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#347 C., la naissance d’Olivia

11 Fév

Le test positif

Ça faisait 4-5 jours que j’avais des maux de ventre, ces mêmes crampes qui indiquent que je vais être menstrué. 4-5 jours à attendre matante Rosie, et rien n’arrivait.

J’en ai parlé avec ma cousine G, et elle m’a dit  »Ben fait dont un test de grossesse pour voir ».

Bonne idée, question de confirmer que c’est SÛR que je ne suis pas enceinte. Ce n’est même pas une option.

Contre toute attente, le test tombe positif.

Je suis sous le choc. Moi, enceinte?! Maman?!? Après 5 ans d’essai naturel, je suis enceinte? Pour vrai?!?

Je ne sais pas trop comment prendre la chose.. je viens tout juste de démarrer mon entreprise en entretien paysager, je suis travailleuse autonome, je suis en plein thérapie pour traiter ma gynécophobie.. je suis convaincue que je ne pourrais pas avoir pire timing!

La première chose que je tente, c’est d’avoir un suivi sage-femme. Étonnamment, j’en obtiens un..! Je suis soulagé un temps.

Il me faudra beaucoup de rencontre avec ma sage-femme pour établir un lien de confiance. Je mentionne que je ne veux aucun examen gynécologique avant la fin du dernier trimestre, sauf urgence. Elle respecte bien mon choix et n’essaie pas de m’imposer rien. J’apprécie et plus ça va, plus je me détends.

La thérapie m’aide beaucoup aussi. À un certain point ma psy me dit que je vais être capable de subir mes examens sans broncher. Je suis sceptique, et je reste inquiète le reste de ma grossesse.

 

Vendredi 22 novembre, jour de ma DPA

Je commence à déchanter un peu. J’avais espoir que bébé se pointe avant, comme ma mère qui a eu ses 5 enfants une semaine en avance, et le premier en 8h seulement. Preuve qu’ici il ne faut pas se fier à la génétique de sa mère.

À part quelque contraction qui ressemble plus à des crampes menstruelles ici et là, rien de concret ne se passe.

Je n’ai pas de pertes sanguines, ni de bouchon, pas plus de glaires, pas de liquide amniotique, a-rien.

La peur de me rendre à 42 semaines et être provoqué chimiquement m’inquiète. Je sais que j’ai encore deux semaines, mais la crainte des médecins reste présente.

Je décide donc d’aller chercher le camion chez mon père, et que demain, je vais aller dumper le trailer plein de branches pour faire  »activer les choses ». Je m’imagine déjà lancer les branches comme jamais je ne les ai lancés avant

Je me couche avec l’espoir que demain, cet effort fera faire avancer le travail.

Mon conjoint tant qu’à lui, a vidé sa case au travail  »au cas où que ».

 

23 novembre

8h am je me réveille. C’est un peu tôt comparé aux dernières semaines ou je dors environ 10-12h par nuit.

Je sens des contractions, des bonnes crampes… et régulière aussi. Mais rien de trop prenant, je suis capable de parler et vaquer à mes occupations en même temps. Je télécharge une application pour compter mes contractions. Durant presque toute la journée, je suis au 5minutes, et elles durent environ entre 30sec et une minute.

Et, instinctivement, à chacune d’elle, je me cache..

Mon côté animal peut-être? Je n’en sais rien, mais quand j’en sens une arriver, je change de pièce pour la prendre accoté sur une chaise ou contre le mur. Je me trouve bizarre .

Je passe mon tour pour aller dumper les branches finalement, d’un coup que je perds mes eaux au site de compostage, j’aurais l’air fine

23pm

Les contractions sont de plus en forte, et plus longue. Je laisse finalement mon conjoint s’approcher et me masser le dos durant, après avoir souhaité qu’il aille dont se coucher que je contractionne toute seule dans le salon

Il faut que je me concentre entre chaque, parce que je les sens bien. Mais ça reste encore gérable.

On décide d’appeler la sage-femme vers 1am du matin.

Elle me suggère de prendre un bain chaud pour voir si le travail continue ou arrête. Argh, j’ai un bain de hobbit, comment je fais faire pour rentrer ma bedaine là-dedans

Je réussis tout de même à m’installer sur le côté, la bedaine plus ou moins immergé, je m’apporte un livre aussi pour passer le temps. J’ai le temps de lire un peu entre chaque contraction.

Mais le bain ne calme rien, mais n’accélère rien non plus. Après 30min, on rappelle L-M, la sage-femme, pour un compte rendu. Elle suggère de venir directement à la maison pour faire un examen au lieu de se rendre à la maison de naissance pour rien.

On apprécie le geste.

Et étonnamment, je stress juste un peu pour l’examen. Je dois être trop concentrée sur mes contractions pour ça j’imagine, et c’est tant mieux!

Chéri continue à me masser le dos, on s’installe dans le salon devant le poêle à bois, je me sens bien. Je n’ai pas peur.

 

3am, nuit de samedi à dimanche, 24 novembre

L-M arrive à la maison. On s’excuse un peu pour l’heure tardive et elle nous réponds que si elle n’aurait pas voulu se lever durant la nuit, elle n’aurais pas choisi ce métier-là.

Premier examen: je suis juste à 3cm

Je me dis coudonc.. c’était des pets ces contractions là?  Je le dis à ma sage-femme et elle me trouve ben drôle. Ça me ressaisi même; oui ça fait presque 24h que je contractionne, mais c’est juste de la petite bouette.

Je me mind pour les autres qui seront pas mal plus grosses. On dirait qu’elles me font moins mal soudainement .

L-M nous suggère de nous rendre en maison de naissance, vu que le travail est constant et que ça ne semble pas s’arrêter. Et que je suis encore capable de prendre la voiture en position assise.

Elle part devant nous et on se rejoint là-bas.

Mon conjoint rassemble nos affaires, avec un air inquiet et excité sur le visage. On sent que c’est pour bientôt, on va revenir avec un bébé à la  maison c’est sûr!

Ma grosse chienne sens que quelque chose se passe, elle nous tourne autour, inquiète peut-être elle aussi. Je lui dis qu’on se revoit demain avec un nouveau membre de la famille, que grand-maman (Lise, aucun lien de parenté, ma voisine) va venir la voir tous les jours.

Le trajet se passe quand même bien. Je supporte bien la douleur quand elle se présente, je la laisse faire son travail. Mon conjoint à mit le nouveau CD de François Pérusse dans le lecteur, mais je comprends juste la moitié des jokes alors du coup, je le trouve pas super

4am, 24 novembre

On arrive à la maison de naissance. L-M y est déjà, en train de faire des papiers.

Nous sommes seuls. Aucune autre chambre n’est occupée. Et moi qui avais peur d’arriver pour accoucher et me faire virer de bord parce que toutes les chambres seraient prises.

On s’installe dans la chambre du fond. Elle est spacieuse, avec un grand bain, de la lumière tamisée.. On s’y sent à l’aise tout de suite.

J’essaie de me replacer comme j’étais à la maison, à califourchon sur la chaise avec mon chum derrière moi pour me masser le dos. Mais la chaise est trop petite (ou mes cuisses trop large, c’est selon) et je ne suis pas à l’aise du tout. Je n’arrive pas non plus à me placer avec des oreillers, soit je suis trop grande pour la manœuvre, soit les oreillers trop mous, BREF. Aucune position à quatre pattes ou semi-couchée me convient. Je préfère encore debout et/ou marcher, en m’appuyant sur mon chum et en se balançant d’un côté et de l’autre.
Mouvement que l’on va garder durant quelques jours après l’accouchement d’ailleurs..

 

10am, 24 novembre

Ma sage-femme me fait un examen.

Je ne suis qu’à 4cm.

Bon,  c’est décevant. J’ai quand même travaillé toute la nuit et je n’ai pris qu’un pauvre petit centimètre.

Le  »travail actif » commence.

Je réussis à dormir sur la chaise berçante entre mes contractions, que je prends de plus en plus fortes. Je fais des bruits de gorges, des Ouuuuuu et des Aaaaaahhh en les dirigeants vers mon ventre, en les sentant travailler sur mon col.

Mon conjoint pique un somme dans le lit. Je dois dormir au moins une heure, parce que L-M est venue prendre mes signes vitaux deux fois, et elle vient une fois l’heure.

Tout va bien, bébé va bien, je vais bien. Je garde le moral. À chaque contraction qui passe, me dis  »une de moins »,  »celle-là ne reviendra pas ».

J’ai hâte que le travail accélère un peu.

Je vais dans le bain dans lequel  je rentre au complet . Je m’y sens bien, je me fais flotter quand une contraction arrive. Je peux dire que c’est vraiment dans le bain que je travaille le plus, je suis totalement concentré à envoyer toutes l’énergie de la douleur sur mon ventre, sur mon col. Je fais des sons graves, je crie aussi. Je suis complètement gelée aux endorphines..!   À un certain moment je dis a mon chum:  »Tu me croiras pas, mais j’ai vu un Ewok. »

Quand la sage-femme viens faire un relevé des signes vitaux, je lui dis que c’est carrément du bon stock, que je vais continuer demême et peut-être que je vais voir Chewbacca ! Elle m’a trouvé ben drôle.

 

18pm

Ça fait maintenant 34h que je contractionne. Je suis fatiguée, mais je garde le moral. Depuis le matin, les contractions se rapprochent; sur le chronomètre à mon chum, elles reviennent aux 2-3 minutes et durant environ 1 minute chacune.

L-M vient me proposer de faire un examen pour voir ou on en est. J’accepte, je me le demandais justement.

Verdict: 6cm.

Là, je m’effondre. 6cm après tout ce travail…?! J’envisage le pire, de finir à l’hôpital en césarienne parce que je le travail traine trop, que je ne suis pas capable d’accoucher naturellement, que je ne fais pas ce qui faut, que dans le fond de moi, j’ai peur d’accoucher et c’est ce qui fait que ça n’avance pas.

Je me place à 4 pattes sur le lit pour aider bébé comme L-M me suggère, et je pleure dans l’oreiller. Je pleure de désespoir et de déception…  La fatigue et la longueur du travail me rattrape.

Mon chum essai tant bien que mal de me rassurer,  mais je crois que lui aussi trouve ça difficile.

Ma sage-femme m’encourage, elle me dit qu’on a pas essayer tout encore, qu’on pourrait rompre la poche des eaux et faire un stripping pour accélérer les choses.

J’accepte encore une fois.

Mon corps ne fournit pas, il faut lui donner un coup de main.

L-M crève les eaux.. je trouve ça limite un peu écœurant tout ce liquide. C’est chaud et ça coule.. et ça coule!

Je me lève du lit, j’ai l’impression de me faire pipi dessus…

Mais bon, les contractions reprennent, j’oublie tranquillement ce détail.

On dirait qu’elles se rapprochent. Oui, c’est un peu plus saccadé… enfin!

Ma pauvre sage-femme a appelé du renfort. Elle aussi est debout depuis longtemps et elle a besoin de se reposer un peu.

S. vient reprendre la relève une heure plus tard, et ma sage-femme va faire une power nap. Elle en a bien besoin.

S. est aussi discrète que L-M. Elle me fait bien travailler, me fais changer de position, m’encourage, me dit que je suis forte.

Les contractions montent en intensité. Les petits ouhh ahh du début font place à des cris AAAAAAHHHHH. Une chance qui a personne d’autre à la maison de naissance, je devais donner l’impression de me faire arracher la vésicule biliaire à froid.

Je fais un bout en marchant, un autre bout sur la toilette, pour finalement retourner dans le bain.

Mais quelque chose cloche…

Depuis le début, le point de pression dans le bas du dos m’aide beaucoup. C’est là que je veux que mon conjoint ou la sage-femme appuie quand une contraction arrive.

Mais plus ça va.. plus ça me fait mal.

Au début, je crois que c’est parce que ça fait trop longtemps qu’on appuis sur cette zone, mais je me rends compte que la douleur est radiante, de plus en plus.

Au fil des contractions,  la douleur au dos prend toute la place, mon dos me fait mal même quand la crampe dans le ventre est finie.. C’est de pire en pire, et je me mets à me plaindre de cette douleur.

Ce n’est plus drôle. Je ne suis plus zen.

Je ne parviens pas à diriger la douleur de mon dos ailleurs que là, elle est trop forte.

Je ne trouve pas de position qui me soulage dans le bain. Ni sur le dos, ni sur le côté, ni assise.

Mon dos me fait souffrir.

J’appréhende les contractions maintenant. Elles me font peur.

 

2am, 25 novembre, nuit de dimanche à lundi

S. me demande si je veux refaire un autre examen pour voir ou j’en suis, voir si le travail à bien progressé.

Je souhaite au moins un 9. Ça fait tellement mal depuis tellement longtemps, je ne peux pas croire que je n’arrive pas à la fin du parcours.

7cm. Et une autre membrane.

Alors là je craque pour vrai.

Je pleure ma vie.

Je n’y arriverais pas. C’est trop dur. Et ça n’avance pas. J’ai l’impression de travailler pour rien, de faire toute cette visualisation là pour des peanuts.

Je suis assise dans le bain et je pleure à gros sanglots.

Je sais que je vais devoir aller à l’hôpital pour une péridurale. Et qui sait, une césarienne peut-être?

Ça sent tellement l’échec, j’en veux à mon corps de ne pas être capable de se rendre au bout, moi qui voulait à tout prix éviter les médecins, l’hôpital.. Mais je sais intérieurement que je ne peux pas aller plus loin. C’est hors de question.

(Mon conjoint me dira plus tard que lui aussi pleurait quand j’étais dans le bain.. il était derrière moi, je n’ai rien vu. Il pleurait d’impuissance en fait, pauvre chéri..   )

Ma décision est prise, mais je ne le sais pas encore.

S. va parler avec L-M qui vient de se lever.

Elle demande si elle peut me faire un examen, vu que c’est elle qui a suivi la dilation depuis le début.

Finalement, elle me donne un petit 8cm. Et effectivement une autre membrane. Et bébé s’est tourné en postérieur, la face vers le ciel.

Bébé n’a pas tourné du bon côté en fait. Sa tête n’est pas placée comme il faut pour s’engager dans le col, ce qui fait que le travail stagne. Et une de ses épaules appuie sur un nerf névralgique, ce qui fait que à toutes les contractions, l’épaule viens appuyer sur le nerf et m’envoie une décharge en continue.

On parle quelques instants: ça fait longtemps que je travaille, j’ai super bien travaillé aussi, mais que là, ça n’avance pas assez vite. Bébé va toujours bien, mais il risque de se fatiguer lui aussi.

On convient donc d’aller à l’hôpital pour une péridurale. Je me convaincs presque que je le mérite. En fait, je la souhaite tellement j’ai mal au dos.

Le trajet en ambulance est difficile. Je suis couchée de côté sur la civière, ça ballote d’un côté à l’autre, les contractions sont difficiles à gérer dans cette positions. J’ai hâte d’arriver, j’en peux plus.

 

4am, 25 novembre

On m’installe dans une  »chambre des naissances ». Avec pleins d’appareil partout, deux portes d’entrée, et à chaque fois que une ouvre, l’autre claque, ce qui donne comme effet d’avoir toujours deux personne qui rentre en même temps dans la chambre.

On me sort le gaz hilarant. Ça fait presque du bien durant les contractions. J’en offre à mon chum qui refuse.. il en aurait besoin pourtant, il dort debout pauvre petit

On me dit que l’anesthésiste sera là sous peu, qu’il est en césarienne présentement.

On me strap deux ceintures sur la bedaine pour le monitoring. La lecture est difficile, l’infirmière change tout le temps de position sur mon ventre.

La gynécologue de garde se présente elle aussi, Docteur A.

Elle est correct, mais sans chaleur. Elle semble fatiguée.

L’infirmière m’installe pour la péridurale, assise dans le milieu de la table avec une chemise d’hôpital. C’est difficile, les contractions me gêne beaucoup dans mes mouvements.

L’anesthésiste entre dans la salle. Je sais que c’est lui, parce qu’en rentrant dans la salle, il est dos à moi, je l’entends dire  »Oh my! » Quoi, t’as jamais vu de dos avant.. non, mais hein?

Il me dit en quoi consiste une péridurale, me font signer 3-4 feuilles que je ne lis pas (en fait, j’ai eu de la misère à signer mon nom, je n’aurais pas pu lire 3 feuilles de termes médicaux!!) et je sens qu’on me met de la pression, que j’aurais pu singer une euthanasie que je ne le saurais pas

Mais pas grave, donnez-moi cette péridurale, morphine, hormone de cheval, m’en fous!!

Il s’installe, me demande de faire le dos rond, ce que j’essaie de faire le plus possible avec ma bedaine. Mon conjoint me tiens par en avant et m’aide durant une contraction. Il me dira plus tard qu’il regardait intensément l’anesthésiste.. il n’aimait pas l’idée de me faire planter une aiguille dans le dos. Le regard c’était pour dire  »Je te surveille, manque-la pas mon …  ».

Il me manque une première fois, ça fait un mal de chien merde. Me dit que je n’ai pas beaucoup de cartilage, que je dois mettre mon dos plus rond encore.

Je pleure en silence dans le chandail de mon chum. J’essaie de me mettre le dos plus rond encore, j’ai l’impression d’écraser mon bébé, mais je tiens bon.

Il réussit enfin.. et après 2-3 contractions encore, soulagement!  Je ne sens plus rien. C’est l’infirmière qui me dit que je suis en pleine contraction.

L’anesthésiste revient quelques instants plus tard faire le test de la glace. Il me touche la joue gauche, et la hanche gauche. Je ne sens pas le froid. Il fait le même test à droite, mais je sens le froid sur ma hanche. Il semble ébahit et surpris. Refait le test 3-4 fois, et je lui réponds la même chose encore et encore.

Il finit par me redonner une autre dose, que je sens passer dans le tube qui me passe dans le dos (c’est froid!)

Durant l’heure qui suit, L-M et mon chum dorme un peu, en attendant que ça avance. Moi pendant ce temps, je reste couché et je tète (ou plutôt, je croque) de la glace, j’ai tellement soif!

 

6am, 25 novembre

La docteur A. vient faire un examen.

10cm, bébé en bonne position. On peut commencer à pousser.

Déjà?!?

À la blague, je lance à mon chum  »Je fais ça vite moi, une heure sur la table et hop, on pousse! »

Ça réveille mon chum, bébé arrive dans pas long!!

On m’explique comment pousser. On m’installe les pattes sur la table et on me couvre le bas du corps avec un drap, question de ne pas avoir la noune à tout vent. J’apprécie le geste. Je soupçonne L-M d’avoir averti le personnel de ma pudeur un peu excessive.  Je l’apprécie encore plus.

Je ne sais pas trop quand pousser, vu que je ne sens rien, j’y vais  »à peu près » quand ça me tente.

Je demande à l’infirmière de me dire quand pousser, mais elle ne me le dit qu’une fois. Le reste du temps elle tient le monitoring sur mon ventre (elle m’énerve!)

Je n’aime pas la façon qu’on me dirige.

Faut que je prenne 3 méga grande respiration, que je bloque, menton contre poitrine, avec mon chum qui me tiens une jambe, l’infirmière l’autre et que tout le monde me regarde l’entre-jambe ..

On me dit de pousser plus que ça. Que la dernière poussée c’était mieux.

Je commence à perdre patience. À chaque grande respiration j’ai l’impression d’avoir d’avaler du sable. J’ai la bouche tellement sèche! Donnez-moi à boire s’il-vous-plait!
Je me rappelle d’avoir eu un ou deux glaçons, mais rien de satisfaisant.

Plus ça va, plus je sens les contractions. Plus je sens la douleur. Moi qui venait de m’en sortir!

Mais là.. en plus de la pression intérieur.. J’ai mal aux fesses. VRAIMENT mal aux fesses.
Comme si j’avais deux crampes du nerf sciatique.
Plus bébé descend, plus j’ai mal aux fesses. Je commence à en avoir vraiment plein mon casque.

J’ai mal aux fesses, je pousse mal, on me demande si je veux ‘’toucher’’ pour voir, no-way, je veux rien savoir.

‘’Vous êtes sûre madame?’’ ‘’OUI CRISS CHUIS SÛRE!!’’.

J’ai pu envie de pousser, j’ai juste envie de me masser les fesses, je me tortille sur la table entre les contractions, je n’arrive pas à rester les jambes dans les étriers, tout mon poids repose sur mon cul, j’ai mal, J’AI MAL.

Je garde les yeux fermés. La lumière est trop forte, je ne veux pas voir personne. Mon conjoint se penche vers moi un moment donné, je le repousse. Touchez moi pas, je suis plus capable de m’endurer.

Je demande à l’infirmière si je peux me mettre à 4 pattes pour pousser. Ça me ferait peut-être moins mal. Elle accepte à contrecœur.
Je réussis à me mettre en position sur la minuscule table. J’écarterais les jambes plus que ça, mais je n’ai pas de place.
J’ai eu le temps de prendre une contraction dans cette position avant que le Docteur A. rentre.
Aussitôt l’infirmière me dit ‘’Faut retourner sur le dos madame’’
Là je chiale ‘’Non, pas sur le dos, s’il vous plait, pas sur le dos..’’
‘’Madame, quand le docteur rentre, il faut se mettre sur le dos.’’
‘’Non je ne veux pas. Ça fait trop mal!’’
‘’Si vous ne vous mettez pas sur le dos pour le docteur, je ne vous laisserais pas retourner à quatre pattes.’’
J’ai pleuré en silence. Je ne voulais pas revenir en position gynécologique. Juste me retourner je sais que ça allait être pénible. Mais bon. Je suis qui moi, han? Ah oui, juste une autre femme qui accouche.

