement, et qu’on pouvait bien sur l’appeler à tout moment. Elle habite une maison adjacente à la Maison de Naissance.
A 23:30, elle repasse et là mes contractions sont clairement plus fortes – sûrement aussi du à la poche rompue sous le toucher vaginal (évidemment pas percée volontairement par la sage-femme, mais la simple irritation du col en touchant a provoqué la rupture). Plus question de bouger, ni même de ballon ou de rigolade, mes contractions sont si fortes que je me suis depuis un moment installée sur le lit (chose que je ne me voyais absolument pas faire avant, je suis du genre bougeotte) sur le coté gauche, et je m’endors entre deux contractions. Mon corps me dicte très clairement ce qu’il y a à faire, je me laisse emporter par mon instinct.
Plus tard, j’apprenais que la position allongée sur le coté gauche pendant les contractions d’ouverture, est la position qu’on fait prendre aux femmes lorsque le bébé se présente en position postérieure … Mon corps me l’a indiqué tout seul.
Elle me propose alors de faire l’impasse sur l’examen du col, puisque sous l’effet des contractions ça allait être désagréable et qu’on avait le temps de laisser faire des choses, le monitoring qu’elle fait à ce moment montrait que tout allait très bien. Elle me demande si je veux être soulagée au moyen de TENS (electrostimulation) ou de massages. Je ne veux rien du tout, juste de la présence de mon mari, sans un mot, ni toucher. Je me dis que je préférais garder ces options pour plus tard, au cas ou ça s’intensifie d’avantage.
A peine une heure plus tard, je ressens une irrésistible envie de pousser. Si forte que j’ai toujours de la peine à croire que certaines femmes se voient dire « arrêtez de pousser » et arrivent réellement à retenir cette impulsion. Impossible pour moi, à peu près comme arrêter de recracher alors qu’on est en plein en train de vomir… (pardon pour la comparaison). Je dis à mon mari d’appeler immédiatement la sage-femme, qui arrive sur les chapeaux de roue en disant « ouh, elle chante, c’est pour maintenant! je vois des cheveux! » et prépare tout en un rien de temps. Elle me dit de me mettre à quatre pattes. Je suis si prise par les contractions d’expulsion que je ne me vois pas tenir sur mes bras, et je demande à mon mari de se mettre lui aussi à quatre pattes, en perpendiculaire, afin que je puisse apposer le haut de mon corps sur son dos.
En trois ou quatre poussées de plus, notre enfant naît. Il est 0:56. Je prends immédiatement le bébé contre moi, il est magnifique, parfait, et sent merveilleusement bon. La sage-femme vérifie le score APGAR (pouls, respiration, couleur de peau, tonus, réaction à la stimulation) alors que le bébé est en peau-à-peau, il est 10/10/10/10/10. A 1:06, le bébé se met à chercher le sein et je le laisse « ramper » jusqu’au téton ou il retrouve visiblement le nirvana – et moi aussi. Quel moment émouvant et puissant! Quelques minutes plus tard, j’expulse le placenta.
Je suis indemne, j’ai pas de déchirure mais uniquement un petit étirement que la sage-femme recoud pour des raisons esthétiques, après m’avoir anesthésiée. Le bébé est confié à son papa et posé contre son torse nu pendant le temps qu’elle m’examine.
Ensuite, je prends une longue douche pendant que l’on nous prépare un repas pour nous redonner des forces. Bébé est placé dans un hamac et roupille paisiblement pendant que nous nous délectons du met tout chaud au milieu de la nuit.
Nous nous couchons à 3 dans le grand lit et passons une merveilleuse nuit ensemble, en famille.
Pas un seul regret. Au contraire, je me sens renforcée, plus moi-même, plus « entière » grâce à cette expérience. J’ai tellement apprécié de pouvoir la partager avec l’homme que j’aime, son soutien était si précieux et efficace. Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de trouver cruel la séparation du papa du reste de la famille, pourtant si « habituelle » dans la majorité des hôpitaux et cliniques. Il fait partie de la famille au même titre que maman et bébé!
Et maintenant, numéro deux est en route – j’espère réitérer l’expérience, cette fois-ci, pourquoi pas, dans la baignoire de cette même Maison de Naissance.