Bientôt 7 mois qu’elle est arrivée ma petite crevette. Et souvent, en m’endormant je repense à ce jour de Juillet 2012 où elle est venue au monde.
C’est un merveilleux souvenir, les heures les plus intenses de toute ma vie. Un de ces moments où l’on se sent «vivant».
Beau, puissant, violent, transcendant.
Le plus beau moment de ma vie évidement car j’ai donné naissance à mon premier enfant, que je suis devenue mère, que je me suis enfin trouvée. Le plus beau aussi car j’ai la fierté d’être allée, encouragée et accompagnée par mon compagnon, au bout de mon projet : accoucher sans péridurale.
En France en 2012, prendre la péridurale n’est pas un choix, c’est une normalité. Choisir de ne pas la prendre c’est être une extraterrestre.
Mener à bien ce projet ne pouvait donc se faire qu’à certaines conditions : être très bien préparée, être soutenue et comprise par mon conjoint et bien évidement accoucher dans une maternité où ce projet serait respecté et encouragé.
Pour le conjoint, pas de problème. Le cheminement que j’ai fait au sujet de la péridurale il l’a suivi, compris et encouragé. Il a toujours été très impliqué dans notre couple, dans la gestion du quotidien et naturellement dans la grossesse.
Je lui ai quand même mis pas mal la pression, car j’avais la conviction qu’il aurait un grand rôle à jouer dans cet accouchement.
La préparation, elle, a été multiple.
Les cours d’accouchement à la maternité, bien évidemment, mais pas franchement transcendant.
Les livres, Isabelle Brabant « Vivre sa grossesse et son accouchement » bien évidemment, LE LIVRE à lire pendant sa grossesse. Et aussi « J’accouche bientôt . Que faire de la douleur » de Maïtie Trélaün.
Et puis également des cours de préparation avec une sage-femme libérale qui faisait de la sophrologie. Ces cours ont été très importants pour moi. Nous avons également eu une séance avec mon conjoint où la sage-femme lui a montré pleins de trucs pour m’aider et me soulager pendant l’accouchement, ça nous a énormément servit !
Il y a eu aussi haptonomie, ostéopathie, acupuncture et homéopathie 🙂
La maternité que j’ai choisie a le label « hôpital ami des bébés ». Elle est connue pour respecter les mamans et leurs bébés, les césariennes et les épisiotomies y sont bien moins nombreuse qu’ailleurs. Je savais que mon projet de naissance y serait respecté et encouragé.
Me voilà donc au début du huitième mois de grossesse, avec l’impression d’être aussi prête qu’on peut l’être et l’envie d’en découdre !
J’ai dit à la sage-femme que je me sentais comme un boxeur avant un match. Elle a trouvé l’analogie un peu bizarre mais c’était pourtant ça.
Je n’allais pas me battre contre mon corps ou mon bébé mais contre la peur, le découragement et la facilité.
J’avais tous les outils, j’étais prête et j’avais hâte de m’y confronter à cette douleur !
Il a fallu que je patiente ! J’étais persuadée que mon bébé naîtrait en avance, ce ne fut pas le cas !
Une semaine avant le terme, mon col était toujours fermé. Là j’ai commencé à tourner en rond et à avoir un peur. Peur du déclenchement surtout, qui aurait mis mon projet au placard et peur que quelque chose n’aille pas chez mon bébé. Pourquoi ne sortait-elle pas ?!
Mais non, ma fille est juste très à cheval sur la ponctualité. 41 SA, c’est 41 SA ! Elle est donc arrivée pile à l’heure !
Le jour du terme donc, à 3h17 du matin très exactement, j’ai rompu la poche des eaux.
Ce que j’ai ressenti alors est assez difficile à décrire. Mais il y avait de l’excitation, de la peur, du soulagement, enfin on allait la rencontrer !
J’ai réveillé mon chéri, les contractions ont tout de suite commencé. C’était doux au début, j’aimais sentir que les choses se mettaient en route. J’ai pris en douche, ça faisait du bien. Mais très rapidement je me suis rendu compte que les contractions devenaient plus intenses, plus rapprochées.