Et docteur A. rajoute que de toute façon, la gravité ça aide pas pour les accouchements.  Bon.
Je lui dit, ou quelqu’un lui dit que j’ai mal aux fesses.

‘’Bon, ben on peut faire le bloc honteux.’’

Han? Pourquoi le bloc honteux, je n’ai pas besoin du bloc honteux..!

Je réponds en braillant ‘’Non!’’

‘’Là madame, pas besoin de faire la femme forte de l’Évangile, je pense que vous avez assez travaillé comme ça. C’est juste 3 petites piqûres qui vont vous geler, ça fera pas mal.’’

Comment voulez-vous que je négocie avec elle? J’ai le cul à l’air, je braille, j’ai mal aux fesses, à la limite d’être sans connaissance… je n’ai pas vraiment le choix.  Et j’ai pas mal au rectum putain, j’ai mal aux FESSES!

Elle finit par me faire deux piqûres dans le vagin, et une autre juste à la base de l’entrée. Je te l’ai gueulé celle-là. Je n’avais pas vraiment envie de me faire piquer juste là.

Je continue à pousser, à prendre des respirations de titans.
On me dit que je pousse mal, que je devrais pousser plus que ça. Enfin, ça c’est bien, pousse ici, pousse là, envoye let’s go.
Ils m’énervent. Fermez-la que je travaille toute seule!

Mon conjoint me dit ‘’On voit ses cheveux!’’
Et moi : ‘’C’est comment là? C’est proche?’’
Mon chum me montre avec ces doigts ‘’Environ ça (2cm)’’
Moi : ‘’C’EST TOUT! JUSTE ÇA! ESTI QUE CHUIS ÉCOEURÉE LÀ, C’EST BEN D’ LA MARDE (rajouter une série de sacre entrecoupé de sanglots)

En parlant avec mon chum, je me rends compte qui a beaucoup de monde dans la chambre, au moins 5-6 infirmières qui jasent entre elles. Ça fait quelque fois que j’entends les portes s’ouvrir et se fermer.
Je lui dit :
‘’C’est quoi là, tout le monde rentre et sort ou quoi?!’’ (J’espère qui m’ont toutes entendue)

J’ai eu le sentiment d’être un spectacle..

À partir de là, je me souviens de presque rien du reste de la poussée. Ça a pu durer 15 minutes comme 2h, j’ai juste quelques flashs.

Je revois mon chum se tourner vers la porte et s’appuyer dessus. Je crois qu’il pleure. Je vois L-M aller lui mettre un bras sur l’épaule pour le réconforter.

À un moment,  c’est une autre gynécologue que je vois entre mes jambes (bonjour, enchantée, tsé ).

Et là.. LÀ LÀ. La tête a sortie.

OUCH!

Elle a carrément poppée! Je pensais qu’avoir un gynéco entre les jambes ça allait être moins pire, qu’elle allait l’aider à sortir, non?!?

La pression est forte, ça fait mal, merde!

‘’Ne poussez plus madame, ne poussez plus’’

Non. Fini le niaisage. Je suis pu capable, c’était la coche de douleur de trop celle-là.

‘’NON!’’

Et j’ai poussé. Que dis-je. Expulsé mon bébé.

Sou-la-ge-ment.

Mon Dieu, merci merci merci merci. Enfin!
Mon chum me dira après que ma face voulait tout dire.

Ensuite, je me rappelle d’avoir vu le cul du bébé en premier. En fait, c’était la gynéco qui présentait le sexe du bébé au papa pour qu’il me le dise.

Ça lui a pris quelques secondes avant de comprendre. Il cherchait un pénis ou des couilles, tout le long de ma grossesse on était sûr que c’était un garçon!

‘’C’est une fille… c’est une fille!’’ m’a t ‘il dit en pleurant.
‘’UNE FILLE?!’’ que j’ai répondu.

On est les deux ébahis, mon chum pleure de soulagement, de fatigue, moi pareil.
Elle est tellement belle, c’est fou.

À un moment, mon chum me dit ‘’Elle a une face d’Olivia’’.

Le nom lui est resté. On en avait d’autre nom en liste, mais je l’avais dit à mon conjoint : on va savoir comment l’appeler quand on va lui voir la face.

Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi avec mon chum à côté de moi et ma fille sur ma poitrine.

Je sens le placenta sortir. Je comprends maintenant pourquoi les anciennes appelaient ça ‘’la délivrance’’. Ça fait un bien fou!

Je sais que j’ai  déchiré pas mal : je vois la gynécologue s’affairer entre mes jambes. Mais je suis gelée encore, je ne sens rien.

Je demande ça a l’air de quoi, on me répond ‘’Un petit 3e degré ou un gros 2e degré, ce n’est pas si pire’’.
Moi ça ne me dit absolument rien.  Ça me prendra  au moins 3 semaines avant de regarder par moi-même, j’avais trop peur de la boucherie.

L-M nous quitte déjà. Elle est crevée elle aussi, elle a besoin de repos. On la remercie tellement, peut-être pas à la hauteur de ses compétences par contre, je mets ça sur le compte de l’épuisement. Je me reprendrai plus tard avec un beau panier-cadeau.

Une infirmière s’affaire autour de moi, me fais lever les fesses pour changer les draps, regarde ma tension, etc. Elle est sympathique.

Ma sage-femme a averti le personnel que je ne désirais pas allaiter. Du moins, c’est ce que j’en ai déduit parce que personne n’est venu me demander des explications et personne n’à essayer de me faire changer d’avis.

Mon conjoint est invité à donner le premier biberon à notre fille.

L’infirmière nous dit que c’est maximum une once, une once et demi. Elle a un petit estomac et risque de tout régurgiter si elle boit trop.  Elle laisse mon conjoint seul et sort de la salle.
Olivia boit une once en 30 secondes! Elle est affamée! Je l’entends téter de l’autre bout de la salle!

Mon conjoint me demande qu’est-ce qu’on fait.. Elle a déjà bu pas mal. Comme c’était assez évident que notre fille avait encore faim, qu’elle tétait dans le vide, je lui ai dit de vite lui donner un autre 5-10ml avant que l’infirmière ne revienne.
Elle boit aussi vite, c’est fou!

Mais l’infirmière n’est pas contente quand elle revient. Et pour être sûr qu’on ne lui en redonne pas, elle repart avec le biberon. Mais c’est flagrant qu’elle a encore faim! Elle chigne et tète nos doigts.
Je décide donc d’essayer de lui donner du colostrum.
Elle essaie de prendre mon sein droit, mais je suis maladroite et elle aussi et ne tète pas grand-chose.
Mais elle réussit à prendre le sein gauche toute seule et tète comme une défoncée!
Elle boira ainsi en continue sur mon sein gauche pendant une heure. Je savais qu’elle avait encore soif.

L’infirmière continue mes soins. Je suis encore sur l’adrénaline : je suis de bonne humeur et je suis contente. Je suis capable de marcher un peu sans aide pour aller à la toilette.
Le nouveau papa fini par s’endormir avec sa fille dans le fauteuil dans la chambre. Je les aime tellement.

On finit par se retrouver en chambre semi-privé. On y arrive presqu’en même temps que mes beaux-parents qui viennent voir leur premier petit-enfant. Il y a beaucoup d’émotion dans l’air.

Le pédiatre passe pendant ce temps. Il prend ma fille, la mets dans le petit lit, la déshabille sans ménagement et l’examine environ 30 secondes seulement.
‘’Tout est bien’’ est tout ce qui nous dira. Et il repart sans autre cérémonie.

Après l’heure du souper, mon conjoint retourne à la maison voir notre chienne qui doit paniquer toute seule à la maison depuis si longtemps. Et il est tellement fatigué qu’il a le teint-gris vert. Je l’encourage à aller se reposer cette nuit.

L’infirmière qui s’occupe de nous viens toujours prendre la température de ma fille. On dirait qu’elle fait une fixation dessus, mais je ne sais pas pourquoi, on ne me dit rien.
À un moment, sa température descend à 34,6. Mais je viens tout juste de lui changer sa couche deux fois de suite, alors elle a été toute nue quelques minutes d’affilé.
Mais non. L’infirmière part et revient avec le ‘’réchaud à poulet frit’’, un genre de couchette avec une lampe chauffante sur le dessus. Elle déshabille ma fille, la fou juste en couche la dessous et part en me disant qu’il faut que sa température monte à 37,8 au plus vite.
Ma fille est carrément insultée, elle hurle sa vie. J’aime juste envie de la prendre dans mes bras et la consoler, je commence à perdre patience.
Le réchaud ne fonctionne clairement pas bien, un temps il indique 38, 3 secondes plus tard 35,7!
Je le fait remarquer à l’infirmière, mais elle m’ignore superbement.
Finalement, l’infirmière vient lui donner son bain vers 11h le soir, rapidement, sur le pas de ma porte de chambre. Ma fille hurle encore sa vie, insultée de se faire ainsi manipuler.
Vers minuit, je débranche la machine (de toute façon, si je voulais me coucher, il fallait que je la débranche, le fil passait sur mon lit..), j’éteins la lumière, je tire le rideau et je me couche avec ma fille, bien décidé à envoyer promener quiconque qui viendrait me déranger.

Ma fille se réveillera 3 fois pour boire durant la nuit. Mais elle semble avoir mal au ventre après le biberon. Elle devient toute raide et crispée. Ça semble douloureux. Je réussis à la calmer à chaque fois, mais ça m’inquiète.
On continuera à venir plusieurs fois dans la nuit pour venir prendre mes signes vitaux et ceux de ma fille, ainsi que des prises de sang (pourquoi la nuit?!?)

À 4h30 le matin, ma fille se réveille, elle a faim, c’est évident.  Je décide de me lever tant bien que mal (mes points me font souffrir et mon dos m’élance). Je vais voir l’infirmière au poste pour lui demander un biberon.
Elle me répond qu’il est trop tôt, que certain bébé on juste envie de téter, que ma fille doit être une téteuse.
Docile, en fait je suis presque zombie tellement je suis fatiguée, je ne dis rien et retourne à ma chambre avec ma fille qui chigne.
30minutes plus tard, j’appuie sur la sonnette. Ça suffit, ma fille a faim, merde.
L’infirmière me fait une ‘’faveur’’ selon elle. Elle m’apporte le biberon 30minutes à l’avance. Wow, quel dévouement.

Ma fille boit le 2 once au complet, sans pause. Elle se crispe encore par après, elle est très inconfortable.

Mon conjoint vient me rejoindre le lendemain vers 7h30. Je dois avoir l’air épouvantable, je suis tellement fatiguée.
Il s’occupe d’Olivia pendant que je dors 1h, avant de me faire réveiller par les cris de ma fille qui est encore avec l’infirmière de la veille, toute nue, pour se faire peser. Incapable de me rendormir,  je reste coucher avec ma fille sur mes jambes.
Je parle avec mon conjoint et décidons que nous partons d’ici ce soir.

Comme les petits habits d’hiver que nous avons sont beaucoup trop grands pour notre fille, mon conjoint décide d’aller au magasin lui acheter un plus petit habit. Les premiers achats officiels pour sa fille, il est tout content!
Pendant ce temps, je suis encore au lit, avec ma fille en appui sur mes jambes. Elle vient de boire et elle se crispe et se tortille encore. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ma fille. Elle a mal, c’est évident. Du reflux peut-être?
Je la regarde et je me sens incapable. Mon post-partum embarque à une vitesse fulgurante. En moins de 30 minutes, je passe du stade fatiguée à carrément en dépression.
Je texte mon conjoint et ma cousine que j’ai besoin d’aide. Vraiment. Je ne passerais pas au travers. Je suis incapable de parler au téléphone, mais j’ai besoin d’aide, je le sens.
Au même moment, ma mère appelle dans la chambre. Elle me demande : ‘’Bonjour fille, comment vas-tu?’’
J’ai éclatée en sanglots.  Je n’ai rien pu dire, sauf pleurer dans le combiné.
Mon conjoint est arrivé en même temps. Je lui ai passé le téléphone. Ils ont convenus tous les deux que ma mère viendrait nous aider quelques jours,  le temps que je me remette.

Nous sommes sortis de l’hôpital vers 19h le soir, après avoir attendu la fin du dernier shift, après avoir laissé les étudiants ‘’étudier’’ sur ma fille (c’étaient les plus sympathiques de tout mon séjour en fait),  et après m’avoir fait sermonner par la pédiatre de service (jamais vue avant) que ‘’je risquais une rupture utérine, une hémorragie, que ma fille risquait un souffle au cœur et qu’elle ne régularisait pas encore sa température!!’’.

Une chance que mon conjoint a tenu bon, son ton était tellement autoritaire et mon taux d’hormones tellement bas que je n’avais pas l’énergie pour contester.

Le retour à la maison a été un soulagement.

J’y ai pleuré tout mon soul, pleuré mon accouchement ‘’raté’’, ma rage de me pas pu avoir accoucher toute seule, de m’être fait manipuler de la sorte, moi qui m’était tant renseigner et tant convaincue que moi, moi je ne me laisserais pas faire.

Quand j’y repense encore, je suis fière d’avoir tenu les contractions tout ce temps. Si ma fille aurait été en bonne position, j’aurais pu accoucher en maison de naissance, calmement, sereinement. J’ai mon séjour à l’hopital sur le cœur, c’est cette mauvaise expérience que je me rappelle le plus malheureusement.

J’appréhende le ou les prochains accouchement. J’espère être plus forte et j’espère avoir la nature de mon côté.

C.

#346 Le deuxième accouchement d’Abigaïl, Québec 2010

10 Fév

Après une première grossesse et une naissance très médicalisées (récit #334), j’ai la chance d’emménager au Québec dans une région qui compte une maison des naissances. Les sages-femmes acceptent de m’accompagner pour un AVAC. Le suivi est tel que je l’avais attendu : grande écoute, échanges égalitaires, aucun geste posé sans en avoir pesé, ensemble, le pour et le contre. Je ne veux aucune intrusion, pas d’échographie, surtout pas d’amniocentèse. Quelques analyses de sang et d’urine, la prise de tension et l’écoute du cœur du bébé sont les seuls examens pratiqués.

Le bébé est tonique, bien vivant, je le sens s’activer dès le quatrième mois. Au septième mois, il s’installe tête en bas. Je suis rassurée : la présentation par le siège était la cause de ma première césarienne.

Chaque semaine à partir du 9e mois, je rencontre en alternance I. et C., chez moi ou à la maison des naissances. Pour un premier accouchement (je n’ai pas été en travail pour la naissance de ma grande fille), elles ne s’attendent pas à ce que le bébé arrive avant 41 semaines, et me disent être à l’aise avec ça. C. insiste pour que je me repose. J’ai de nombreuses insomnies et le dos douloureux. Le bébé bouge encore beaucoup. Sa tête est bien engagée dans le bassin.

39 semaines et 3 jours, lundi – Je me rends à la maison des naissances pour rencontrer I. et sa jeune stagiaire. I. me parle du décollement des membranes et de l’acupuncture pour activer le processus, puis me propose, si rien n’a évolué, de rencontrer vendredi un gynécologue de l’hôpital pour discuter de leurs protocoles, voir s’ils accepteraient de tenter un déclenchement médicamenteux et à partir de quel moment il faudrait envisager une césarienne d’office.

Cette proposition me terrifie. Je sais que s’il constitue un avantage indéniable, un accompagnement non médicalisé ne garantit en rien la réussite de mon projet, pourtant je refuse d’envisager l’éventualité d’une nouvelle césarienne.

J’ai le sentiment que les sages-femmes me lâchent à quelques mètres de la ligne d’arrivée. J’essaie d’en parler à mon conjoint, mais il ne mesure pas l’ampleur de mon désarroi. Je lui en veux. Comme d’habitude en pareil cas, je m’applique à contenir les émotions trop fortes et « j’encaisse ».

Mercredi – I. vient chez moi et j’accepte le décollement des membranes. C’est moins douloureux que ce qu’elle m’avait prédit, mais elle n’a pas réussi à passer le col. Dans la nuit de mercredi à jeudi, le travail commence.

Jeudi – J’appelle C., c’est elle qui est de garde. Les contractions sont intenses, espacées de quinze à trente minutes. A chaque fois je respire profondément, j’émets des sons graves comme je l’ai appris en cours de yoga prénatal. C’est douloureux, mais je suis heureuse, excitée: je vais bientôt rencontrer cette petite personne qui a mûri dans le secret de mon ventre! Les contractions s’espacent puis se rapprochent, s’espacent à nouveau. Je dors peu. Je suis fatiguée. C. me conseille de prendre des cachets de Gravol.

Vendredi – Le col n’est pas encore effacé. J’ai une séance d’acupuncture à midi. Accueillir les contractions en restant immobile est difficile, mais le calme de la salle est apaisant.

Mon conjoint me conduit ensuite à l’hôpital pour une échographie : C. souhaite un bilan (la demande est ferme). La jeune gynécologue est chaleureuse mais pressée, elle pose deux, trois questions très vite puis m’invite à m’allonger sur le dos, dans une position particulièrement inconfortable, douloureuse (comment peut-on imposer à une femme d’accoucher ainsi?). Elle nous demande si nous voulons connaître le sexe du bébé et si elle doit nous signaler une malformation visible. A quelques heures de la naissance, je trouve ça ridicule. Je détourne la tête pour ne pas voir l’image sur l’écran. J’ai des sueurs froides, je veux sortir. Mon conjoint croit avoir entendu la gynécologue parler du bébé en disant « elle ». Le bilan est positif : le petit va très bien. Je n’avais pas besoin de l’échographie pour savoir ça!

Samedi – J’ai une nouvelle séance d’acupuncture le matin. Je parle beaucoup au bébé, pour l’encourager à venir. Il s’active encore. Je suis très fatiguée.

Nous passons la fin de l’après-midi chez des amis qui habitent le bord du fleuve. Il fait incroyablement beau et chaud, nos filles s’amusent dans le jardin. Je mange avec appétit puis vais m’allonger. Les contractions se rapprochent: toutes les cinq minutes. C. nous retrouve chez nous, le col est dilaté à trois centimètres. Nous pouvons partir pour la maison des naissances!

Le trajet en voiture me semble long, et en même temps j’apprécie cette bulle dans la nuit, seule avec mon homme. L’autoroute est déserte. A chaque contraction je serre fort la poignée de la porte. Je suis très concentrée sur l’instant présent.

Nous sommes les seuls « clients » ce soir, C. nous oriente vers la chambre la plus grande et la plus fraîche, allume une lampe de chevet, je ne garde que ma tunique et je m’installe sur le ballon, face au grand lit, avec des oreillers pour enfouir ma tête. La sage-femme apporte de l’eau fraîche, montre à mon conjoint les points d’acupression, pour soulager la douleur, en bas de mon dos, puis s’installe dans la chambre de l’autre côté du couloir.

Je fais rouler mes hanches sur le ballon et continue à respirer profondément. Les contractions s’installent comme une routine, les stations d’un petit train en marche, toujours les mêmes, sans accélération, le moteur ronronne, ça tourne en rond.

On met en route le ventilateur au plafond, puis on l’arrête malgré la chaleur : trop de courants d’air. Je bois beaucoup, je vais plusieurs fois aux toilettes. J’aime cette petite pièce avec une grande douche, sans fenêtre, j’aime ces courts moments de solitude, même si les contractions sont plus dures à passer agrippée au lavabo ou assise sur la cuvette. Je jette à chaque fois un coup d’œil à la salle de bain attenante, à la grande baignoire, j’ai hâte de pouvoir me glisser dans l’eau chaude pour la poussée et d’y accueillir mon bébé en douceur.

Les heures passent sans que je m’en rende compte. J’ai faim, C. apporte un croissant avec de la confiture, je ne trouve pas ça très bon et ça ne m’apporte pas l’énergie espérée. Elle vérifie la dilatation du col après une contraction. C’est inconfortable, intrusif, je n’aime pas me retrouver sur le dos à regarder le plafond, cela me « décentre » un peu plus. Pas d’évolution.

C. installe le tire-lait électrique pour stimuler la production d’ocytocine. L’effet est spectaculaire : les contractions sont nettement plus intenses, très rapprochées, l’une à peine passée que l’autre démarre derrière, dans ce crescendo-decrescendo que je commence à bien connaître. Je crie pour de bon, je m’agrippe au coussin devant moi, mon conjoint ne détache pas ses pouces de mon dos.

Dimanche – Le jour commence à poindre et je me sens épuisée, découragée. Je m’accroche à l’espoir que les choses ont avancé, mais le col n’est qu’à cinq centimètres. Les contractions diminuent un peu en intensité et en fréquence. C. me propose un transfert à l’hôpital pour une péridurale, le repos pourrait avoir un effet bénéfique sur le travail. Elle va négocier avec les médecins pour qu’ils « ne sortent pas le scalpel trop vite ». J’accepte avec soulagement.

C. prévient l’hôpital. L’ambulance arrive en quelques minutes, je dois m’allonger sur la civière, sous une couverture, même sur le côté c’est peu confortable. Dans l’ambulance, C. serre ma main et me regarde dans les yeux pour me soutenir pendant les contractions. Elle répond aux questions d’usage. Elle explique que les sages-femmes suivent uniquement des femmes en bonne santé, dont la grossesse se déroule sans problèmes. Il ne s’agit pas d’une urgence : la mère et le bébé vont bien, mais elle veut bien vérifier la rapidité de l’ambulance sur le nouveau tronçon d’autoroute. Dix-sept minutes exactement. Mon conjoint nous a suivies en voiture.

Je reconnais à peine l’entrée des urgences. La civière change de mains. Les néons au plafond défilent, j’arrive dans une petite salle à la lumière tamisée. Je dois me déshabiller, enfiler la blouse d’hôpital et ne plus boire. Pourtant il fait chaud et j’ai soif. Il y a une infirmière d’un certain âge, sympathique, visiblement expérimentée, et la jeune gynécologue qui a pratiqué l’échographie vendredi. C. lui expose la situation. La gynécologue écoute attentivement puis m’ausculte. Le trajet en ambulance a produit son effet : le col est à huit centimètres. Elle me propose de rompre la poche des eaux pour accélérer le travail (indolore) ; elle est prête à tenter une petite intervention médicamenteuse d’ici quelques heures. C. me sourit, les chances sont bonnes que j’accouche par voie basse.

Je demande une péridurale. Le temps que l’anesthésiste arrive, je retire les fils du moniteur qui enregistre les battements de cœur du bébé et je marche un peu dans la salle. Je continue de respirer profondément à chaque contraction.

L’anesthésiste a le geste rapide et sûr, je sens à peine l’aiguille pénétrer dans mon dos, très vite je n’ai plus de sensations au niveau du ventre et du bassin. Je dois maintenant rester en position semi allongée, sur le côté gauche, pendant que le produit passe goutte à goutte dans le cathéter. C. conseille à mon conjoint d’aller se reposer dans la chambre qui m’a été attribuée. Elle reste près de moi et parle avec l’infirmière. Tout est calme. Je m’endors.

Lorsque je me réveille, l’équipe a changé. La nouvelle infirmière, postée devant l’écran du moniteur, se présente. La nouvelle gynécologue est aussi jeune que la première, très calme, un peu froide malgré son sourire. Le col n’a pas bougé depuis la première auscultation. L’infirmière explique que les contractions se sont encore espacées, la gynécologue est soucieuse, elle approuve la proposition de l’infirmière de me faire changer de position régulièrement.

Je suis perplexe : je n’ai pas senti le changement. Les choses se passent en dehors de moi, sur le moniteur, je dois m’en remettre à l’infirmière pour suivre l’évolution du travail. Lorsque j’avais toutes mes sensations, je ne contrôlais rien, mais je pouvais dire « c’est intense, ça avance », ou bien « mon corps fatigue, il y a quelque chose qui cloche », je pouvais chercher la position qui faciliterait le travail. Je voudrais me lever, bouger, accompagner de nouveau mon bébé dans cette incroyable aventure. Mais je suis coincée sur ce lit d’hôpital, avec ces fils et ces tuyaux qui m’encombrent.

L’infirmière lève un de mes genoux, déplace une épaule, fait tourner ma tête, je suis comme un pantin que l’on manipule, avec sérieux et application. Je garde la position une vingtaine de minutes, puis le manège recommence. Je discute avec C. pendant un petit moment, puis elle m’invite à dormir à nouveau pour récupérer un peu d’énergie: j’en aurai besoin pour la poussée.

J’ouvre les yeux sur une chaise vide, C. est rentrée chez elle se rafraîchir. La gynécologue est là. L’infirmière lui explique que les contractions se sont rapprochées, c’est une bonne nouvelle. Mais à l’auscultation, surprise: impossible d’atteindre le col, le bébé semble s’être désengagé du bassin, c’est comme si l’utérus « contractait à l’envers ». La gynécologue dit: « c’est tannant », d’une voix monocorde, sans émotion. Elle invite l’infirmière à m’ausculter à son tour, l’infirmière constate que le col est inaccessible, que le bébé est remonté, la gynécologue répète : « C’est tannant ». Après avoir scruté l’écran du moniteur, elle me regarde, elle est très calme. Les signes vitaux du bébé sont bons, mais elle craint une rupture utérine. Il va falloir procéder à une césarienne.

Mon cœur veut sortir de ma poitrine. Non, ce n’est pas possible, pas une nouvelle fois, après ce que j’ai donné depuis trois jours, vous n’allez pas me découper le ventre alors que le bébé va bien! Je voudrais hurler, pleurer, cette parfaite inconnue n’a pas de cœur, elle ne sait pas ce qu’elle dit, elle ne se rend pas compte que ses mots m’anéantissent, alors que je suis seule dans cette chambre… Où sont passés ceux qui devaient me défendre, me protéger de l’intervention des médecins ? Ma voix s’étrangle : « On ne peut pas attendre? », attendre que mon corps fonctionne à nouveau à l’endroit, attendre que C. soit revenue, qu’elle donne son avis, attendre que mon conjoint, le père de ce bébé, soit à mes côtés?

La gynécologue considère qu’il n’y a pas de temps à perdre, avec un antécédent de césarienne, après quatre heures sans résultats satisfaisants, c’est le protocole. Elle n’arrête pas de dire : « C’est tannant », avec ce rictus insupportable, ce pseudo sourire sans compassion. Elle est tellement calme! Je ne peux pas croire qu’il y ait urgence.

L’infirmière a appelé C., on est allé chercher mon conjoint. Ils écoutent le médecin, C. acquiesce, je tombe en pleurs. La gynécologue dit : « Elle est déçue », l’infirmière se penche vers moi : « C’est pour ton bien et celui du bébé. » Je vois d’ici la suite : les bras en croix sur la table d’opération, les mains inconnues qui s’affairent, le premier cri dans le vide, hors de ma vue, l’impossibilité de me lever pendant 24 heures, la douleur postopératoire, le séjour prolongé à l’hôpital avec le bruit, le dérangement constant… Je demande combien de temps je vais devoir rester, la gynécologue répond trois, quatre jours.

Le brancardier arrive, je me laisse porter comme une pauvre chose sans vie, n’étaient les larmes qui coulent en flot ininterrompu.

L’homme qui me conduit au bloc est petit, d’âge mûr, jovial. Je vois son visage à l’envers et les néons qui défilent, le trajet me semble labyrinthique. Dans l’ascenseur, il tente une  plaisanterie. Je réponds sur le même ton et souris à travers les larmes. Il me souhaite bon courage et me laisse dans le couloir en attendant que l’équipe soit prête pour l’intervention. Une femme me demande si je porte des prothèses dentaires, si je suis allergique à un produit ou à un autre, je réponds sans être très sûre.

Un autre homme pousse le brancard dans la salle froide, à l’éclairage cru. Elle est remplie de matériel et d’appareils de toutes sortes, j’entends qu’il y a plusieurs personnes. L’homme m’explique ce qui va se passer, qui va intervenir, à quel moment mon conjoint pourra me rejoindre. Avec ses doigts, il essuie une larme sur ma joue et prononce un mot gentil.

On me dépose sur la table, on met un chapeau sur mes cheveux et quelques capteurs sur ma poitrine, on tend un drap entre mon ventre et mon visage. Je reconnais les voix des deux gynécologues que j’ai vues ce matin, la deuxième a fait revenir la première et lui explique la raison de l’intervention. On vérifie l’effet de l’anesthésie, puis l’opération commence.

Les médecins observent ma cicatrice, je pense au petit lézard tatoué au bout de cette première ligne, j’imagine qu’il y en aura bientôt une autre, au-dessus. Je retiens mes sanglots de peur que cela me fasse bouger et gêne l’intervention. Mon conjoint est à côté de moi, il me parle, comme la première fois je ne le reconnais pas tout de suite à cause du masque qui couvre la moitié de son visage. L’incision est très rapide, je sens des mains qui poussent vigoureusement sur le haut de mon ventre, mon corps est secoué, j’attrape la main de mon conjoint et la serre très fort, cela dure une éternité, c’est impressionnant comme ça secoue!

Je sens le bébé sortir et je l’entends crier, il change de mains, mon conjoint me laisse, quelqu’un dit : « C’est quoi? », je tourne la tête, tends le cou, moi aussi je veux savoir, montrez-le moi! Mon conjoint revient vers moi, m’embrasse et me dit : « Merci ». Je sais alors que c’est une fille, je suis heureuse, je souris.

Mon conjoint tient notre petite fille serrée dans un linge, près de mon visage. Je la regarde avec un sentiment d’étrangeté, de distance, j’ai du mal à l’imaginer avec le nom que nous lui avons choisi. Mon conjoint repart avec elle. Lorsque la suture est terminée, on me conduit en salle de réveil. Je grelotte, on m’enveloppe dans une couverture chauffante. On me demande si je souhaite avoir mon bébé près de moi, mais je suis dans un état second, comme ivre, je préfère rester seule le temps de reprendre pied.

A travers le brouillard, j’entends le « bip, bip » de l’appareil qui prend ma tension à intervalles réguliers, la conversation animée d’un homme et d’une femme à l’autre bout de la pièce.

Dans la chambre, C. et mon conjoint se tiennent debout, la petite pleure contre le torse nu de son père. On me transfère dans le lit, on m’aide à me placer sur le côté, avec des coussins pour caler mon dos. Mon conjoint dépose la petite contre mon sein, je la caresse, je lui parle. Elle cesse de pleurer et boit pour la première fois.

1er jour – Nous dormons toutes les deux, l’une contre l’autre, pendant un bon moment. L’infirmière m’apporte des cachets, me sert un verre d’eau glacée, prend ma température et ma tension. Elle change et habille la petite, l’emmaillote dans un carré de tissu. Elle m’assure que la coupure sur son épaule, accident survenu durant l’opération, est superficielle. Il fait très chaud malgré le courant d’air qui passe par la fenêtre ouverte.

Mon conjoint revient avec sa mère et notre grande fille dans l’après-midi. L. s’approche doucement de sa petite sœur, grimpe sur le lit pour mieux la voir, elle la trouve mignonne, toute petite. Elle a choisi pour elle une marionnette rose et douce, avec un bonnet pointu, qu’elle offre dans une jolie boîte. Ma belle-mère prend quelques photos, nous discutons un peu, mon conjoint les raccompagne à la maison, dîne avec elles puis me rejoint à l’hôpital.

J’ai faim, mais je n’ai droit qu’à une soupe, un yogourt et un thé. Nouveau changement d’équipe. Les infirmières ne sont pas assez nombreuses pour s’occuper de toutes les patientes, alors on a demandé à mon conjoint de rester ici pour la première nuit. Il installe un matelas par terre, près de la porte, s’allonge et s’endort presque aussitôt. La petite est dans son couffin transparent, elle pleure et je ne peux pas me lever, je peux à peine me redresser, mon ventre me tire. J’appelle mon homme à voix basse, je ne veux pas importuner les mamans dans les autres chambres. Je hausse un peu le ton, il dort profondément, je ne sais pas quoi faire. Finalement, j’appelle une infirmière.

Je suis extrêmement tendue, épuisée. Je dors peu, d’un sommeil agité, le petit corps lové contre le mien.

2e jour – Mon conjoint est parti s’occuper de L. Débarrassée de la perfusion, je quitte le lit avec l’aide de l’infirmière. Je marche avec une extrême lenteur, pliée en deux, jusqu’au minuscule cabinet de toilette de ma chambre. Je prends appui sur le lavabo et regarde mon visage dans le miroir. Je suis effrayante. J’ai les paupières boursouflées et des sillons violacés sous les yeux. Je retire ma blouse, mon ventre est gonflé et douloureux, encore badigeonné d’antiseptique, j’imagine la plaie sous le gros pansement. Du sang coule entre mes jambes. Je pleure.

Après un moment, je mets de la crème sous mes yeux, je brosse mes dents, je savonne mon ventre, délicatement. L’eau fraîche me fait du bien. J’enfile des habits propres et retourne sur le lit à petits pas.

Je garde ma petite fille contre moi, je la couve des yeux. Elle est vraiment belle, toute potelée. Avec son nez minuscule, ses joues rondes, sa bouche en cœur, qu’est-ce qu’elle ressemble à sa sœur!

C. prend de nos nouvelles par téléphone. A cause de la chaleur, la petite fait un peu de fièvre, elle perd plus de poids que ce qui est toléré, il semble qu’elle se déshydrate malgré ses nombreuses tétées. L’infirmière a suffisamment d’assurance pour retarder le moment d’alerter la pédiatre, elle sait que les examens peuvent être longs, et les traitements contraignants. Mais la fièvre persiste. Une consultation avec le médecin est prévue ce soir. Je demande à mon conjoint de revenir après le dîner, je m’attends à ce que ce soit éprouvant et je ne veux pas être seule.

Nous attendons longtemps. Finalement, une jeune infirmière que je vois pour la première fois vient prendre notre bébé. Elle nous parle à peine, ne se présente pas, ne nous demande pas notre permission, ne nous propose pas de l’accompagner. Je suis indignée. Je fais quelques pas dans le couloir, tout est silencieux, on entend juste les pleurs d’un petit. Je ne sais pas où cette femme est allée avec ma fille, je ne connais pas les lieux, je n’avais pas même vu le couloir jusqu’à ce soir. Je n’ose pas aller plus loin. J’hésite à envoyer mon conjoint, je me dis que l’infirmière va revenir bientôt.

Nous restons 3/4 d’heure sans nouvelles.

Je craque. Rien ne s’est passé comme je l’avais prévu! J’aurais voulu que mon bébé soit accueilli dans un lieu intime et chaleureux, pas sous les néons d’une salle d’opération, entre des mains anonymes. J’aurais voulu qu’on permette à mon corps de faire son travail jusqu’au bout, à son rythme, sans l’interrompre d’une manière si agressive. J’aurais voulu qu’on nous laisse en paix, ma fille et moi, pendant les premiers jours de notre rencontre. J’aurais voulu que cet accouchement répare les blessures laissées par le premier. Il ne fait que les raviver. Je me sens trahie, abusée, mutilée.

Mon conjoint m’écoute, me réconforte, me dit sa fierté.

La pédiatre n’a rien décelé d’inquiétant, mais elle propose de donner un supplément pour aider notre fille à reprendre du poids. Elle souhaite également avoir un échantillon d’urine pour s’assurer qu’il n’y a pas d’infection. Malgré leur discrétion, les infirmières nous réveilleront quatre, cinq fois durant la nuit pour vérifier la petite poche placée dans sa couche. A la lueur de la veilleuse, l’une d’elle me dira tout bas : « Elle est belle en maudit, ta fille. ».

3e jour – L’infirmière qui avait attendu avant de signaler la fièvre reprend son service. Elle obtient de la pédiatre qu’elle passe nous voir entre deux rendez-vous, j’entends ainsi le diagnostic de sa bouche et peux lui poser directement mes questions. Pour ne pas perturber l’apprentissage de la succion, le supplément est administré durant les tétées, à l’aide d’une seringue et d’un tuyau très fin. Je dois appeler une infirmière à chaque fois que j’allaite, c’est pesant.

Il fait moins chaud, la température de ma fille tombe.

La gynécologue qui m’a opérée me rend visite. Elle a toujours ce sourire étrange, distant, cette voix monocorde et traînante. Elle me demande si les antalgiques sont efficaces. Avec précaution, elle palpe mon ventre toujours gonflé, tendu, douloureux. De l’air a pénétré durant l’intervention, il devrait disparaître progressivement d’ici quelques jours. La plaie semble bien cicatriser. Si la pédiatre le permet, la gynécologue est prête à nous laisser partir dès aujourd’hui. L’infirmière est moins optimiste, on n’a toujours pas réussi à prélever les quelques gouttes de liquide nécessaires pour l’examen, et les formalités de sortie prennent du temps.

Nous ne parlons pas de la manière dont s’est passé l’accouchement. Mon chagrin est tellement grand, j’ai peur de craquer en présence de cette étrangère. Devant elle comme devant les infirmières, je fais bonne figure, je souris. Je veux juste être tranquille et retourner chez moi, auprès des miens.

Lorsque ma grande fille et ma belle-mère reviennent, la petite est endormie sur le côté, dans son couffin, une petite main potelée glissée sous le menton. Enveloppée dans un linge blanc, elle a l’air paisible, angélique. Nous restons longtemps à la contempler.

Il fait gris, des nappes de brouillard couvrent les hauteurs de la ville. J’ai du mal à reconnaître le quartier depuis ma fenêtre. Il y a des parkings, un immeuble de bureaux, un supermarché, une tour d’habitations qui me rappelle l’hôtel sinistre, en banlieue de Prague, où j’étais descendue lorsque j’étais étudiante.

La nuit venue, je sens l’angoisse qui monte. L’éclairage blafard accentue la vétusté de la pièce, je n’en peux plus du bruit continu des ventilateurs sous la fenêtre, du lit inconfortable, des murs nus, sans âme, de la poussière qui colle à mes pieds sur le carrelage froid. Je ne connais du service que ce bout de couloir où passe parfois une femme en travail, parfois une mère berçant son bébé, l’employé chargé du ménage ou celui qui distribue les repas, et une multitude d’infirmières dont je n’arrive pas à retenir les noms. L’hôpital est une immense machine dont je ne perçois que quelques rouages, un pays hostile dont je ne sais ni la géographie, ni les usages. Dans un demi-sommeil j’imagine qu’un médecin sadique, tout droit sorti d’un film d’épouvante en noir et blanc, profite de mon infirmité pour tester sur moi un produit douteux.

4e jour – Je ne désire qu’une chose, rentrer à la maison. Les résultats des examens ne sont pas encore arrivés, mais ma fille se porte bien, elle a repris du poids et tète correctement. L’infirmière prend rendez-vous avec le pédiatre pour la visite de sortie et prépare les papiers à remplir.

Je quitte la chambre pour la première fois: la salle de bain est située à l’autre bout du couloir. Sur un panneau sont affichés des prospectus sur l’allaitement, les coordonnées de différents organismes de soutien aux parents, les photos de plusieurs bébés nés ici, avec des petits mots de remerciements. Je passe devant le petit comptoir d’accueil, il y a un bouquet de fleurs et à l’arrière, de larges fenêtres qui donnent sur le fleuve, scintillant sous le soleil. Je reconnais quelques-unes des infirmières qui se sont occupées de moi ces derniers jours.

La salle de bain est petite, chaude et embuée de la douche prise par une autre maman avant moi. Il y a seulement un tabouret, à côté du lavabo, pour poser les vêtements et les affaires de toilette. Je retire mes chaussures, trop serrées pour mes pieds gonflés. Le sol est mouillé, glissant. J’entre prudemment dans la baignoire. Je ne peux pas encore me redresser complètement. Je ne peux pas me laisser aller tout à fait, les pleurs qui viennent sous l’eau chaude contractent mon ventre douloureux. Ma fatigue est immense.

La gynécologue me rend visite une dernière fois. Elle me donne les consignes : pas de charge lourde pendant dix jours (interdiction de porter ma grande fille), pas de bain pendant deux semaines, visite de contrôle dans six semaines; en cas de douleur aigue, de saignement abondant, se rendre aux urgences; éviter de tomber enceinte avant neuf mois. Elle laisse une ordonnance pour des antalgiques, du fer, un laxatif et une pilule contraceptive.

L’infirmière décolle délicatement le pansement. Elle retire les agrafes une à une et les remplace par des petits morceaux de sparadrap. Après quelques instants, retenant mon souffle, j’ose regarder le bas de mon ventre. Il n’y a qu’une seule cicatrice, étonnamment nette et courte, à l’endroit précis où se trouvait la première.

C’est déjà l’heure du déjeuner. Mes affaires sont rangées, mon conjoint est arrivé avec le siège pour transporter la petite, nous avons rempli les papiers pour l’état civil. L’infirmière perçoit mon impatience, elle m’invite à la suivre jusqu’au bureau du pédiatre. Le médecin, un homme d’âge mûr à l’air sympathique, accepte d’examiner ma fille dans les minutes qui suivent. Il la trouve en parfaite santé, particulièrement tonique. Les sages-femmes effectueront le suivi pendant les six prochaines semaines.

L’attente pour les dernières formalités est interminable. Mon bébé pleure beaucoup. J’hésite à demander de l’aide, j’ai peur qu’on découvre un nouveau problème nécessitant de prolonger la surveillance. Une jeune infirmière vient finalement, emmaillote puis berce énergiquement la petite, le bout d’un doigt glissé dans sa bouche. Quand nous quittons la chambre tous les trois, ma petite dort profondément.

Nous sortons de l’hôpital en plein soleil, une brise d’air chaud souffle sur mon visage. J’ai l’impression d’atterrir après un long voyage. En quelques jours, les arbres dénudés se sont couverts de feuilles, les dernières traces de l’hiver ont disparu. Je ne dis pas un mot durant le trajet. Les secousses me font mal au ventre. Je suis en état de choc.