Je me suis donc dis qu’il ne fallait pas trop tarder à mettre dans la valise les dernières petites choses qui n’y étaient pas encore. Sauf que cette valise je n’ai pas pu la terminer. Des contractions toutes les minutes, la douleur qui augmente, je me suis accrochée à mon ballon et j’indiquais comme je pouvais à mon chéri ce qu’il manquait dans cette fichue valise.
J’appréhendais le voyage en voiture. Je savais que je serais mal installée et que je gérerais certainement beaucoup moins bien la douleur. J’avais raison.
Le trajet jusqu’à la maternité, vingt minutes, fut assez horrible. Je n’arrivais plus à me relaxer. Les contractions s’emballaient, la douleur aussi.
L’arrivée à la maternité, deux heures pile après la rupture de la poche des eaux, fut aussi difficile. Il y avait eu des travaux depuis notre visite des lieux et le chemin pour aller aux salles d’accouchement avait changé. On s’est un peu perdu, ça a rajouté du stress, les contractions sont devenues plus douloureuses.
Dans la salle d’attente, j’étais à quatre pattes accrochée aux chaises. Une élève sage-femme est arrivée et m’a naïvement demandé si ça allait…
C’était un jour d’affluence mais heureusement il restait une salle d’accouchement et avec baignoire ! La baignoire, on me la dit, dit et re-dit, ce sera ta petite péridurale 🙂
Me voilà dans la salle d’accouchement. Je ne contrôle plus rien, les contractions s’enchainent, je suis en train de me faire dépasser par la douleur et le stress. Immédiatement je me dis que je ne réussirais pas à tenir, si ça ne se calme pas, je n’y arriverais pas sans cette fichue péridurale.
L’élève sage-femme rajoute à mon stress en me disant qu’il va falloir faire un examen d’urine puisque j’ai perdu les eaux. Je ne peux pas parler mais j’ai juste envie de lui hurler dessus… Heureusement qu’elle est encore élève, pour le soutien aux patientes il va falloir qu’elle révise !
Elle part. Une (vraie) sage-femme arrive : soulagement. Je lui dis qu’il y a un projet de naissance dans mon dossier, elle l’a lu. Ouf. Je lui demande tout de suite la baignoire, je ne vais pas y arriver sinon. Elle me rassure, ça va aller, je vais tenir.
Il faut d’abord faire un monitoring, trente minutes. Si tout va bien, elle enlèvera le monitoring et je pourrais aller tranquillement dans la baignoire. Il n’est plus question d’examen d’urine, sale petite étudiante !!!
La sage-femme est débordée. Elle ne peut pas rester. Elle voit tout de suite qu’on est bien préparé, que mon mec assure un max. Elle reviendra dès qu’elle pourra.
Alors on reste tous les deux. Et c’est vrai qu’il assure mon chéri.
J’étais persuadée qu’il aurait un rôle important à jouer et ça se confirme. Heureusement qu’il a été bien briefé. Il ne panique pas devant ma douleur. A chaque contraction il appuie sur les points d’acupuncture que nous a montrés la sage-femme libérale. Ça me fait du bien, ça m’aide à tenir.
Il a l’impression que je suis ailleurs et c’est vrai mais sa présence m’encre dans la réalité. Son aide, sa bienveillance, ça me soulage.
Bien accompagnée, la peur se dissipe. On a trop oublié dans en France qu’avant d’avoir un analgésique, on a surtout besoin de quelqu’un qui vous tient la main, qui vous rassure.
«Une femme, une sage-femme», ce slogan entendu dans les manifestations de la profession, ce n’est pas du confort, c’est juste le minimum que chacune d’entre-nous est en droit d’exiger.
Quand on accouche, toutes le diront, on perd totalement la notion du temps. Ces trente minutes auraient pu durer un instant ou trois heures, je ne saurais dire… Mais heureusement tout va bien, le bébé est ok. A moi la baignoire.
Et là… Le calme. Cet enfer se calme. A peine immergée, tout se calme. Je reprends le contrôle. Je suis presque bien. Les contractions s’espacent, j’arrive à les gérer. Je me laisse prendre par ces vagues douloureuses. Je suis tout à elles. Elles ne me font plus peur.
Combien de temps je suis restée là, impossible à dire. Mon chéri a branché les petites enceintes, j’entends vaguement la musique mais je suis dans «ce monde intérieur» si souvent décrit par les mamans en devenir.
Les contractions se font plus douloureuses. J’ai cette très désagréable sensation d’avoir été aspirée dans une tornade. Je suis broyée et en même temps je comprends qu’il faut que j’aille au bout de ce tunnel. Au bout, il y a ma fille. Au bout, je deviens mère.
La voici, la phase de désespérance, ce moment où l’on se dit qu’on n’y arrivera pas. Que c’est trop dur.
Une nouvelle contraction me prend. Je me demande à quoi bon, à quoi bon souffrir, il faut que l’anesthésiste vienne, je n’y arriverai pas !
La contraction terminée, je murmure a mon chéri : «Je la veux. Dis à la sage-femme d’appeler l’anesthésiste !»
Il faut dire qu’avant l’accouchement, on avait évoqué cette phase. Je savais que viendrait un moment où je lui dirai cette phrase. On avait donc décidé que son rôle à ce moment-là serait de me rassurer et de me rappeler pourquoi j’avais fait ce choix, et surtout pas d’appeler l’anesthésiste ! On avait quand même prévu, au cas où, un mot de passe si jamais la douleur devenait souffrance, dans ce cas plus de discussion.
Il m’a donc dit les mots que j’avais besoin d’entendre. «Tu vas y arriver. Ce projet te tient à cœur, il faut que tu ailles jusqu’au bout, tu seras tellement déçue sinon».
Je ne dis rien, une autre contraction arrive, j’ai envie de passer ma colère sur lui, mais il a
tellement raison.
Encore une autre contraction, plus forte encore. Je le sollicite encore, «Va chercher la sage-femme, dis-lui que j’ai changé d’avis». La sage-femme arrive à ce moment-là. Il lui explique la situation. Cette fois encore elle trouve les mots qu’il faut. Elle dit qu’elle va m’examiner, «Vous êtes peut-être déjà à 8». Je n’y crois pas une seule seconde, je dois être à 4, j’ai trop mal, je ne vais pas y arriver.
Je sors tant bien que mal de la baignoire, elle m’examine, je suis à 7. Semi-victoire !
Elle doit partir, elle a fini sa nuit de garde. Elle m’encourage une dernière fois. «C’est un beau projet que vous avez, vous allez y arriver».
Une nouvelle sage-femme arrive, elle se présente, elle a lu mon projet. Re-ouf. Elle repart, débordée elle aussi.
A peine quelques minutes se passent et l’envie de pousser est là. Je n’arrive pas à m’en empêcher. La poche des eaux finit de se rompre, des litres coulent sur le lit.
Je me marre intérieurement pendant la contraction car mon chéri s’active pour tout éponger. Je trouve ça mignon ce besoin de garder propre et rangée la salle d’accouchement, aussi futile que ce soit 🙂
La sage-femme arrive, le col est complètement dilaté. C’est partie pour l’étape 2 !
Ce coup-ci, la sage-femme ne repart pas, heureusement.
La douleur change. Je suis fatiguée. Après tout je n’ai dormi que trois heures. Je sens que je manque d’énergie et pourtant c’est maintenant qu’il faut tout donner.
Alors je donne, à chaque poussée je m’étonne des forces qui me restent.
Quand je pousse je n’ai plus mal, mais dès que je dois reprendre de l’air, la douleur est là, saisissante.
Les contractions s’enchaînent, j’ai à peine quelques secondes pour me reposer.
Mais ça coince, ma petite puce est coincée dans le bassin. Elle fatigue me dit la sage-femme, si elle n’a pas bougé dans quelques poussées, il va falloir faire venir le médecin.
Là c’est le déclic. Hors de question de voir un médecin dans cette salle d’accouchement !