Ma belle-mère a rangé et nettoyé l’appartement, elle a mis des draps propres dans le lit, ça sent le frais. Je pose mes affaires en vrac dans un coin de la chambre. Mon conjoint va chercher notre grande fille à la garderie. Après un temps de retrouvailles, elle retourne à ses jeux habituels. J’essaie de dormir un peu.

Le soir, je rédige et j’envoie par mail le faire-part de naissance, je veux mettre de côté la douleur et rendre le bonheur palpable, que la famille, les amis, les connaissances se réjouissent et admirent notre si jolie petite fille.

Mon bébé dort avec moi. Dans l’obscurité angoissante, je l’écoute, la caresse, la respire, je la presse contre mes seins gonflés de lait. Je savoure son petit corps parfait, presque nu, sans l’entrave du coussin qu’avait porté sa sœur pour réparer ses hanches. Le contact charnel, animal, adoucit un peu la violence de cette mise au monde.

Jeudi, j’appelle I. et tombe en pleurs au téléphone. Elle a eu le compte rendu de l’accouchement par C., j’ai de quoi être bouleversée! Je lui fais part de mes doutes: pour moi, l’infirmière s’est trompée en cochant la case « césarienne en urgence » dans le questionnaire de sortie. Mais C. « a vu la peur dans les yeux du médecin », elle croit que l’intervention était justifiée. I. me conseille le repos absolu, elle m’invite à me concentrer sur le moment présent. Les explications viendront en leur temps.

Aujourd’hui je pleure encore cette naissance et celle de ma première fille.

#321 – 2 naissances au Québec en 2008 et 2011

7 Jan

récit en plusieurs étapes

24 janvier 2011
J’écris ces lignes alors que je devrais dormir. Mon homme est parti pour une heure avec notre petite Charlotte qui aura 3 semaines demain. Il voulait que je me repose. Notre grande Zoé (2 ans) est à la garderie.

Mes deux filles, mes enfants. La première, issue d’une grossesse euphorique et insouciante, la deuxième, d’une grossesse angoissée et fatiguée de travailler à temps plein en m’occupant d’un petit monstre à l’aube de son terrible two et en faisant pousser des petits pieds. Deux êtres qui sont mon plus grand accomplissement : je les ai quand même conçues et portées et je les éduque du mieux que je peux. Deux petits êtres qui sont aussi mon plus grand échec : malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pas été capable de les mettre au monde ni de les allaiter exclusivement.

Même si j’ai rencontré les deux au début de ma première grossesse pour faire un choix éclairé, la décision d’être suivie par une médecin généraliste ou une sage-femme s’est prise toute seule. Dès que j’ai mis les pieds à la maison des naissances, j’ai su que c’est dans un environnement comme celui-là que je voulais vivre un des événements les plus importants de ma vie, celui ce mettre au monde mon premier enfant. Je n’avais alors aucun doute en ma capacité d’accomplir ce que des millions de mammifères femelles font depuis la nuit des temps. Il allait aussi de soi que j’allaiterais. Ce n’était pas un choix, mais une évidence. Je trouvais les hauts taux de césarienne alarmants au Québec et même si je savais en théorie que certaines de ces chirurgies étaient nécessaires, j’y voyais surtout l’impatience du personnel médical et sa volonté à tout vouloir contrôler. En choisissant d’être suivie par une sage-femme, je me sentais, à tort, à l’abri.

J’avais bien sûr la crainte de devoir être transférée, particulièrement quand j’ai vu le symbolique 42 semaines approcher à grands pas. Finalement, le travail a commencé « naturellement » alors que, désespérée, je tentais de stimuler mes mamelons au tire-lait manuel à 41 semaines et 5 jours et demi, c’est-à-dire à un jour et demi d’une menace de déclenchement. Il était 22 h. J’étais encouragée lorsque les membranes ont rompu vers 4 h du matin. Vers 8 h, mes contractions étaient plus rapprochées et le premier examen de la sage-femme était encourageant, j’étais déjà dilatée à 6 cm. On est donc partis, mon homme et moi, pour la maison des naissances, certains que ce ne serait qu’une histoire de quelques heures. Mais l’examen vaginal (très douloureux, une façon de me sortir de ma bulle à coup sûr), le fait de quitter la maison et le trajet de 30 minutes ont sensiblement ralenti le travail. Malgré tous mes efforts pour changer de positions, utiliser la gravité, rester active, il m’a fallu près de 12 heures à atteindre 9 cm de dilatation. J’attendais alors avec impatience l’envie de pousser qui devait être imminente, mais à sa place est venue l’inquiétude sur le cœur fœtal qui s’emballait de temps à autre. Vers 22 h, la sage-femme nous a dit que j’avais fait tout ce que je pouvais, mais qu’il nous faudrait plus pour faire sortir le bébé qui commençait à montrer des signes de fatigue. Elle ne voulait pas me décourager, mais j’ai appris par la suite que la dilatation avait régressé d’un centimètre. Moi qui avais jusque-là réussi à gérer la douleur d’une façon qui nous surprenait tous les deux, mon homme et moi, je me suis aussitôt effondrée à l’idée d’être transférée à l’hôpital. Je ne savais pas encore ce qui m’attendait, mais déjà j’avais l’impression d’avoir échoué. Tellement, que je ne me souviens même pas avoir eu vraiment peur pour le bébé. Toute mon attention était centrée sur ce constat : je n’étais pas à la hauteur. Les événements survenus à l’hôpital ont été encore pires que ce je craignais. On a d’abord essayé le Pitocin, même si le gynécologue de garde estimait à 5 % les chances que ça fonctionne. J’ai demandé une péridurale. J’aurais toléré mes propres contractions pendant des heures sans broncher, mais l’idée de devoir supporter des contractions artificielles semblait psychologiquement au-dessus de mes forces. Voyant qu’il n’y avait toujours pas de progrès après une heure (j’ai su par la suite que la tête du bébé était défléchie, ce qui l’empêchait de s’engager dans le bassin et d’ainsi finir de dilater le col), je me suis résignée à signer l’autorisation pour la césarienne avec l’impression de m’enfoncer un tire-bouchon dans le cœur, pour citer Bob Dylan. Ils ont alors augmenté la dose de péridurale pendant que mon homme s’habillait pour assister à la chirurgie. Finalement, ils ne l’ont jamais laissé entrer. On m’a demandé à quelques reprises si je le sentais lorsqu’on appuyait sur mon ventre… puis je me suis réveillée. J’ai alors compris qu’on m’avait endormie et que mon bébé était née sans moi. On ne m’a pas demandé mon consentement pour cette anesthésie générale, ni même informée qu’on allait procéder ainsi. Mon dossier médical, que j’ai consulté par la suite, ne permet pas de comprendre où était l’urgence. Il y est noté : « AG (péri inadéquate) », tout simplement, et aucun monitoring du cœur pendant cette étape n’est rapporté. L’hypothèse la plus probable est que monsieur l’anesthésiste s’est fait réveiller en pleine nuit et qu’il n’a pas eu la patience d’attendre. Je me suis réveillée avec un ventre sans sensation que je devinais vide, seule, hormis des infirmières inconnues qui me croyaient encore endormie et qui discutaient de ma « belle petite fille », alors que j’avais spécifié vouloir moi-même découvrir le sexe du bébé. Lorsque j’ai été en mesure de parler, j’ai demandé à voir mon homme et mon bébé, ce qu’on m’a refusé, puisque mes jambes étaient toujours endormies (oui, la péridurale avait fini par embarquer!), ce qui bien entendu était pour moi un non-sens total, mais j’étais trop faible pour argumenter. Ce fut le début de notre vie de famille. Tom dans une pièce, Zoé dans une autre et moi dans les vapes. Génial. On dit que la première heure est critique pour l’attachement mère-enfant et l’allaitement. Et bien dans mon cas, cette séparation de plusieurs heures à la naissance s’est soldée en plusieurs semaines à n’aimer ma fille qu’en théorie et en une lactation qui malgré tous mes efforts, n’a jamais été suffisante pour allaiter exclusivement.

Je savais dès la naissance de Zoé que je voulais un AVAC pour la prochaine grossesse. Le gynécologue se faisait encourageant, il ne voyait même pas d’objections à ce que je sois encore suivie pas une sage-femme, ce qui est bien, considérant que plusieurs d’entre eux proposent encore systématiquement des césariennes itératives. J’ai dès lors commencé à m’informer sur l’AVAC. Encore une fois, je n’ai pas eu à prendre de décision, c’était pour moi la seule option envisageable. J’étais seulement contente que mes lectures viennent confirmer à ma tête ce que mes tripes sentaient déjà : l’accouchement vaginal était dans la plupart des cas (dont le mien) la façon la plus avantageuse et sécuritaire de donner naissance, même après une césarienne. J’espérais aussi que cela viendrait en partie réparer mon premier accouchement raté, me confirmant ainsi que j’étais une vraie femme, capable de donner naissance et, je l’espérais, de nourrir mes enfants.

Je suis tombée enceinte une première fois lorsque Zoé avait 11 mois. Une semaine de bonheur. Je ne saurai jamais si c’est mon corps qui n’a pas su le garder ou si c’est le petit qui était mal formé ou qui n’a pas tenu le coup, mais pendant quelque temps, il a existé dans mon ventre un petit amas de cellules que je ne connaîtrai jamais. Pourtant, il m’aurait appelé « Maman »…

Les quelques cycles suivants viendront avec des règles amenant un nouveau genre de déception. Ce n’est plus juste la hâte d’être enceinte, mais aussi la peine de ne pas l’être. Quatre mois plus tard, ça y est de nouveau. J’avais décidé d’attendre deux semaines de retard pour faire le test afin d’avoir au moins dépassé le stade de la grossesse précédente, mais je flanche au bout d’une journée. Je suis trop fébrile, j’ai peur de ne pas être enceinte et en même temps, j’ai peur de l’être et de le perdre à nouveau. Je décide donc d’éliminer au moins une des peurs, et voilà! un beau « + » rose sur un bâtonnet de plastique blanc.

24 août 2011
Charlotte s’est endormie dans l’auto et je suis assise sur le siège passager en attendant qu’elle se réveille. Elle aura 8 mois dans une dizaine de jours. Je viens de tomber sur mon récit inachevé. C’est un bon moment pour le continuer.

J’ai passé le premier trimestre enceinte de Charlotte à angoisser. J’avais peur de perdre mon bébé une seconde fois et j’ai eu une frousse lorsqu’il y a eu des cas de 5e maladie à la garderie de Zoé et qu’il a fallu 3 semaines avant de savoir si j’étais immunisée. Mais plus encore, j’angoissais au sujet de la naissance. J’étais au bureau, incapable de me concentrer sur mon travail, à chercher des articles scientifiques sur l’AVAC.

La naissance de Zoé tourne en boucle dans ma tête et j’arrive toujours au même point de départ. Si j’étais restée à la maison, ça se serait peut-être passé autrement. C’est aujourd’hui tellement évident que l’accouchement à domicile est la meilleure option. Je m’en veux d’avoir choisi la maison des naissances seulement pour le luxe de ne pas avoir à gérer le ménage et les repas pendant deux jours. J’en veux aussi à ma sage-femme de ne pas avoir confronté mon choix. Je lui avais pourtant fait part du fait que ma seule crainte était d’être transférée et elle n’aurait eu qu’à me dire qu’il y avait plus de transferts en maison de naissance qu’à domicile, que le trajet cause souvent un ralentissement du travail, pour que je brandisse mon stylo en disant « Où est-ce que je signe? »

Ma sage-femme (la même) m’informe que l’Ordre des sages-femmes émettra de nouvelles recommandations concernant les AVAC à l’automne. Je ne saurai donc pas avant le 3e trimestre si je peux espérer un accouchement à domicile, ou même avec une sage-femme. Je devrai aussi attendre à 36 semaines de grossesse pour faire mesurer ma cicatrice afin de voir si le risque de rupture utérine est acceptable. Cette étude est encore expérimentale, mais après quelques recherches, je trouve que c’est prometteur. Si tout est favorable, ça me donnera un argument en défense de l’AVAC si je dois terminer mon suivi à l’hôpital et j’aime l’idée de contribuer à faire avancer la recherche sur l’AVAC.

Finalement, l’Ordre des sages-femmes ne change pas ses directives. Une bonne chose de réglée, mon accouchement à domicile n’est pas compromis. Ma sage-femme principale quitte la région et j’en ressens un grand soulagement. Je repars vraiment à neuf. L’environnement, le personnel présent, tout sera différent du contexte entourant la naissance de Zoé.

Je « magasine » entre-temps une accompagnante (doula). Je croyais avant que ce rôle était entièrement assumé par la sage-femme, mais je comprends maintenant qu’un biais venant de leur formation médicale et de leur responsabilité est inévitable. J’ai besoin d’une personne dont la seule fonction est de m’assurer une présence réconfortante, à l’abri des considérations médicales. Les accompagnantes sont rares dans la région, mais je finis par choisir Cathy (nom fictif). On partage la même vision et le fait qu’elle ait vécu elle-même de beaux accouchements légitimise mon désir d’en vivre un.

Je fais plusieurs lectures : témoignages sur l’AVAC, récits d’accouchements naturels… J’essaie aussi de me garder en forme. Je marche pour aller travailler. J’ai quelques rendez-vous en ostéopathie afin de favoriser une bonne mobilité du bassin.

À 36 semaines, nous nous rendons à Québec pour la mesure de cicatrice. Je suis très angoissée, mais finalement, les résultats sont excellents. Le risque de rupture est faible et même si j’ai catégoriquement refusé qu’on chiffre mes chances de succès (ou qu’on me donne un estimé du poids du bébé), le gynécologue responsable de l’étude est très optimiste. Je suis encouragée.

Mon accompagnante et ma sage-femme m’incitent à faire des exercices de visualisation de l’accouchement. C’est très difficile pour moi qui suis une personne rationnelle ayant peu d’imagination, mais je m’y exerce.

J’arrête de travailler à 38 semaines de grossesse. Je suis énorme, j’ai de la difficulté à marcher et j’ai vraiment hâte que le travail commence. Je n’ose pas encore parler d’accouchement, je trouve ça présomptueux. Je parle plutôt de la naissance ou de l’arrivée du bébé, mais je commence vraiment à croire que ça se passera bien.

J’ai cependant peur de dépasser le terme. Le gynécologue que j’ai vu pour la mesure de ma cicatrice était plus encourageant que ce que je croyais concernant les déclenchements. Ce n’est pas contre-indiqué si le col est complètement effacé et dilaté à au moins 2 cm, mais je ne suis pas encore là. J’ai accepté le décollement des membranes à partir de 39 semaines (même si je suis contre en théorie), parce que cela réduit les risques de dépassement et que je ne veux pas ajouter une source de stress.

À 40 semaines et 4 jours, je me lève pour aller aux toilettes vers minuit. Je constate qu’il y a beaucoup de liquide. Les membranes ont rompu. Je suis d’abord soulagée. Cette fois-ci, je n’aurai pas le stress d’approcher les 42 semaines. Mais je réalise rapidement que le compteur commence à tourner. Si le travail ne commence pas dans les 24 prochaines heures, il faudra me transférer à cause des risques d’infection (sont-ils vraiment documentés?). J’appelle Louise (nom fictif), la sage-femme qui est de garde. Elle vient m’examiner. Il n’y a pas de progrès depuis le dernier décollement. Elle nous conseille d’essayer de nous reposer pour l’instant et d’attendre au matin avant d’essayer de stimuler le début du travail. Je réussis à dormir un peu malgré l’anxiété.

Vers 7 h, toujours pas de contractions. J’appelle Cathy pour lui faire part des derniers événements. Elle arrive chez moi environ une heure plus tard. Louise repasse aussi nous voir en début de matinée. On explore les différentes options. Je fais plusieurs séances de tire-lait électrique. Même si je suis sceptique, on se procure des granules homéopathiques et on prend même rendez-vous chez l’acuponcteur. On s’y rend à pied, espérant que le mouvement et la gravité feront leur œuvre. Je craque pendant la première séance. Ça fait deux ans que je me prépare pour ce grand moment, pour enfin avoir une chance de me racheter. Pourtant, je n’aurai peut-être même pas l’opportunité de l’essayer! Cathy et Louise voient ma détresse et me demandent ce qui me ferait le plus de bien à ce stade. J’ai seulement envie de prendre ma guitare et de chanter. On retourne donc à la maison et je m’installe sur le ballon avec ma guitare. Comme d’habitude, ça me fait du bien, ça m’apaise et ça libère mon surplus d’émotions. Mais je ne me sens pas du tout sur le point d’accoucher. La présence de Zoé commence à être dérangeante. Ma mère l’emmène chez mon père. J’aurai deux autres traitements d’acuponcture durant la journée, sans aucun résultat. On parle d’huile de ricin. Louise n’est pas convaincue. Elle dit que c’est violent et qu’on ne sait pas trop l’effet que ça peut avoir sur un AVAC. Je réponds qu’une césarienne, je trouve ça très violent aussi, mais en réalité, je ne suis pas du tout à l’aise avec l’idée de perdre le contrôle de mes intestins. On décide finalement de ne pas le tenter, choix que je conteste encore aujourd’hui. Louise croit qu’on serait mieux de transférer à l’hôpital en fin d’après-midi plutôt que d’attendre en pleine nuit. On risque ainsi de trouver un personnel plus accommodant. Je refuse. Si je dois transférer, ce sera à la dernière minute. En fin d’après-midi, Cathy nous suggère de monter la piscine de naissance qu’on a achetée pour l’occasion. Le fait d’être dans l’eau aura peut-être pour effet de me relaxer et de suggérer à mon corps qu’il est temps qu’il fasse son travail. On passe près de trois heures dans la piscine. Tom, que je trouvais très distant ces derniers temps, est soudainement présent. Il m’aide à faire mes exercices de visualisation. Je réalise tout de suite qu’il a été coaché par Cathy et je lui en suis reconnaissante. Les filles reviennent vers 7 h. Louise m’examine encore. Rien n’a bougé. On se met d’accord pour transférer à minuit s’il n’y a pas de nouveau. Cathy nous suggère d’aller marcher. On opte pour Rocher Blanc. C’est sur le bord du fleuve, c’est tranquille. On s’y promène pendant près d’une heure avec le vent de janvier qui pince en répétant I will give birth comme mantra. Je trouve que ça « punch » plus en anglais. Une partie de moi trouve ça ridicule, mais je n’ai vraiment rien à perdre. Finalement, on revient chez nous vers 22 h et on décide de se reposer.

À minuit, on se rend à l’hôpital. Je fonds en larmes pour la Xième fois. Louise et Cathy nous rejoignent. La gynécologue qui nous reçoit accepte d’attendre au lendemain avant de planifier une césarienne à condition que je sois sous antibiotiques pour prévenir la plupart des infections. Mais elle nous explique que cela ne sera efficace que quelques heures. On se repose un peu tous les deux collés sur le minuscule lit d’hôpital.

6 juin 2012
Charlotte a eu 17 mois il y a deux jours. Je nage dans mes souvenirs d’enfantement depuis quelques semaines. J’ai fait visiter la Maison De Naissance à une amie à nous qui aimerait y être suivie pour sa grossesse. Je me doutais que ce serait émotif et j’avais raison. Surtout lorsque je lui ai présenté les deux sages-femmes en disant que Louise  était là quand j’avais essayé de donner naissance à Charlotte et que les deux sages-femmes m’ont répondu en même temps : « Ben non, dis pas que t’as pas accouché! » (!&!*&!?*!&?!! Que je le dise ou non, un fait demeure : JE N’AI PAS ACCOUCHÉ!) J’ai justement aussi écrit un article sur les phrases plates (celle-là en fait partie) à dire aux femmes ayant subi une césarienne pour la revue En attendant bébé et je suis en train de considérer pour la première fois de porter plainte contre l’anesthésiste qui m’a endormie sans mon consentement. C’est en essayant de formuler un premier jet que je tombe sur mon récit inachevé.

Les contractions que j’espérais tant ne sont pas venues avec le matin. Nous attendons que la nouvelle gynécologue de garde passe nous voir. Mon col n’a pas bougé et la gynécologue n’a rien de neuf à proposer. Mon col n’est toujours pas assez mûr pour un déclenchement et elle reparle des risques d’infection qui supposément sont trop élevés pour attendre plus longtemps. Pourtant, ce risque n’est apparemment pas connu ni des sages-femmes ni des gynécologues. J’accepte donc une autre césarienne, parce qu’on réussit à me faire assez peur avec un risque mal documenté. J’en veux à Louise de ne pas avoir été plus informée, mais je m’en veux encore plus de ne pas avoir fait de recherche sur le sujet. J’avais prévu plein de scénarios (peut-être trop), mais pas celui-là. La césarienne est donc planifiée pour la matinée. J’ai établi un plan de naissance très clair. Il n’est pas question de reproduire le même scénario qu’à la naissance de Zoé. Au final, ce plan est loin d’être respecté dans sa totalité, mais je sens quand même que le personnel y est sensible.

8 décembre 2012
Je ne vais pas très bien. Il y a un peu plus d’un an, j’ai pris conscience que je n’avais pas à pardonner (à moi, à la sage-femme, au gynéco, à l’anesthésiste, aux infirmières, à la société et à la vie en général) ce qui s’est passé, parce que c’est à mes yeux impardonnable. Tenter d’accepter serait comme une trahison envers moi-même. Suite à cette révélation, je réussissais à garder mon traumatisme sous contrôle, sauf deux ou trois épisodes mensuels que je gérais assez bien. Mais dans les derniers mois, j’ai été confrontée à beaucoup d’autres sources de stress d’origines diverses et mes batteries sont à plat. Pendant 3 semaines, les 2-3 épisodes par mois se sont transformés en 2-3 par jours. Je voyais la dépression s’installer et j’ai eu peur. J’ai décidé de réduire toutes mes activités au minimum, de me concentrer sur l’essentiel et de revoir la psychologue que j’ai vue en trois phases déjà depuis la naissance de Zoé. En une semaine, je me sens déjà beaucoup mieux. Mais c’est de courte durée, et après un autre trois semaines, j’ai encore l’impression de sombrer. Je savais très bien que la naissance de mes filles n’était pas une histoire réglée, mais je ne m’attendais pas à ce que ça ressurgisse avec autant de force quand je suis à terre pour d’autres raisons. Comme si une bête attendait dans un coin que je sois fragile pour pouvoir mieux attaquer. Je suis très active sur la page Facebook de Momma Trauma, une page dédiée à la violence périnatale et au syndrome de stress post-traumatique suite à l’accouchement. Je m’en doutais déjà, mais c’est de plus en plus clair pour moi que c’est le bon diagnostic. Plus que jamais j’envisage de porter plainte contre l’anesthésiste en particulier et les pratiques obstétricales du centre hospitalier en général. Ce témoignage me servira de base dans mes démarches. Zoé aura quatre ans dans une semaine. C’est un bon moment pour continuer.

Je veux avoir l’assurance que je ne serai pas séparée de mon bébé et que je pourrai allaiter dans la salle de réveil. On ne peut pas me le garantir. L’infirmière dit qu’elle amènera le bébé dans la chambre de réveil si elle a le temps. Je la sens sincère et compatissante, mais elle a quand même un travail à accomplir et elle est débordée. Je mange un peu en cachette avant de me faire dire que je dois rester à jeun. Ça m’insulte. Je sais que c’est au cas où ils « doivent » faire une anesthésie générale, mais sachant très bien que ce n’est pas ce qui a arrêté l’anesthésiste la dernière fois (j’avais mangé et bu comme je voulais avant d’arriver à l’hôpital), j’ai l’impression qu’on rit de moi. On veut que je mette une jaquette d’hôpital et que j’enlève mes sous-vêtements. Je n’en vois pas la nécessité à ce stade et je trouve ça humiliant. On argumente, mais il n’y a rien à faire. C’est apparemment le protocole.

Je pars sur une civière pour la salle d’anesthésie. Je pleure silencieusement, Tom à mes côtés. Le technicien essaie de se faire rassurant : « Ben oui, je le sais que tu as peur, mais tu vas voir, ça va bien se passer. » J’ai envie de hurler que je n’ai pas peur, mais que je suis triste, fâchée, indignée, désespérée, détruite!!!!!!! Mais à quoi bon? Lui aussi, il fait juste son travail. J’insiste beaucoup pour que Tom assiste à l’anesthésie. Rien à faire. Je me retrouve encore une fois seule entre les mains du personnel médical en qui je n’ai aucunement confiance. On procède à la rachidienne. Bientôt, j’ai de la difficulté à respirer et je suis un peu paniquée. Ça ne semble pas les impressionner, ils sont habitués. Tom revient pour l’opération. On a tenté de négocier qu’il reste avec bébé si je dois en être séparée, mais que Cathy m’accompagne en salle de réveil. Là aussi, on se bute à un mur. Je devrai encore une fois vivre cette étape seule. Ils procèdent à la chirurgie. Ils sortent le bébé et cette fois, je peux moi-même découvrir que nous avons une autre petite fille. Je dois insister pour qu’on la mette sur moi tout de suite. Je crie. Tom insiste en français du mieux qu’il peut. Est-ce qu’ils font exprès ou quoi? Pas besoin de l’essuyer! Ils la déposent finalement sur mon cou pendant quelques minutes, ou quelques secondes? C’est le seul endroit de mon corps que je sens encore. Un des membres de l’équipe m’informe qu’il est en train de me mettre un suppositoire pour la douleur. La raison pour laquelle il ressent le besoin de m’en avertir m’échappe complètement. Est-ce que ça pourrait être plus humiliant? Visiblement, ce n’est pour eux que de la routine.

Finalement, je réussis à avoir ma fille quelques minutes en salle de réveil. Elle doit déjà avoir une vingtaine de minutes de vie. Ses 20 premières minutes, et je les ai manquées encore une fois! J’essaie de la mettre au sein. Elle tète un peu, mieux que Zoé à cet âge. Je suis un peu encouragée. Mais c’est de courte durée. Pas plus de 24 heures plus tard, je commence déjà à angoisser au sujet de la montée laiteuse. L’accouchement que je désirais tant n’a pas eu lieu. Je suis très consciente qu’il me faudra ajouter un autre deuil par-dessus celui de la naissance de Zoé, mais je n’ai pas le temps d’y penser pour l’instant. Je dois me concentrer sur l’allaitement. Je sais très bien que la montée laiteuse peut prendre plusieurs jours et encore plus dans le cas des césariennes, mais ça ne m’empêche pas d’entrevoir le pire. Au bout de deux jours, on m’informe que ma fille fait de l’hypoglycémie et qu’il « faut » commencer à la supplémenter. Après, c’est une jaunisse. Il lui « faut » de la photothérapie. Je suis très consciente que si elle était née à la maison comme prévu, tout cela aurait pris des proportions moindres. On m’aurait encouragée à allaiter plutôt que de s’énerver avec des tests bidon. Mais je n’ai pas l’énergie pour argumenter. On rentre chez nous au bout de quatre jours. Je n’aurai finalement pas de montée laiteuse encore une fois. Césarienne, séparation mère-bébé, stress, fatigue, grand état de tristesse et d’angoisse. Pas exactement un départ optimal une fois de plus.

En résumé, je croyais que mon corps était fait pour enfanter et que la naissance de mes enfants ferait les plus beaux jours de ma vie. Ce fut les pires. Je croyais que comme tous les mammifères, je nourrirais mes enfants exclusivement de mon lait pendant leurs premiers mois de vie. J’ai persévéré avec l’allaitement mixte (préparation commerciale et don de mes amies) au DAA, en tandem même, et je suis fière de dire que je les allaite encore toutes les deux aujourd’hui. La dimension affective est clairement prédominante sur la dimension nutritive, mais bon, c’est une petite victoire dans un océan d’échecs et de déceptions.

Nous avons décidé, pour plusieurs raisons, de ne plus avoir d’enfants. J’essaie de me faire à l’idée que je ne connaîtrai jamais ce que c’est de mettre au monde son enfant et d’avoir un départ optimal pour l’attachement et l’allaitement. Maintenant que cet espoir n’est plus, il ne me reste que la colère, la tristesse, la culpabilité et le ressentiment. Je sais que c’est cliché, mais je ne suis pas prête à les laisser aller. Voilà.

10 novembre 2013
Je me trouve présentement dans un chalet sur le bord d’un lac. Je fais une retraite de  48 heures avec 1 seul point à l’ordre du jour : terminer de rédiger ma plainte. Quelle bonne idée j’ai eue! Je procrastine depuis beaucoup trop longtemps en me disant que ce n’est pas le moment de me mettre à terre. Évidemment, il n’y a jamais de bon moment pour ça. Aussi bien en finir.

 

– Eli Blanc

#155 Anonyme – La naissance de Liam, Québec

24 Fév

Québec, Janvier 2013

Ce n’est que 14 mois après mon accouchement que j’écris ceci. Avant cela, je ne me sentais pas prête. J’ai essayé à une ou deux reprises, mais j’en étais incapable. C’est en lisant  »Au coeur de la naissance » que j’ai compris pourquoi. Je ne me suis pas sentie respectée. Voici donc mon histoire, que j’ai écris au départ, afin d’en faire le deuil, et que je vous partage maintenant.

21 novembre 2011, 6h30. Je suis dans mon lit, tranquille. Tout à coup, j’entends un  »crac » bizarre qui proviens de mon entre-jambe. J’ai une soudaine envie de me lever. Je me dirige dans le bain car ça ne finit plus de couler. Le temps que mon mari vienne me rejoindre, je vois mes eaux qui sont un peu colorées vertes pâles. Je ne me rends pas compte de ce que ça veut dire, pour le moment.

Nous appellons à l’hôpital; puisque j’ai perdu mes eaux, même sans contractions, nous devons y aller. Heureusement, ma valise et mon plan de naissance sont prêts depuis un bon moment déjà. Demain, c’est ma  »date de péremption »… Et ma médecin prévoit déjà me provoquer dans une semaine si jamais il ne se passe rien d’ici là. À l’époque, je trouvais ça  »rassurant »…!

J’appelle mes beaux-parents pour les informer; ils nous rejoindront à l’hopital. Moi, je suis convaincue que je vais  »sprinter » mon accouchement en 3 heures, tout comme ma mère et ma grand-mère avant elle. J’appelle aussi ma mère, qui est à 2 heures de route, afin qu’elle soit à temps pour voir le bébé lors des visites de l’après-midi. Nous prenons le temps de se faire des bagels pour manger dans la voiture et sur le chemin vers l’hopital, nous sommes très fébriles! Je fais même plusieurs blagues. Je dis à mon mari  »À 12h, je vais être en train d’allaiter! ».

Arrivés au bureau des infirmières, on nous confirme que je resterai à l’hopital. C’est le protocole; j’ai perdu mes eaux et encore aucune contraction. Nous nous installons tranquillement dans une des 2 chambres de naissance. L’infirmière m’invite à me changer et mettre une jaquette d’hôpital. Je n’avais pas prévu en mettre une, je voulais être confortable, mais puisque mes eaux coule et que je dois mettre une grosse serviette, j’abdique. On me branche aussi sur le monitoring, puisqu’elles sont vertes. Tout est normal, le coeur du bébé bat très bien et lentement. On nous dis que c’est probablement du méconium, la première selle du bébé. On me fais une injection également, sans m’expliquer pourquoi. Je resterai branchée jusqu’à la toute fin de mon séjour; moi qui déteste ça. À mon souvenir, je demande si c’est nécessaire. On me dis que c’est préférable. Je déteste les piqûres, alors ça monte mon niveau de stress.

Je ne me souviens plus à quel moment, mais mon mari doit aller faire mon inscription en bas. Je me souviens que je n’aime pas cela, que j’ai hâte qu’il revienne. Ca me semble une éternitée. Je commence à me sentir  »malade »; avec la jaquette, l’injection, les eaux vertes… Je commence à trouver mon expérience désagréable. J’ai hâte que ce soit terminé.

On me fais bientôt un toucher vaginal et on confirme que rien n’a bougé. Ma médecin m’avait dit à mon dernier rendez-vous que j’étais ouverte à 1,5, col à 30%… Hé non. Rien du tout semble-il. Je suis découragée. C’est là qu’on me dis qu’avec les eaux crevées, j’ai 24 heures pour accoucher, sinon c’est dangeureux.

Les deux infirmières qui sont là sont jeunes. Très gentilles. Mais je me souviens dans ma tête d’avoir pensé  »Elles ont jamais eu de bébé surement elles, donc pas accouché… ». Mais malgré tout, elles me font rire… Youpi! Ce sont elles qui vont m’accoucher*. Mais non, à 9h, changement de  »shift ». J’apprends qu’il y en aura aussi un autre à 16h, et un autre à 20h…

*Le terme est bien choisi, dans les circonstances…

Je demande à mon mari de remettre mon plan de naissance à la plus vieille des deux infirmières, qui me réponds du tac au tac  »En principe, je n’ai même pas le droit de le lire ». Je suis complètement abasourdie; moi qui a passé minimum 3 heures à le faire. J’y avais mis BEAUCOUP d’efforts. J’avais fais des recherches pour prendre de bonnes décisions… Mais elle me rassure sur ce qui pour moi est le principal; je veux allaiter et je veux avoir mon bébé peau à peau directement après la naissance. À moins d’une urgence, c’est le protocole.

On me propose le pitocin vers 8h30. Je dis non; je veux marcher, faire du ballon… J’ai encore beaucoup de temps devant moi après tout? Alors on marche, mais leeeeentement. J’ai vraiment le sentiment d’être malade, entre autre à cause de tout ces fils qui pendent à mon bras. Ce n’est pas agréable. Je réussi à me faire enlever les fils, le temps que je bouge un peu. Par contre, je dois revenir de temps en temps pour le monitoring. À un moment donné, je suis tannée de marcher car je suis en jaquette d’hopital et il y a plusieurs inconnus dans les corridors de la maternité. Je préfère les marches, où nous sommes seuls, mais disons qu’après un bout, je suis tannée. Les hopitaux m’ont toujours déprimé. Et j’ai vraiment le sentiment que je veux être dans ma bulle; la chambre, c’est la meilleure  »bulle » que je puisse demander.

À 9h, la nouvelle infirmière vient se présenter. Elle ressemble à une de mes proches, que j’aime beaucoup… Mais pas le genre de personne que je voudrais qui soit présente à mon accouchement. Elle est plutôt froide. Sérieuse aussi. Elle me propose encore le pitocin…

Vers 11h, après 2-3 toucher vaginaux (que je demande puisque je stress – le travail avance t-il ou non? Le temps continue d’avancer… Il ne me reste qu’environ 19 heures pour accoucher!), rien n’a encore bougé. Je dis donc que je suis prête à recevoir du pitocin, ce que l’on s’empresse de faire.

Mon mari va dîner peu de temps après et c’est ma belle-mère, qui vient le remplacer. Je commence à être fatiguée (l’hopital m’épuise)… Je ris parfois, mais je pleure aussi. J’ai hâte qu’il revienne… Ma belle-mère est super correcte avec moi, mais ce n’est pas elle que je veux. Je me demande pourquoi on a pas voulu servir un diner d’hôpital à mon mari.

La porte de la chambre de naissance est ouverte la plupart du temps. À noter que dans mon plan de naissance, je demande à ce qu’on interdise l’accès à la chambre à tous le monde. Sauf que … la porte est toujours ouverte. Et il n’y a aucune surveillance. Des gens passent devant la porte régulièrement. Je me souviens avoir pensé dans ma tête  »Y’a trop de monde… ». Je me sens comme un freak show.

A ne pas oublier; je suis en robe de chambre et j’ai une grosse serviette entre les deux jambes que je dois changer aux 15 minutes; ça coule encore…

À partir de 13h, les contractions commencent, assez aprubtement, merci au pitocin… Ma belle-mère quitte peu de temps après. Je ne me souviens plus des heures rendu là cette étape, mais ça commence à faire mal, très mal… Je demande parfois à boire. Je demande si je peux aller marcher. Bref, des petites demandes bien ordinaires pour une femme qui est en train d’accoucher. Mais on me fais sentir comme une enfant qui fait des caprices.

Le monitoring me donne l’impression que mon bébé est en danger de mort. À tout moment, je m’imagine qu’il commence à faire des bruits et que les infirmières entrent dans la chambre en courant. J’ai l’impression que si le rythme change, je me ramasse avec une césarienne automatiquement. Ca deviens donc une obsession; je regarde le monitoring à toutes les 1-2 minutes. J’ai mal. Je me crispe à chaque contraction. Je n’exprime pas mes sentiments. Je me sens seule, mais en même temps, je me sens envahie. J’entends les infirmières dans le corridor. Je sais que ma famille aussi est dans le corridor, à attendre que j’accouche… Pourtant, le travail avance très peu.

Vers 18h, je demande l’épidurale; je suis enfin à 4 centimètres. Ca va venir beaucoup plus tard, vers 21h. Mes contractions s’intensifient. Je me sens paniquée, je veux crier mais je me retiens car il y a d’autres gens à l’entour et je ne veux pas qu’ils m’entendent. Dans ma tête, je perds totalement le contrôle. Je ne me concentre pas sur mes contractions ou respirations, je me concentre sur garder le contrôle pour ne pas déranger/avoir l’air folle.

Un moment donné, on me propose d’aller dans le bain tourbillon. Je ne veux pas sortir de la chambre en robe d’hopital… Il y a pleins d’étrangers dans le corridor! Je mets ma robe de chambre que j’ai apporté, mais avec les fils, c’est compliqué, c’est long… Et je me déplace à la vitesse d’une personne âgée, toujours avec l’impression que je suis gravement malade.

En sortant dans le corridor, je vois ma famille… Je sens qu’il faut que je fasse ça vite. Ils attendent après moi… Mais en même temps, je ne veux pas qu’ils quittent, car leur présence fait en sorte que je me sens plus  »chez moi », dans cet hopital si froid.

Le bain, ça me fait du bien. La pièce est chaude, petite, l’éclairage est doux. Mon mari est là. Je me sens bien, malgré les douleurs incroyables. Sauf que je stress, car selon l’infirmière (qui a changé encore, soit dit en passant), j’ai un temps limité. D’un coup qu’une autre femme enceinte en aurait besoin. Je stress donc de perdre ma place. Je me souviens avoir pensé  »je veux accoucher ici ». Je suis nue devant la petite infirmière qui semble etre plus jeune que moi. Je me sens gênée, mais j’ai tellement mal, et elle est quand même gentille.

Elle dit aussi, entre deux visites, que le concierge doit venir laver le bain entre deux utilisations, alors je stress pour ça aussi. Je me souviens penser  »d’un coup qu’il entre sans cogner ». Ce n’est pas tant que je suis pudique, mais je me sens vulnérable, nue et en contractions. Il faut dire que, je ne sais plus pourquoi, mais pendant un petit moment, mon mari est disparu. Je suis donc seule. L’idée de me faire voler ma place dans le bain m’agace trop. Et j’ai chaud. Je décide donc de retourner dans la chambre.

À deux reprises, parce qu’on me dis que je ne peux plus me lever, l’infirmière me rentre une aiguille dans l’urètre pour enlever l’urine de ma vessie. Ca me fait extrèmement mal. Je pleure. On ne m’explique pas pourquoi on dois faire cela et dans ma tête, je pense  »ma vessie va exploser si on ne le fais pas ». Alors je suis stressée, je veux refuser le traitement mais je dis oui quand même, par peur.

5 membres de ma famille, qui étaient dans le corridor, décident de partir. Ils entrent dans la pièce comme si de rien était et me disent qu’ils vont revenir le lendemain matin. Je me souviens avoir pensé  »Je m’en fou! Pourquoi on les as laissés entrer!? », mais en même temps, j’ai le sentiment de me sentir encore moins à mon aise. Que je le veuille ou non, le pourcentage de  »connus » dans l’unité de naissance vient de diminuer. Ca m’angoisse.

Je suis épuisée. Je commence à me fâcher pour avoir l’épidurale au plus vite. Quand l’anesthésiste arrive, je suis tellement contente. L’épidurale se passe bien, mais c’est stressant; je ne dois absolument pas bouger. Et j’ai aussi un profond sentiment d’échec immense qui m’envahit.

Après quelques minutes à demander quand ça fera effet, je me sens plus mes contractions. Je me sens vide… C’est comme si les contractions m’apportaient une chaleur et que maintenant, je suis seule dans le froid. On ferme les lumières de la chambre… Je somnole… J’ai hâte de pousser, mais ça me stress en même temps. Je suis un peu dans les vappes.

On dis à un certain moment que la dose de pitocin va être diminuée, il est trop fort. Le temps entre le 9 et le 10 de l’ouverture du col me semble une éternité. Finalement, la médecin (que je n’ai jamais rencontrée de ma vie) me dit que je peux commencer à pousser, mais ne semble même pas certaine que je suis ouverte à 10… Insécurisant!

Je pousse. Mon mari est à ma gauche mais j’aimerais qu’il soit plus près de mon corps. L’infirmière de nuit (une des deux premières du matin) est là et me dit  »Vas-y… Vas-y… ». Je vais avoir cette voix dans la tête plusieurs mois après mon accouchement. Je ne sais pas pourquoi, sur le coup, ça m’encourageait, mais après, ce souvenir m’agresse et me fais sentir toute croche. Comme si j’étais un enfant à qui on disais quoi faire. Comme si c’était elle qui fesait le travail à ma place.

Je pousse pendant 1h30. Entre les contractions, je somnole et je suis dans les vappes. On me donne de l’oxygène. Au moment ou je commence à me sentir bien dans ce que je fais, en confiance, j’entends qu’il est possible qu’on ne me donne pas mon bébé tout de suite à cause du méconium dans les eaux; ils doivent enlever les sécrétions du bébé. Je me souviens que ça me stress. Je veux être la première à prendre mon bébé, à le toucher! Je me souviens même à penser  »J’aimerais aller le chercher moi-même, mais ce n’est pas possible; j’ai l’épidurale ».

À un certain moment, je sens une tension dans la salle et j’entends que je devrai peut-être changer de position si la tête du bébé reste coincée. Je crois qu’on me demande de pousser même si je n’ai pas de contraction; gros stress, encore une fois. Je pousse de toutes mes forces. Je sens que ma tête va exploser. Mais ENFIN! Mon bébé sort!