Alors je pousse avec tout ce qui me reste d’énergie. Une infirmière vient aider, elle me tient une jambe, mon chéri une autre. Semi-assise je donne plus que je n’ai jamais donné, je transcende la douleur, la fatigue et je pousse.
Trois poussées, elle a passé le bassin. Ils voient ses cheveux. J’y crois à moitié, je pense qu’ils me racontent des cracs pour me motiver mais mon chéri, confirme. «Elle est toute brune, elle a plein de cheveux». Regain d’énergie.
Je sens mes chair s’étirer. La tête vient de passer, en un clin d’oeil, les bras sortent. L’infirmière me dit «sortez votre bébé». Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe. J’attrape cette petite chose visqueuse, je la pose sur mon ventre.
Je suis ailleurs, toute concentrée que j’étais à pousser, j’ai besoin de quelques instants pour réaliser. C’est fini, elle est là.
Elle pleure, elle me regarde, ce fameux «proto-regard», si perçant, si profond.
Elle pleure toujours, je comprends que le passage dans le bassin a été difficile pour elle aussi. Mais elle va bien, très bien. Moi aussi d’ailleurs.
Je garde de ces instants un fort souvenir de son corps sur le mien, le poids de ce petit être sur mes seins, la chaleur de sa peau.
On attend que le placenta ai fini de battre et mon chéri coupe le cordon. Et voilà, ma fille a quitté son monde aquatique et je suis mère.
Et j’ai cette merveilleuse sensation que l’on a mis au monde notre fille ensemble. J’aime dire que «nous» avons accouché.
Dans cette maternité « hôpital ami des bébés », le peau-à-peau fait partie du protocole. On me laisse mon bébé, évidemment.
Trois heures seuls pour profiter de ces instants. Son poids, sa taille, on s’en fiche. Quel besoin de la laver ?
Comme j’ai mal quand je pense à ces mamans que l’on prive de ces moments. Et comme cela peut parfois porter préjudice à l’attachement mère-enfant, sans parler de l’allaitement.
J’ai eu la chance de pouvoir choisir cette maternité réputée pour respecter les mamans et les bébés. Mais malheureusement même là, il est difficile pour les sage-femmes d’apporter le soutien nécessaire aux mamans. On leur en demande toujours plus avec toujours moins de moyen.
J’étais très bien préparée et accompagnée par un conjoint génial, je n’ai donc pas pâti de l’absence des sage-femmes mais une autre maman en aurait surement souffert.
Mon accouchement s’est très bien passé, j’ai pu le mener comme je le souhaitais. Mais au-delà du choix ou non de la péridurale, ce qui compte c’est d’accueillir au mieux son bébé.
La sage-femme libérale avec qui j’ai fait ma préparation m’a dit une chose qui m’a marquée «Vous avez un projet de naissance sans péridurale, mais n’oubliez pas que ce qui compte avant tout c’est de bien accueillir votre bébé. La péridurale, la césarienne, ce sont des outils. Tant mieux si vous n’en avez pas besoin mais ils seront peut-être nécessaires, il faut vous y préparer car il ne faut pas que ces outils gâchent la rencontre avec votre bébé». Je m’étais donc préparée à ces éventualités et je les avais acceptées. Mais j’ai pu les accepter car je savais que dans la maternité où j’accouchais, le personnel n’y aurait recours qu’en cas d’extrême nécessité. Pas par confort ou pour faire du chiffre. Je crois qu’il n’y a rien de plus terrible pour une mère que de se rendre compte que l’accueil de son bébé a été perturbé pour de mauvaises raisons. Je reste persuadée que cette première rencontre marque d’une façon ou d’une autre la relation à venir. Bien vivre son accouchement n’est donc pas essentiel mais vital.
Cependant pour mon deuxième enfant je ne souhaite pas accoucher en maternité. Je veux bénéficier d’un suivi global et savoir que la sage-femme qui m’accompagnera ne sera là que pour moi.
Je ne souhaite pas non plus accoucher à la maison, j’attends donc comme tant d’autres que le projet des maisons de naissance voit enfin le jour en France.
Au-delà du corps médical, il est également temps que l’Etat nous laisse le choix de la mise au monde de nos bébés.
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