À la sortie, on mets mon fils sur moi et je me souviens avoir pensé  »Ne me l’enlevez pas… ». Mais on le prends quelques minutes pour je ne sais quoi. Je dis à mon mari de rester près de lui. Moi, je dois évacuer le placenta. Je veux mon bébé, je veux le voir… Donnez moi mon bébé…

La médecin me recoud car j’ai déchiré au 2e degré. Je sens tout ce qu’elle fait, ça m’agresse au plus haut point. Je lui demande plusieurs fois si c’est bientôt terminé. C’est long… Ca me semble une éternité. Je veux mon bébé… Personne ne me prête attention. J’aimerais des encouragements, mais ils sont tous en train de s’occuper de mon fils, qui est en parfaite santé.

Quand on mets mon fils sur moi, je demande à l’allaiter. L’infirmière, me dit comment faire. Je me souviens de penser dans ma tête  »Elle a même pas de bébé elle, pourquoi elle me dit quoi faire? ». Je crois que si on m’avais laissé la chance d’écouter mon instinct, moi et mon fils, nous aurions sû comment. La première tétée se passe bien, sans douleurs. Mon bébé sent tellement bon. Je veux que cette première tétée dure toute la vie… Mon mari prends quelques photos. Enfin, la paix. On nous laisse un peu tranquilles.

Plus tard, on nous apporte dans notre chambre, en chaise roulante. J’ai mon fils dans mes bras. C’est très vague. Les lumières sont toutes fermées dans le corridor, mais je me souviens qu’il y a quelques étrangers autour. Je me souviens de penser  »Regardez ailleurs ». C’est comme si le mammifère en moi voulait protéger son bébé.

Les premieres heures sont vagues. Je me souviens d’être tellement heureuse avec mes amours, malgré tout. J’entends constamment les bébés de la pouponnière pleurer. C’est si triste! Mon mari va dormir à la maison, puisque le minuscule lit dans la chambre est inconfortable. C’est ma belle-mère qui reste avec moi. On me dis sans cesse d’essayer de dormir, mais j’en suis incapable. Je veux mon bébé. Profites-en, ils me disent, il dort! Tu dois récupérer!

Mais moi, je veux mon bébé dans mes bras. Je n’ai pas envie de dormir… Ma belle-mère berce un peu mon fils, et ça ne fait pas mon affaire. Je ne comprends pas pourquoi je me sens ainsi, mais c’est comme ça. Je me souviens être fâchée du sentiment d’impuissance qui m’habite depuis que je suis entré dans l’hôpital. Mais encore là, je ne dis rien. J’ai encore le sentiment d’être malade, que les autres savent mieux ce qui est bon pour moi.

Je décide d’aller prendre une douche, en soirée. Je dois passer a coté de pleins d’hommes qui sont en visite. Je me sens nue, je me sens mal… J’ai peur de tomber et de m’évanouir dans la douche. Je suis toute seule, j’ai peur que quelqu’un entre dans la pièce, qui n’est pas barrée. Je veux retrouver mon bébé et mon amoureux. J’aurais aimé qu’ils viennent dans la salle de bain avec moi, mais on me l’a refusé.

Lorsque la médecin qui m’a suivi durant ma grossesse arrive pour voir le bébé, elle est avec une étudiante… J’avais pourtant demandé pas d’étudiants dans mon plan de naissance, mais il n’a jamais été lu. Je respecte beaucoup l’idée que les étudiants doivent vivre ces expériences, mais moi, après la mienne, je n’ai pas envie de voir personne.

Mon fils et moi avons aussi de la difficulté avec l’allaitement. 3 quarts de travail, 3 infirmières par quart… Pour un total de 9 infirmières, qui me donnent des conseils totalement différents, parfois même opposés les uns des autres. J’ai peur que ça ne fonctionne pas. J’y tiens tellement! Je pleure parfois.

Le reste du séjour se passe relativement bien. Heureusement, nous avons une chambre privée! Nous quittons l’hopital plus tot que prévu, à notre demande. Les dernières heures sont interminables et stressantes. On nous donne l’impression qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Et l’épée de damoclès reste sur nos têtes, même rendus à la maison; la fameuse jaunisse.

De retour à la maison, malgré les difficultés d’allaitement, malgré le manque de sommeil, tout ça nous rends extremement heureux. Je suis comblée. Enfin dans nos affaires. Je peux maintenant accueillir mon fils, réellement.

Malgré le fait que d’accueillir mon fils fut le plus beau moment de ma vie, voici le souvenir que je garde de mon accouchement; Je me suis sentie comme une enfant qui fait une bêtise à qui on dis quoi faire, que l’on punis. Je me suis sentie violée dans mon intimité, rien de moins. Je me suis sentie seule, malgré la présence de mon mari, qui, je l’ai su par la suite, s’est senti aussi mal que moi dans tout ça.

C’est pourquoi, pour mon deuxième accouchement, je ferai des choix différents. Je veux que cet accouchement soit le nôtre; celui de notre futur bébé, le miens, celui de mon mari et celui de mon fils, grand-frère. J’ai espoir que cet accouchement sera à notre image; naturel, simple et tout en douceur. J’espère que la vie nous donnera bientôt cette chance…

-Anonyme

#138 Anonyme – La naissance de Frédéric

23 Fév

Samedi 29 décembre – 41semaines et 3 jours…

Ce matin-là, je me rends en salle d’accouchement pour effectuer le test de réactivité fœtale que j’ai accepté, inhérent à ma grossesse postdatée. Après avoir pesé le pour et le contre, je décide aussi de demander le décollement des membranes ce jour-là. Je préfère vivre des épisodes de contractions douloureuses pendant quelques jours plutôt que d’avancer dans le temps et voir la menace de l’induction se préciser…

Le test de réactivité fœtale est très normal, et docteur P. exécute le décollement de membranes sans sembler vraiment convaincue de l’efficacité du geste; mon col est encore épais. C’est sans compter les autres efforts fournis depuis plusieurs jours pour déclencher le travail…

En après-midi, je me rends chez mon amie qui a eu son bébé la veille. En chemin, je sens quelque chose couler sans que cela me paraisse alarmant. La visite chez mon amie me fait presque oublier un temps que je ressens quelques crampes depuis le 27 au matin, et que là, elles commencent à m’empêcher de m’assoir confortablement…

Sur le chemin du retour, quelque chose coule encore à plusieurs reprises…Il est environ 17h00.

Vers 18h00: je commence à penser sérieusement que je suis tranquillement en train de perdre mes eaux, …mais je n’en suis même pas sûre ! J’hésite à prévenir notre accompagnante, mais mon mari m’invite quand même à le faire. Le texto à peine envoyé, je ressens que les crampes sont de plus en plus inconfortables: je ne peux pas me baisser comme mon ainé me demande de le faire pour prendre son livre dans la bibliothèque…

19h00: Pendant que nous soupons, je réalise que c’est cette nuit que tout se joue. Je continue à perdre mes eaux et j’ai maintenant quelques vraies contractions qui me semblent déjà bien rapprochées. Rien de très douloureux cependant. Mon mari et moi sommes fébriles et heureux. Enfin, nous allons voir notre bébé !

Pendant que mon mari et mon fils lisent des histoires, je vais prendre une douche chaude. La régularité des contractions reste la même, mais ouach…ça commence vraiment à faire plus mal…Je préviens notre accompagnante que « l’aquarium se vide ».

20h00: Nous couchons notre fils. Je fais habituellement ses soins seule alors que mon mari est sous la douche, mais exceptionnellement, je lui demande son aide. J’arrive à ne pas trop montrer à mon fils que j’ai mal, mais jouer avec lui à l’attraper pour mettre sa crème et son pyjama est au dessus de mes forces.

20h15: Notre fils est couché. J’annonce à mon mari que j’ai mal et que je sens que c’est maintenant, tout de suite, que je dois créer ma bulle. Je texte notre accompagnante pour faire le point sur la situation. Je n’ai pas encore besoin d’elle, et nous n’avons même pas encore minuté les contractions…À ce stade, j’ai juste besoin de savoir qu’elle est prête et que tous les éléments sont en place pour que je puisse laisser mon corps travailler. Je démarre le CD de sophrologie, tamise les lumières de la chambre, m’installe sur le ballon et commence à minuter mes contractions. Ça y est, je dois déjà les respirer…

20h44: Les contractions sont au 4mn30, et durent environ 40secondes. Et je dois me concentrer sur chacune d’entre elle. Toujours par texto, j’avise notre accompagnante. Je demande mille et une choses à mon mari en même temps: fermer les valises, faire les points d’acupression, appeler la gardienne de notre aîné…Il y va méthodiquement, mais activement.

20h46: Le texto de notre accompagnante annonce qu’elle saute dans sa voiture. Mon mari lui confirme de vive voix qu’il est temps qu’elle s’en vienne. Les contractions se rapprochent…Au moins de 4mn…Le ballon me fait beaucoup de bien, je me concentre sur la voix du CD de sophro.

vers 21h15: Tout est calme dans la maison. Notre accompagnante arrive et me rejoint doucement dans ma bulle. Elle regarde le minutage des contractions et trouve que le travail avance vraiment bien. Je le savais mais j’aime l’entendre me le dire. Les considérations matérielles terminées, mon mari entre à son tour dans ma bulle. Lui et notre accompagnante se relaient en points d’acupression et compresses d’eau chaude dans le dos.

vers 21h45: Le ballon ne me convient plus. La douleur vient d’augmenter radicalement. Je me laisse aller dans la vague de douleur de chaque contraction et ma voix accompagne le mal. Je suis bien à genoux sur le lit, accotée sur tout un tas de coussins. Je m’accroche au son du cd de sophrologie, et aux murmures de mon mari et de notre accompagnante. J’ai chaud. Je sais que Nathalie (la gardienne) est arrivée, qu’elle est dans la maison, et que quoi qu’il advienne, notre fils est entre de bonnes mains.

vers 22h00: Les contractions se rapprochent. Les points d’acupression ne me soulagent même plus. Notre accompagnante m’annonce calmement: « S., tes contractions sont au moins d’une minute »…Je comprends que je dois prendre une décision; celle de quitter le nid. Je demande à mon mari d’appeler Pierre, notre ami taxi qui devait nous mener à l’hôpital. Pierre est hors de la ville, c’est donc notre accompagnante qui nous conduira. Je m’habille tant bien que mal, et je débarquerai à l’hôpital en haut de pyjama. Je me concentre fort, car je redoute le trajet en auto et la marche dans les couloirs de l’hôpital. Je visualise les images que je m’étais créées. Toutes avaient pour thème la mer. J’y ajoute celle suggérée par Isabelle Brabant: le petit bouchon de liège qui flotte sur la houle et qui se rapproche du rivage. Je prends une dernière contraction sur le seuil de notre appartement, et on lève le camp.

Dans la voiture, je peux me mettre à genoux pour prendre chaque contraction. Je garde les yeux fermés et je me concentre toujours très fort sur mes images. Elles défilent dans ma tête à une vitesse folle. Comme des flashes. Je me rendrai compte plus tard qu’elles étaient le reflet parfait de l’intensité de mon travail. On dirait que ça pousse déjà…Je ne le dis pas car je ne suis pas sûre de ce que je ressens et que le formuler me rendrait nerveuse…Je fais confiance à mon corps. Ceci-dit, notre accompagnante me dira deux jours plus tard que j’avais bel et bien dit dans la voiture que ça poussait ! Un nid de poule…deux nids de poule; nous sommes donc sur le boulevard de l’Assomption. Je sais que nous sommes déjà presque arrivés.

Arrivés devant les urgences (c’est par là qu’on rentre en pleine nuit), je me concentre de toutes toutes mes forces sur mes images. Je ne veux voir personne, je ne veux pas que les lumières et l’agitation du service viennent briser ma bulle. Notre accompagnante s’en va stationner et mon mari passe devant moi. Je le suis, toujours les yeux fermés. La marche dans les couloirs de l’urgence bondée est un calvaire. Je laisse aller ma voix et je me fous bien du monde autour. Arrivés devant les ascenseurs, je sens que ça pousse pour de bon. Je hurle. Deux employés tiennent absolument à ce que je monte au 7e en chaise roulante. Je ne veux pas m’assoir, j’en suis incapable: je leur laisse savoir. Ils me demandent encore plus fort de m’assoir. Eh ! Je ne suis pas sourde, j’accouche ! Je leur crie donc sur le même ton que non, je ne m’assiérai pas !

Par chance, l’ascenseur est vide. Une autre contraction sur le seuil de l’ascenseur, et nous sommes aux postes des infirmières.

Au poste des infirmières, nous héritons de l’infirmière que notre accompagnante surnommera affectueusement « buldozer ». Pour toute entrée en matière, l’infirmière me demande, l’air inquisiteur : « À combien était votre dernier examen vaginal ? ». Je crois à une blague : je suis en train de hurler dans les couloirs et elle est en train de me demander ma dilatation ??? Entre deux cris, je lui réponds : « Mais quelle importance ! Ça poussssssssssssssse ! ». Et elle nous expédie dans la chambre d’accouchement la plus proche.

Elle m’ordonne de mettre la jaquette et de monter sur le lit pour me mettre le soluté. En prenant les contractions accroupie, je repousse la jaquette par terre et lui demande de ne pas me mettre le soluté. Elle insiste; moi aussi. Même manège pour les prises de sang…Franchement, ce n’est pas pour l’embêter mais je me sens de toute façon bien incapable de la laisser faire car je dois continuer à me concentrer sur ma douleur. Mon mari m’appuie et refuse en bloc tout le protocole qu’elle tente encore de nous imposer. J’échapperai finalement à tout. Notre accompagnante nous rejoint. Je demande à ce qu’on appelle Docteur A., comme prévu. L’infirmière m’ordonne fermement de monter sur la table car « Ici, on accouche sur le dos ». Je réplique que ce n’est pas du tout ce qui était prévu avec mon docteur. Une chance, l’infirmière en chef (que je ne remarquerai pas) propose d’appeler le docteur de garde, car de toute façon, il est temps de vérifier ma dilatation. On verra alors s’il est à l’aise de me faire pousser autrement. Docteur D. arrive et me pose toutes sortes de questions dont j’aurais bien voulu me passer à ce stade du travail. Il sait quand même respecter ma bulle, et je finis par monter sur la table pour le fameux examen. Je suis à 8 ! Je sens que ça pousse de plus belle. Je prends les contractions sur le côté, le docteur est d’accord pour m’accoucher en position De Gasquet.

À chaque contraction, mon corps pousse presque tout seul ! Je broie la main de mon mari et j’entends la voix de mon accompagnante.

Vers 23h10, je suis complète. L’infirmière buldozer me gueule de pousser à chaque contraction. Moi, je ne l’entends même pas. Ma voix couvre ses ordres de toute façon. Je sens seulement tout le support physique de mon mari et j’écoute juste la voix de mon accompagnante qui m’encourage et me guide. Le docteur m’aide ponctuellement. Je ressens finalement le besoin de me mettre sur le dos. Tout va très vite dans ma tête, et on dirait que j’ai parfois peur que quelque chose ne tourne pas rond. On me rassure, tout va bien. La preuve: le cercle de feu ne tarde pas à se faire sentir. Mon bébé arrive ! Son petit corps glisse en dehors du mien. Quelques minutes plus tard, à 23h42, Frédéric pousse son premier cri et j’ai enfin mon bébé sur moi !

Tout est déjà fini et j’ai réussi ce que je souhaitais tant et ce pour quoi j’ai tant travaillé. Un bel accouchement naturel (en dépit du contexte hospitalier !), clôturé par un bébé en pleine santé, rose à souhait, et qui cherchera le sein à peine déposé sur mon ventre ! Je suis si comblée !

#106 Marie Josée – Naissance d’Olivia à Montréal, Québec

14 Fév

Lorsque j’ai su que j’allais enfin avoir une petite fille, notre premier enfant, j’ai pour la première fois réalisée que j’allais aussi devoir passer au travers d’un accouchement. Malheur ! J’ai tout de suite pensée accoucher sous médication, les yeux fermés parce que ça me terrorisait énormément.

J’ai eu un suivi de grossesse normal avec une gynécologue qui était lié à un hôpital réputé pour leur approche naturelle et respectueuse de la femme. Un suivi typique avec des rendez-vous de 10 min pendant lesquels on touchait mon ventre, me demandait de faire pipi dans un pot et où on prenait ma pression…  on ne me posais aucune question sur mon quotidien, mon état d’esprit, ma préparation à l’arrivée de cette enfant, mes questions restaient prises dans ma gorge devant cette médecin froide et à la course… et pas d’excuse pour le trois heures d’attentes pour ce minuscule 10 minutes de consultation !

Vers sept mois de grossesse, j’ai suivi les cours de préparation à l’accouchement offert par mon CLSC. J’ai eu alors toute une révélation… On pouvait avoir envie de vivre une naissance pleinement, il était possible de sentir passer le bébé, il était possible et même souhaitable d’être mobile… Il m’était tout à coup inconcevable de laisser mon bébé naître sans mon aide physique et mentale. Je ne voulais surtout pas que ce bébé naisse médicalisé. Comment  faire ? Moi la peureuse en terrain inconnu, la fille qui n’a jamais eu d’endurance et qui n’a jamais fait aucun sport qui demande un gros effort physique !

J’ai commencé à lire tout ce que je pouvais sur l’accouchement et sur la gestion de la douleur. Ce qui m’affolait le plus, c’était le sourire en coin des amis, de la famille et de mes collègues de travail qui traduisait le ‘ ouais, ouais… une fois rendue-là, tu vas changer d’idée…’ aucun soutien de nul part sauf de mon amoureux. Le soutien le plus important puisque lui allait m’accompagner dans cette grande aventure.

A ma visite de 40 sem et 4jrs, le médecin m’a demandé si je désirais accoucher mercredi ou vendredi. Quelle surprise ! Toute heureuse, je réserve ma place en salle d’accouchement pour le mercredi parce que je suis pas mal tannée d’être enceinte et j’ai tellement hâte de rencontrer ma fille !! Le médecin ne m’a jamais mentionné les raisons de l’induction et on ne m’a pas parlé des risques associées…  j’avoue ne pas avoir posé de question, je me suis laissé guidée par ‘celui qui sait’… aujourd’hui, je comprend toutes les complications qui peuvent découler d’une induction.. J’aurais aimé être mise au courant à ce moment là.  Elle me remet un petit papier sur lequel il est inscrit Pitocin et juste en dessous, il y a le mot épidurale souligné trois fois. Ça y est, je panique dans ma tête… le cœur serré, je ne suis même pas capable de lui dire que c’est pas ça le plan… je n’en veut pas d’épidurale moi ! Je repars chez moi avec ce minuscule papier qui ébranle terriblement ma confiance en moi. Je trouve dommage quelle n’ait jamais pris la peine de me demander de quoi j’avais envie, ma vision des choses…

Puis l’excitation de cette grande rencontre prend le dessus et nous sommes prêts à partir pour notre rendez-vous planifié à 7am le mercredi matin. Arrivés à l’hôpital, on sent qu’il y a de l’action. On nous installe au triage où on me demande de mettre une superbe jaquette bleue et on me met tout de suite sur moniteur. Personne ne nous explique pourquoi et on nous laisse seul pendant plus d’une heure.  Le médecin finit par arriver vers 9am, elle nous dis qu’ils sont débordé… elle me fait tout de suite un décollement des membranes (sans me demander mon avis) en attendant qu’ils puissent nous placer quelques part. Allez hop, elle m’arrache littéralement le ventre avec ses doigts… je tente de rester calme et centré. J’ose même un sourire ! Je suis tellement polie. Puis elle part et nous dis d’aller marcher. Une infirmière viendra me revoir dans une heure. Puis l’heure passe… rien, pas de contractions … puis deux heures, et puis trois, quatre… toujours personne…. On ne comprend pas du tout ce qui ce passe. On est dans un lieu inconnu, froid.. le personnel est à la course et on ne nous jette même pas un seul regard. Vers 14h30… on nous dit que puisque je n’ai toujours pas de contractions et que nous sommes loin d’une situation d’urgence avec ma grossesse, nous sommes mieux de rentrer gentiment à la maison et de revenir vendredi. Ouff, la claque !  On a attendue toute la journée pour ce faire retourner à la maison. Wow, j’éclate en sanglots dans l’auto. Je suis épuisé. Quelle journée pathétique où je n’ai senti aucune humanité de la part de personne. Je me console en me disant que peut-être bébé arrivera de lui-même d’ici là…

Et c’est le retour à l’hôpital le vendredi matin à 7am. Cette fois-ci, on me met dans une chambre de naissance tout de suite. L’infirmière qui est avec nous est une soie. Je vomi. Je suis tellement sur les nerfs. Elle me perfuse -soluté et pitocin- je déteste les aiguilles. Je me parle, je me calme aussi et je me répète que je suis capable.  Un moniteur de trente minutes et je suis libre de actes. Avant de me laisser me lever, le médecin mentionne à notre infirmière qu’elle donne le ok pour l’épidurale lorsque j’en aurai de besoin. Je fais la sourde oreille mais j’ai une roche dans le ventre… est ce quelle peut reconnaître d’avance celles qui ne pourront pas accoucher sans aide quand elle en voit une ? Est-ce quelle sait que mon plan est foutu d’avance ? Je me ressaisie… non non non, je doit me laisser une chance et surtout, confiance.

Après une longue marche dans les corridors de l’Hôpital, je retourne à ma chambre avec de bonnes contractions. Le médecin vient évaluer le col. Je suis à 4cm, il est 11am. Je lui dis que je gère bien, je suis fière de moi. Elle me fait un clin d’œil et me dit : On s’en reparle tout à l’heure! Puis elle rupture mes membranes. Je sens le mépris, la roche est de retour dans mon ventre. Elle me fait peur.

La douleur devient sombre, profonde. Je demande le bain. Mon conjoint m’aide énormément. Il est en confiance, il me fait confiance, je le sens et ça me soulage. Il est super attentif, ajoute de l’eau chaude, masse mon corps meurtri. Les contractions se rapprochent, deviennent très intenses. Chaque heure est entrecoupée par un moniteur et une augmentation de la dose de médication. Les contractions ne me laissent plus de répit. Aucune position ne me soulage. Ça y est, je commence à flancher. Une nouvelle infirmière entre. Je ne l’aime pas, elle ne comprend pas ma douleur, ne m’écoute pas….  Je demande à être soulagé.  Je n’en peux plus, sortez cette enfant comme vous voulez mais laissez moi pas comme ça !

Mon conjoint me parle doucement, prend les choses en main. Je demande l’épidurale en pleurant. Il me dit que ce n’est pas ça le plan. Me demande de retourner au bain avant de prendre la décision finale. J’accepte à reculons en me disant qu’il ne comprend pas lui non plus que je vais mourir. Dans ma tête,  il n’y a pas d’autres options.

Puis un autre changement d’infirmière à 16h amène un vent de fraîcheur. Elle me dit avoir lu mon plan de naissance (enfin on prend mon avis !). Elle me dit aussi quelle est au courant que j’ai demandé l’épidurale. Elle me demande pourquoi. J’ai mal. Elle me propose un examen avant. 7cm. Elle me dit quelle pense que je suis capable et que je n’ai pas besoin de l’épidurale. Elle me regarde dans les yeux, elle est sérieuse ! Je la crois. Je vais dans le bain et annule l’épidurale. Elle ne reste pas loin. Je sais qu’en cas de besoin, cet ange va m’aider. J’ai mon amoureux qui est tout entier avec moi. Il m’encourage. Je me sens en confiance. Puis une nouvelle pression ce fait sentir dans mon bassin. Je pense que c’est enfin le moment… celui de pousser mon bébé. Je sors de l’eau. De retour au lit, les contractions sont complètement folles. J’ai beaucoup de difficulté à rester là. Je pense encore une fois mourir. L’infirmière me propose le gaz hilarant… il ne me reste qu’un tout petit cm à faire. Je prends 2 grandes respirations dans le masque et je préfère ne plus l’utiliser… ouff… la sensation de voler au dessus de mon corps me laisse perplexe. Je préfère de loin la douleur au sentiment d’être hors de mon corps.

Il est 17h, je suis complètement dilaté. Je commence la poussée qui me soulage énormément. Je sens ma petite descendre. Je me sens aussi super agressive. Je crie et je sacre dans ma tête. Je pousse en criant que c’est moi qui vais gagner contre la douleur (toujours dans ma tête)! Puis j’entends mon conjoint qui me dit qu’il voit des cheveux. Euphorie.

C’est une résidente qui est assise entre mes jambes. Je la sens nerveuse. Le médecin devrait être là mais elle n’y ai pas.  La tête de ma fille passe. WAAAAA quelle sensation ! La médecin arrive. J’entends ma fille pleurer… comment est ce possible ? Elle n’est même pas sortie. J’ai tout à coup très peur, très chaud… je sens la résidente hésitante, est ce que tout est ok ? L’infirmière mentionne au médecin que je n’ai pas d’épidurale. Elle ne l’a crois pas, argumente que ça se peut pas… Des portes se ferment devant mes yeux, tout deviens noir. La médecin me dit d’un ton autoritaire : Marie Josée c’est pas le temps ! Tu restes avec nous. La lumière revient et mon bébé atterris sur moi. Extase, euphorie, bonheur ! Mon conjoint pleure, je le regarde et je ne peux pas arrêter de sourire. Elle est là, elle est là notre fille.

Le bonheur d’avoir mon bébé sur moi, de la sentir et aussi de la nourrir me fait oublié la froideur de ce médecin qui ne croit plus a la capacité des femmes à accoucher. Je remercie du fond du cœur cette infirmière qui a été ma lumière au bout du tunnel et qui grâce à ses soins et à sa présence, m’a fait découvrir comment le soutien peut tout changer. Je suis maintenant accompagnante et c’est beaucoup à cause d’elle.

#99 Annie – Québec

13 Fév

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C’était le 27 avril 2011. J’étais à 40 semaines de grossesse, fatiguée, et impatiente de sortir ce petit être de mon corps endolori à cause d’une diastasis de la symphyse pubienne qui me suivait depuis le 4ème mois de grossesse. Je venais de me coucher, quand j’ai soudain crevé mes eaux. Lorsque nous sommes arrivés à la maternité vers 1h15, je ne ressentais que quelques crampes, similaires à celles que j’ai lors de mes menstruations. Mon conjoint et moi étions relativement calmes et surpris de la façon dont tout se déroule. On dirait qu’on s’attendait à quelque chose de plus « spectaculaire » ou je ne sais trop. Mais, à notre grand étonnement, nous étions zen. Bien sûr, il y avait de la fébrilité dans l’air. Mais nous avions le temps de réaliser que LA rencontre approchait. Nous étions heureux comme jamais.

Donc, dès notre arrivée à l’hôpital, l’infirmière nous amena dans une chambre, m’installa le moniteur afin de surveiller l’intensité et la fréquence des contractions ainsi que le rythme cardiaque du bébé. Elle m’examina afin de voir à combien de cm j’étais dilatée et recueillir un peu du liquide que j’avais perdu pour s’assurer qu’il s’agissait bel et bien du liquide amniotique. Positif : j’avais bel et bien crevé mes eaux et j’étais dilatée à 3 cm, effacée à 75%. Comme les contractions étaient régulières mais très faibles et que nous étions en pleine nuit, on me conseilla de me reposer car je risquais d’avoir une longue journée devant moi le lendemain. Wow! Comme si j’étais capable de dormir!!! J’étais bien trop excitée à l’idée de savoir que j’aurais mon bébé dans les bras d’ici quelques heures… J’ai donc passé la nuit à tourner de tous bords tous côtés, en essayant de me lever le moins possible pour ne pas accélérer le travail, tel qu’on me l’avait demandé.

Puis, tel que je l’avais appris dans la formation Hypno-Vie que nous avions suivi au cours des semaines qui avaient précédé l’accouchement, je profita de ces longues heures pour écouter le CD de relaxation qui avait été spécialement conçu pour le moment de l’accouchement. (Pour celles qui ne connaissent pas la formation Hypno-Vie, il s’agit d’un cours qui nous apprend la technique de l’accouchement sous hypnose, dans le but d’accoucher naturellement et avec beaucoup moins de douleur. C’est génial… je vous le recommande chaudement!)

À 7h30, après avoir passé la nuit avec des contractions régulières aux 6 minutes qui n’avaient pas fait progresser le travail, on me transféra dans la salle d’accouchement et on m’administra de l’ocytocine pour stimuler les contractions et accélérer le travail. Eh oui, lorsqu’on crève nos eaux, le protocole veut que l’on accouche dans les 18 heures suivantes pour limiter le risque d’infection. Dans mon cas, il fallait donc que j’accouche avant 18h le soir. Le médecin a donc jugé nécessaire de m’administrer des drogues pour faire accélérer le tout, au cas où. ERREUR!

Vers 9h00, le médecin de jour m’examina et j’étais encore à 3 cm, mais les contractions commençaient sérieusement à être plus fortes. On me dit que le bébé est très bas et qu’il était donc normal que je ressente beaucoup de pression dans le bas du ventre, mais que je ne devais pas m’inquiéter… On m’expliqua que, selon leurs statistiques, un premier accouchement dure entre 12 et 15 heures, ce qui voulait donc dire que je n’accoucherais pas avant la fin de l’après-midi. Je regardai le médecin avec des yeux remplis de terreur et elle me regarda à son tour avec un air qui semblait dire : « Ben, à quoi tu t’attendais ma grande? C’est ça accoucher! ». Je voulais la tuer. Dans ma tête, c’était impossible que ça fasse si mal, si vite. Mais bon, après tout, ils en voient à tous les jours… ils doivent bien connaître leur affaire. Je les ai donc crus sur parole et je les ai laissé m’administrer tout ce qu’ils voulaient. À ce moment, les contractions étaient intenses, mais j’arrivais encore à les « contrôler » grâce à la méthode Hypno-Vie.

À 9h30, je voulais mourir. Je n’avais plus du tout de repos entre les contractions, même pas 15 secondes. Je n’arrivais plus à respirer normalement, ni à parler, ni à marcher. Alors inutile de vous dire que j’avais mis l’hypnose de côté. J’avais totalement perdu le contrôle de mon corps. Je ne supportais plus qu’on me touche, je vomissais, je tremblais de partout… Je décidai donc de déclarer forfait… Moi qui voulais un accouchement naturel, là, je VOULAIS la péridurale, et que ça saute! À mes yeux, JAMAIS je n’aurais pu endurer ça jusqu’à la fin de l’après-midi, comme ils n’avaient cessé de me le dire. Quelques minutes plus tard, le médecin repassa pour m’examiner avant que je reçoive la péridurale. Oh, tiens donc… J’étais à 6 cm. Une progression de 3 cm en 1/2 heure, c’était vraiment excellent selon le médecin. Habituellement, on parle de 1 cm à l’heure. On me demanda donc si je voulais toujours la péridurale, vue l’étonnante progression que j’avais faite. Selon elle, ça irait plus vite qu’elle ne l’avait prédit. J’accoucherais peut-être en début d’après-midi finalement. Mais rendue à ce stade, je n’arrivais plus à réfléchir. Je lui dis de faire comme je l’avais demandé, et de me donner la péridurale. Je ne pouvais plus supporter ça plus longtemps. Elle me dit donc d’aller aux toilettes avant que l’anesthésiste arrive. Ouf… ça me pris tout mon petit change pour réussir à me lever du lit, avec toutes ces contractions qui ne cessaient pas. À 9h55, j’ai réussi de peine et de misère à sortir des toilettes en panique. J’avais un intense besoin de pousser. Je me suis accrochée au cou de mon chum et j’ai poussé, comme ça, debout. Incapable de m’en empêcher. Là, l’infirmière me regarda et me répéta que c’était normal que je ressente une pression car le bébé était bas. Là, ce fût vraiment trop. Je me suis fâchée et lu ai crié que ça poussait vraiment et que j’avais peur que mon bébé sorte et tombe par terre! Elle alla donc chercher le médecin et lui demanda de venir vérifier le col, mais celle-ci refusa en prétextant qu’elle venait de vérifier et que je n’étais qu’à 6 cm. L’infirmière est alors revenue et a décidé de vérifier par elle-même, car elle trouvait que j’avais vraiment l’air d’une fille qui allait accoucher sous peu. Ahhh, encore une fois, surprise! J’étais dilatée à 10 cm et le bébé était juste là… Là, ce fût la panique dans la salle. Il était 10h00. On m’installa pour pousser, le médecin arriva stupéfaite et s’installa immédiatement. On me demanda de faire quelques poussées, ce qui, honnêtement, n’était pas très difficile car mon corps le faisait tout seul! Je ne le contrôlais plus. L’anesthésiste apparût soudain au bout du lit et s’excusa d’être arrivé trop tard. NON!!! Je ne voulais pas qu’il parte! Je voulais ma péridurale! Mais il était trop tard… Le travail était déjà trop avancé. À 10h10, j’ai commencé les « vraies » poussées. Je n’y croyais pas, ça allait trop vite, j’avais peur qu’il y aie une déchirure et j’étais tellement fatiguée de toute cette douleur. Je ne contrôlais plus rien. Puis, à 10h40, après 5 séries de poussées, Zack est né! Pile à la date prévue de l’accouchement. Il avait 2 tours de cordons, mais comme tout s’était déroulé rapidement, aucune séquelle. Il bougeait beaucoup mais ne pleurait pas. Ils l’ont donc amené sous la lampe chauffante et ont aspiré le surplus de sécrétions avec un petit appareil spécial. Moi, j’étais complètement ailleurs. J’avais presque perdu connaissance dans les secondes qui avaient précédé la sortie du bébé. Mais maintenant, je ne ressentais plus rien. Quel soulagement incroyable. Je me sentais à la fois si fatiguée, mais si satisfaite de ce que je venais d’accomplir. Tout s’était tellement passé vite. J’avais l’impression d’avoir rêvé.

Mais soudain, mon bonheur s’est assombri lorsque j’ai constaté l’arrivée d’un spécialiste pour me recoudre… Il semble que la déchirure était si « délicate » que le médecin préféra confier la tâche à un spécialiste. Hum… ça s’annonçait bien. 😦  En plus, on m’informa que je saignais plus que la normale et qu’on devait m’administrer 3 sortes de médicaments pour que ça arrête, en plus de me faire un super massage de l’utérus à toutes les 5 minutes jusqu’à ce que ça soit réglé. Ayoye! J’avais juste hâte qu’on me laisse tranquille, avec mon chum, et notre petit bébé. Heureusement, tout est rentré dans l’ordre rapidement.

Aujourd’hui, tout va bien. Zack aura bientôt 22 mois, et c’est un petit garçon souriant, énergique et très expressif. Il fait le bonheur de tous ceux qu’il côtoie.

Si j’ai voulu raconter l’histoire de mon accouchement, c’est évidemment pour partager avec vous LE moment le plus important de ma vie. Mais SURTOUT, c’est pour que vous reteniez un message très important : votre accouchement vous appartient. Si on vous propose de vous administrer des substances pour accélérer le travail alors que vous n’êtes pas à l’aise avec l’idée, dites-le. Il existe une panoplie d’autres méthodes pour tenter de faire accélérer les choses. Et il faut au moins donner la chance à notre corps de nous prouver ce dont il est capable « tout seul »… Pour ma part, je vous garantie que la prochaine fois qu’on me dira de me reposer parce que c’est la nuit, je me lèverai et j’irai monter et descendre des escaliers pour faire accélérer le tout. Je refuse qu’on décide à quel moment mon accouchement doit avoir lieu et qu’on m’administre des drogues avant même d’avoir essayé autre chose. Dans mon cas, j’ai fait une réaction d’hyper sensibilité à l’ocytocine. C’est ce qui a provoqué une augmentation d’une rapidité inhabituelle de la fréquence et de l’intensité des contractions. Certaines me trouvent peut-être « chanceuse » d’avoir accouché en moins de 3 heures de travail actif. Mais je vous jure que j’aurais de loin préféré que ça prenne 12 heures, mais que j’aie le temps de « vivre » mon accouchement, de mettre en pratique ce que j’avais appris dans mes cours d’auto-hypnose et de partager avec mon chum ce que je vivais. J’avais l’impression que quelqu’un d’autre avait pris le contrôle de mon corps. Un accouchement si intense et rapide, c’est irréel et anormal, tant qu’à moi. Je n’ai pas eu le temps d’apprivoiser les contractions et de « m’habituer » à leur intensité. Elles sont arrivées d’un coup sec, comme un bloc de ciment qui me tombe sur le corps. Bref, posez des questions, exprimez-vous et écoutez votre feeling. Ne soyez pas gênée d’insister. C’est VOTRE corps, et vous êtes la mieux placée pour savoir ce que vous ressentez, même si c’est un premier accouchement. Les statistiques, c’est bien beau, mais à un moment donné, il faut décrocher de cela et écouter notre corps. La preuve : moi, si je ne m’étais pas écoutée, j’aurais accouché carrément debout, accrochée au cou de mon chum, sans médecin. Pourtant… les statistiques disaient que j’accoucherais en après-midi… C’est n’importe quoi! Faites-vous confiance, et tout ira bien! 🙂

#91 « Urgence, respect et empathie? » – Caroline, Canada

12 Fév

Je fais une pré-éclampsie. À 31 semaines de grossesse, sur l’insistance de ma sage-femme, je me présente à l’hôpital pour un bilan. J’ai une douleur, un inconfort au niveau de la poitrine, comme une barre…

Il est environ 13h. Prise de sang, monitoring et autres examens. Pression sanguine un peu élevé,  28cm de mesure utérine (tient c’est bizarre, c’était 28cm il y a 3 semaines au dernier rendez-vous!) La médecin résidente passe vers 14h30. « Bon, on va voir le col maintenant« . Je suis surprise. Je n’ai pas de contraction. Je n’ai jamais eu de contraction. Je me demande à quoi peu bien servir cet examen. La réponse m’étonne: la jeune médecin indique « qu’il lui faut l’information dans mon dossier » tout en installant les étriers. J’insiste: « Pourquoi faire?« . Devant l’absence de réponse qui a un sens, je refuse l’examen. La résidente bredouille un peu mais n’insiste pas. Je m’interroge encore aujourd’hui: à quel point certains gestes et examens sont-il machinaux? À quoi bon un examen si le résultat n’est pas nécessaire à la prise de décision?

Il est 16h30. Je commence à me demander pourquoi je suis ici. Je me sens mieux. Je n’ai plus de douleur dans la poitrine. Ma pression s’est stabilisée. Je serais bien prête à repartir chez moi lorsque le gynécologue de garde se présente. « Madame, dit-il, vous faites une pré-éclampsie gravidique.  Nous ne sommes pas équipés ici pour les grands prématurés. L’ambulance s’en vient et vous aurez une césarienne ce soir. L’infirmière va venir vous installer un soluté et on va vous donner certains médicaments…« 

Grand prématuré. Ambulance. Césarienne. « Pardon? Quoi? » Le médecin sort de la chambre. Je ne saurais dire s’il m’a demandé si j’avais des questions ou autre chose. Je suis en état de choc. J’ai un gros nœud dans la gorge. Je regarde autour de moi avec des yeux aveugles. Césarienne ce soir? Allons donc! C’est ridicule!! Il doit y avoir une erreur… Pourquoi… Comment…  J’ai besoin de comprendre. J’ai besoin de parler à quelqu’un. En pleine détresse, je remarque le téléphone et j’essaie de rejoindre ma sage-femme. « Les numéros interurbains ne sont pas permis à cet appareil » me signale une voix automatisée. Je sanglote de plus belle. J’appelle mon conjoint à son travail et explique la situation tout de travers… il comprend l’essentiel et me dit qu’il s’en vient. J’essaie de joindre mes parents « Les numéros interurbains ne sont pas… » Hurlement coincé au fond de la gorges… sanglots… comment la situation a-t-elle pu passer de « Puis-je rentrer chez moi maintenant? » à « L’ambulance s’en vient. »?!

L’infirmière se présente dans la chambre. Elle installe son matériel. J’essuie mes larmes, tente de retrouver un semblant de calme… et lui demande finalement à quoi servira ce qu’elle fait. Elle est bête comme ses pieds « je fais ce que le médecin dit« . J’insiste. J’ai toujours ce besoin de comprendre ce qui se passe, même si aux yeux du personnel hospitalier, je n’en mène pas large. Devant l’absence totale d’explications et d’empathie, je me rebiffe. Je pense à tous ces récits de naissance qui « tourne mal » et leur conclusion… Ces femmes qui racontent leur expérience… j’en ai lu des tonnes. Ça me faisait rêver. Ça me faisait réfléchir… J’ai lu de belles histoires. Des accouchements comme j’en rêve: humains, qui laisse le temps au temps, où il y a un sens à la douleur et où la force de chaque femme est reconnue. Je suis aussi tombée sur des histoires horribles. Des histoires qui se terminent par des interrogations qui n’ont toujours pas de réponse des années après la naissance. Des violences, des regrets, des questions sans réponses. Dans ces histoires, il y a une constance qui m’avait apparu : la douleur de ne pas comprendre perdure bien après la naissance. Je pense à mon bébé. Qu’est-ce qui se passe, mon bébé? L’infirmière s’impatiente. Je secoue la tête. Je refuse les soins. J’ai besoin de comprendre. Les mains sur les hanches, l’infirmière me regarde de haut « Ben là madame! Vous allez devoir me signer un refus de soin! ». Et elle part puis revient avec son formulaire, toujours l’air furibond. Je lis les termes du formulaire. C’est ridicule. Je suis supposée signer un document qui affirme que les soins refusé m’ont été clairement expliqué. « Je ne peux pas signer ça! » Mais l’infirmière insiste. Je signe en paragraphant dans la marge « NON » et, sous ma signature « Je ne comprends pas les soins proposés« . Voilà. Leur formulaire est signé. L’infirmière est rassurée… même si je ne vois pas en quoi un document « Refus de soin » signé avec une note signifiant quelque chose comme « Je signe mais ce qui est écrit est faux » peut aider qui que ce soit! L’infirmière repart.

Et le médecin réapparaît 2 minutes après. Mon ajout au formulaire doit avoir eu un impact finalement. J’ai toujours l’émotion au bord des lèvres. J’ai du mal à formuler mes questions. Je bégaie. J’essaie de reprendre mon souffle. Je vois très bien où le médecin cherche à en venir. « Madame, c’est pour votre bébé ». « Madame, vous voulez le mieux pour votre bébé, n’est-ce-pas? ». « Madame, si vous êtes venue ici, c’est que vous saviez avoir besoin d’aide. Laissez-nous vous aider« . C’est gros comme le nez au milieu d’une figure. Il me prend pour une irréfléchie émotionnelle. Il cherche à m’intimider et au fond de ma douleur, je sens cette évidence et ça me rend furieuse.

Mon conjoint arrive. Le médecin change de ton. « Monsieur, il faut raisonner votre femme. Expliquez-lui que ces traitements sont nécessaires…« .

Raisonner?!

Me raisonner!!!!!?

Je ne demande que ça, des réponses raisonnables plutôt que des réponses qui me prennent pour un bébé!! Et c’est MOI qu’il faut raisonner!? Je me tourne vers mon conjoint et formule mes questionnements comme je peux, entre les sanglots et la boule toujours dans ma gorge, dans mon cœur, dans mon ventre… Qu’est-ce que la pré-éclampsie? À quoi servent les médicaments? Stéphane relais mes questions au médecin, y ajoute les sienne. Avec mon conjoint, le médecin discute entre adultes alors qu’avec moi, il cherche encore à m’intimider. Malgré tout, les réponses commencent à se frayer un chemin dans mon esprit. Un soluté au cas où l’éclampsie surviendrait et pour administrer les médicaments. Le sulfate de magnésium pour mettre le « système au ralenti », donc fait baisser la pression sanguine et diminuer le risque d’éclampsie. La cortisone pour aider à la maturation des poumons du bébé. Mes facteurs sanguins indiquent une pré-éclampsie avancée… le foie commence à être touché… selon son expérience, c’est toujours une césarienne rapidement…
-Comment rapidement?
-Dès que possible. C’est urgent.
-Mais ça fait 4 heures que je suis ici! Et je ne ressens plus de douleur! C’est quoi « rapidement?! »
-On ne sait jamais à l’avance. Certainement cette nuit.

Il faut arracher chaque parcelle de réponse à coup de dix questions formulées et reformulées! Que c’est laborieux! Quoi qu’il en soit, nous en comprenons que nous n’en sommes quand même pas à la secondes prêt.

Nous sentons le médecin pressé de conclure, de faire revenir l’infirmière. Sa préoccupation, certainement réelle, sur ma santé est complètement masquée par son air pressé, son impatience. Et si on ne fait rien? C’est une question toute théorique. Je veux juste une réponse claire sur les conséquences possible mais le médecin reprend de plus belle avec la santé de mon bébé, avec la césarienne qui est le meilleur choix selon lui. Aucune réponse à ma question.

J’accepte la pose du soluté (sans médicament). J’accepte la cortisone. Je pose encore des questions sur le sulfate de magnésium. Le médecin ajoute, l’air gêné, qu’il faut installer aussi une sonde urinaire. Que ça donne des bouffées de chaleur, que ça rend la réflexion laborieuse. Des détails sans importance, vraiment? Après plus d’informations sur l’évolution possible de la maladie, sur les conséquences, je refuse le magnésium pour le moment. J’ai encore besoin de garder les idées claires sur ce qui se passe.

Il est presque 17h. Un brancardier arrive. Mon conjoint ne peut monter avec moi dans l’ambulance. J’ai encore une réflexion pour les protocoles idiots, d’autant plus qu’il y a deux places à l’arrière dans l’ambulance. Une infirmière qui termine son « chiffre » monte avec moi. C’est l’infirmière qui m’a proposé un sandwich du frigo des nouvelles accouchées, vers 15h, quand je lui ai dis que je n’avais pas mangé de la journée. Nous discutons pendant l’heure que ça prend pour se rendre à l’hôpital universitaire. Elle est très sympathique, très empathique, très calme aussi. Elle répond clairement aux questions que je lui pose, dit simplement quand elle n’a pas la réponse. C’est contagieux. Je retrouve un semblant de calme et l’optimiste remonte.

À l’hôpital, je subis une nouvelle batterie de tests. Prise de sang, mesure utérine, pression sanguine. Personne ne me demande d’examen du col. Je suis transférée dans une chambre d’accouchement. La gynécologue de garde se présente et reviendra plus tard avec nos résultats d’examen.

Un moment donné, notre sage-femme vient nous rendre visite à l’hôpital. Mon conjoint l’avait rejoint pour lui donner des nouvelles. Sa visite nous fait chaud au cœur et nous permet de nous recentrer.

La gynécologue revient. Elle est calme et je sens sa présence lorsqu’elle me parle. Elle répète pourtant la même chose que le gynécologue rencontré à mon hôpital de région. Césarienne ce soir. Mais il est plus facile de réfléchir. Elle nous demande pourquoi j’ai refusé le sulfate de magnésium. Elle écoute ma réponse, ne juge pas ma réaction puérile ou imprudente et répond à nos questions. Et si on attend? Et ne serait-il pas possible que mon bébé naisse par voix vaginale? Je sens qu’elle prend le temps de réfléchir et le temps de me répondre. Même l’idée d’attendre ne semble plus idiote quand nous discutons avec elle: elle explique les éléments d’examen qu’elle a en main, le fait que les facteurs sanguins (dont les éléments relatifs à mon foie) ont empiré en quelques heures à peine. Selon son expérience, ça ne s’améliore jamais rendu à ce point-là. Déclencher serait possible mais encore là, il y a des éléments négatifs à prendre en compte, selon ma situation. Elle les énumère en détails. Elle revient sur le sulfate de magnésium : on peut attendre et surveiller. On nous laisse seuls, mon conjoint et moi. Nous avons du temps pour discuter, pour comprendre la situation, pour flatter ma bedaine et parler à notre enfant.

Oui, la césarienne est la bonne option.

Voilà. La décision est mienne. C’est la bonne chose à faire.

Il est 22h30. La gynécologue revient. Nous parlons des effets secondaires possibles de la césarienne, de l’anesthésie, de la santé du bébé, de la prématurité. Nous signons des papiers. Une infirmière revient pour me préparer à l’opération… Ah, cette fameuse sonde urinaire… Pendant que l’infirmière installe la sonde urinaire, la médecin néonatalogiste vient nous rencontrer. « Euh docteur… vous pouvez attendre quelques minutes, merci… » Mais le médecin répond « Ben voyons, j’ai déjà vu ça, c’est pas grave!! » et elle s’installe à côté du lit et commence à parler de son équipe qui prendra soin de notre bébé, de ses chances de survie, des séquelles possibles. Tout ça pendant qu’on me trifouille entre les jambes, à la recherche de mon méat urinaire (j’exagère, l’infirmière est très compétente). J’échange un regard avec l’infirmière désolée, avec mon conjoint stupéfait. Mon conjoint interrompt le docteur et lui demande de revenir. Je ne sais pas comment il réussit à demander au médecin de sortir aussi calmement. Nous nous regardons, affolés. Est-il possible que notre enfant soit… handicapé? Qu’il décède?! La médecin néonatalogiste reviendra plusieurs longues minutes après, nous faisant sentir à quel point SON temps est important. Elle ne doit pas se faire mettre dehors très souvent… Une atmosphère de confiance réussit malgré tout à s’établir avec elle. Les résultats d’examen qu’elle nous communique sont rassurants. Selon l’échographie, notre bébé a le poids d’un bébé de 28 semaines. Malgré le retard de croissance, sa tête a continué à grossir et ressemble à celle d’un bébé de 31 semaines. C’est très encourageant. Ça indique que c’est moi qui suis malade et que mon bébé réagit comme un bébé en santé utilisant le peu de nutriments à sa disposition pour l’important : son cerveau.

23h00. Je suis transférée en salle d’opération. L’anesthésiste me fait une rachidienne. On me demande de m’allonger. L’infirmière passe et me demande de placer mes bras sur la table
-« Hein quoi? Pourquoi?
-Je vais les attacher
-Ah! Non merci! Ça va.
Je n’ai pas pensé une seconde que ça pouvait ne pas être un choix. J’ai juste répond « non merci » comme on refuserait une seconde tasse de café… Elle repart confuse puis je vois l’anesthésiste lui faire signe que c’est ok.

Un drap est dressé presque sur mon cou.
-Euh… Ça peut être plus bas? Je ne me sens vraiment pas bien comme ça…

La personne me sourit et installe son drap sous mes seins.

-Comme ça, ça va?

Je réponds oui mais je m’aperçois que la question était plutôt pour la chirurgienne, qui fait « oui parfait » de son côté. Incertaine, je demande si je peux voir ce que fait le chirurgien avec un miroir ou… L’anesthésiste rigole en me répondant que non, je ne veux pas voir ça. Je n’insiste pas mais au final, je crois que ça m’aurait convenu (au pire, il me semble qu’il suffit d’enlever le miroir!). Ce n’est que bien plus tard que je m’apercevrai que certains aménagements sont possibles (mère qui va chercher son bébé, peau-à-peau et allaitement en salle d’opération). Mais pour un bébé prématuré, il est certain que la situation est différente.

Mon conjoint vient me rejoindre costumé pour l’évènement et s’assoie à mes côtés. Nous ne connaissons pas le sexe du bébé. Je le mentionne avec l’espoir de garder un semblant de rêve : découvrir le sexe de mon bébé moi-même. La gynécologue commence la césarienne en expliquant chaque étape.

23h18. « Il est toute proche… si vous voulez le voir sortir monsieur, c’est le moment de vous lever et jeter un œil de l’autre côté du drap » Mon conjoint hésite… se lève à moitié, se rassoit, puis se lève vraiment. Je vois ses yeux brillants au moment où notre enfant naît, ses lèvres qui forment un « OOOO » émerveillé. Il me regarde, regarde l’autre côté du drap, me regarde à nouveau et m’embrasse. Je m’imaginais découvrir mon bébé, ses yeux, ses bras, son sexe…mais c’est déjà trop long, une éternité a déjà passé. C’est trop long! Trop long!!

-C’est quoi?
-Tu es sûr que… tu voulais…
-Dis-moi, dis-moi!!

C’est le seul lien que je peux faire pour le moment avec mon bébé. Savoir son sexe pour l’imaginer un peu plus concret encore.

-C’est… une fille… je crois.

La gynécologue confirme avec un sourire. C’est bien une petite fille. Et une championne en plus car elle respire sans aide. J’entends une infirmière au loin « J’ai jamais vu ça ». Je crie « Quoi quoi? ». L’infirmière s’approche et nous murmure doucement « Elle respire sans aide, tout va bien. Je n’ai jamais vu ça un si petit bébé qui n’a même pas besoin d’un petit coup de main. C’est une battante! ». Mon conjoint et moi nous nous perdons dans les yeux l’un de l’autre puis je me mets à trembloter sur la table. « J’ai mal au cœur… ». Impossible d’arrêter les tremblements. L’anesthésiste revoit ses machines, taponne sur celle-ci et me dit que c’est un effet secondaire fréquent, tout va bien. Mon bébé? Je veux voir mon bébé!! Où est mon bébé? J’entends une voix à l’autre bout « On vous la montre dans un moment ». Une infirmière passe avec un petit paquet dans les bras, loin, tellement loin. Je vois passer mon bébé en un éclair lumineux. A-t-on déjà décrit le coup de foudre? Je ne vois plus l’infirmière. Que ma fille. C’est ma fille. Elle est magnifique, c’est magnifique! (Rationnellement, l’infirmière est a 2 mètres de moi, ma fille est emmitouflée en boudin, je n’ai pas mes lunettes alors que je suis pratiquement aveugle sans lunette et je tremblote sur la table à cause de l’anesthésie… mais c’est quand même le coup de foudre…). Plus tard, j’appellerai ma fille mon « bébé-lumière ». Je ne sais pas ce que j’ai vraiment vécu alors mais ça été fort, très physique (biochimique peut-être?) et totalement fou. Puis l’équipe de néonatalogie est partie avec ma fille dans une « isolette ».

La chirurgienne recoud. Je lui rappelle notre discussion sur l’AVAC. « Bien sûr! Je vous la recouds hyper solide! » et de m’expliquer la technique qu’elle utilise… Je n’y comprends rien mais j’apprécie l’attention. Une fois terminée, la chirurgienne nous montre la bassine qui contient le placenta. J’en ai déjà vu en vidéo. Celui-ci est minuscule. Puis on nous explique la suite. C’est un rappel puisque nous en avons discuté avant la césarienne. Je retourne en soin intensif pour les prochaines 24h, avec du sulfate de magnésium, dans une chambre sombre, en isolation, pour diminuer les stimulations le plus possible. Et mon bébé? « Dès que votre état est stabilité, on vous amène la voir en néonatalogie ».

Dans les 24h qui ont suivi, je n’ai pas fermé l’œil. Mon conjoint me rapporte une photo de mon bébé imprimée sur une feuille ordinaire, en noir et blanc. Après un coup d’œil, je rejette la photo. Il a l’air d’avoir un truc dégueu aux yeux, comme si c’était un fœtus mal formé. Ça me fout les boules. Les appareils se mettent à sonner. Bip bip… pression trop haute bip bip. Mon conjoint fait la navette entre ma chambre et la néonatalogie. Puis les sueurs commencent. J’ai chaud. Trop chaud. Encore plus chaud! C’est horrible!! Mon conjoint fait maintenant la navette entre ma chambre et la machine à glace. L’infirmière prend sa pause et chuchote à sa remplaçante : « Elle n’a pas dormi! Elle dort pas! ». Je reprends la photo, examine les petits détails puis je comprends que ma fille a reçu des gouttes ophtalmiques. C’est ce qui donne l’effet luisant, la raison pour laquelle elle a les yeux fermés… Cette photo devient alors mon talisman. Je la garde sur mon cœur. À l’occasion, les machines se mettent en alerte Bip!! bip!!!! et les infirmières paniquent un peu… puis ça se calme. Je trouve ça bizarre que la machine puisse lire mes pensées. Je pense à mon bébé, je m’inquiète pour mon bébé… bip bip… Ça me prend un bon bout de temps avant de comprendre que les machines mesurent ma pression et non pas mes pensées (le sulfate de magnésium rend effectivement les pensées nébuleuses!).  Mon conjoint me dira que ma pression montait dans les 230/130. Aujourd’hui, je trouve les protocoles mal fichu. Y aurait-il eu de ces variations si j’avais été avec ma fille? C’est, encore aujourd’hui, ce qui fait le plus mal. Ma fille était en soin intensif. Moi aussi, mais dans une autre pièce.  Mon conjoint s’essoufflait entre les deux unités (il était crevé, vraiment)!

Le temps passe mais c’est difficile. Je pense à l’allaitement. Je regarde mes seins, taponne un peu pour voir… L’infirmière me voit faire et intervient gentiment… « Pas comme ça… une pince en C puis une pression vers le thorax… Voilà! » C’est une goutte de colostrum. L’espoir renaît. « Je veux la voir maintenant! ». Il reste prêt de 12h de « réclusion » alors c’est non, pas tout de suite. Je m’agite. Les machines s’affolent. On me promet que dès que la période de 24heures est terminée, on m’amène à l’unité de néonatalogie. Pause lunch de mon infirmière. Moi, je n’ai même pas faim. Je veux voir ma fille. Maintenant. Je m’imagine tenter de me rendre à elle par mes propres moyens. Ridicule bien sûr. Je viens d’avoir une césarienne, je ne sais même pas où se trouve la néonatalogie. Mais je caresse l’idée un bon moment. Je regrette presque de ne pas avoir chercher à « brasser » un peu le département, de ne pas avoir jouer les hystériques pour aller voir mon bébé. Je le regrette parce que, encore aujourd’hui, j’ai le cœur qui se serre et une douleur bien réelle quand je pense à notre séparation. J’écris ce récit alors que ma fille a 6 ans. J’ai encore mal de cette séparation. Pourquoi nous avoir séparés 24 heures? Pourquoi ne pouvais-je pas l’avoir juste à côté de moi?

Après 24h, je suis débranchée peu à peu. Les dernières prises de sang montrent un retour à la normale. L’infirmière enlève la sonde urinaire, le soluté. L’anesthésiste vient enlever la canule artérielle. La gynécologue vient nous voir. Nous serons transférés à l’unité mère-enfant régulier. Mon conjoint demande une chambre privée. Nous ne nous sentons pas d’attaque pour partager une chambre où des parents cohabitent avec leur nouveau-né pimpant de santé. Il est 23h30. La brancardière vient me chercher. Je voyage en lit d’hôpital. Premier arrêt : la néonatalogie. J’y fais la connaissance d’une petite demoiselle minuscule de 1040 grammes. L’infirmière la sort de l’isolette et la dépose sur ma peau, sur ma poitrine. Nous restons à l’unité de néonatalogie jusqu’à minuit, à soupirer enfin de bien-être. Retour à l’unité mère-enfant, où j’arrive enfin à dormir un peu. Au matin, je réclame un tire-lait. Une infirmière vient expliquer l’auto-médication et me remet anti-douleur et autres cachets. Puis le premier levée et une visite en chaise roulante en néonatalogie. Le trajet m’épuise. De retour à ma chambre, une autre infirmière apporte un tire-lait et donne quelques informations bien insuffisantes. Déjà le dîner. Mon conjoint et moi n’avons aucune envie de nous séparer mais il est temps qu’il parte en quête d’un repas. Il n’a pas encore déjeuner. Un autre truc mal adapté. C’est l’unité mère-enfant, on célèbre la famille sur tous les murs, avec plein de posters maman-papa-bébé. Dans les faits, l’endroit n’est pas adapté pour la famille. Le père dort sur un lit de camp et tant pis pour ses repas!

La suite, c’est l’histoire des débuts de l’allaitement. Une autre histoire, une autre aventure… avec les va-et-vient entre ma chambre et la néonatalogie puis entre le manoir Ronald McDonald (où nous habiterons 2 mois) et la néonatalogie.

[À noter que mon récit d’allaitement a été publié dans le livre « Prêt du cœur, témoignages et réflexions sur l’allaitement », aux éditions Remue-ménage.  HYPERLINK « http://www.groupemaman.org/fr/livres/pres-du-coeur-464 » http://www.groupemaman.org/fr/livres/pres-du-coeur-464 ]

#80 Manon – un accouchement non-respecté et un accouchement respecté – Québec

11 Fév

Accompagner la vie – (un accouchement non-respecté et un accouchement respecté) – Mon témoignage sera publié dans le livre à paraître sous peu: « Et Dieu créa la femme, mais… » de Diane Bolduc Boutin.

C’est inscrit en moi : la naissance d’un enfant est un moment sacré, une transition qui mérite tout notre respect, toute notre attention, tout notre amour.  Au plus profond de mon être, c’est une évidence.  Et porter la vie en moi a fait rejaillir cette certitude dans chacune de mes cellules : je vibrais de ce sacré que j’allais rencontrer plus intimement au moment de la naissance de mon premier enfant.  Mais je n’avais pas encore les mots pour le dire, et je ne savais pas non plus toute l’ampleur de ce sacré en moi.  Je le ressentais de toute mon âme et dans ma naïveté de jeune femme, j’ai cru que chaque être humain portait en lui ce sens du sacré qui m’habitait.  Et lorsque je me suis retrouvée l’âme écorchée, mon fils loin de mon ventre et de mon cœur après une naissance provoquée-rupturée-perfusée-accélérée-couchée-monitorée-gelée-dirigée-coupée-recousue, j’ai occulté la souffrance et le vide que notre expérience a laissé en moi.  J’étais meurtrie dans mon âme et dans mon corps, mais mon cœur refusait de ressentir autre chose que le bonheur d’être la mère de ce petit être qui avait besoin de mon amour et de mon lait.  J’ai tassé ma colère et mes larmes dans un repli de mon âme, toute entière à mon bonheur d’être mère.

Mais un an plus tard, enceinte de ma fille, le barrage a cédé :  toutes les émotions jadis refoulées étaient là, intactes.  L’indignation, la colère et les larmes ont réclamé d’être entendues.  On m’avait volé.  On m’avait trahie.  On m’avait manipulée.  Leurs nombreuses interventions avaient été inutiles voir même dangereuses [1]!  Ces professionnels n’avaient pas tenu compte de ce que je ressentais et mes demandes avaient été banalisées voir ignorées. Et cette phrase, entendue à maintes reprises, et qui servait uniquement à masquer leur résistance au changement : « Oui, oui, pas de problèmes, on fera comme vous voulez, nous sommes un hôpital ouvert, ici ».  Mais ils ont  évoqué maintes raisons pour continuer à suivre leurs routines habituelles ou alors ils ont « oublié » ce qui m’importait.

Et en moi, cette intuition que tout allait pour le mieux avait fini par peser bien peu face à leur lot d’arguments logiques avancés sur un ton assuré…  Leur dernier argument :  « Il pèse tout au plus cinq livres et demie et n’a pas pris de poids depuis la dernière échographie. »   J’ai douté, j’ai questionné puis, j’ai abandonné : je n’avais pas étudié la médecine et l’obstétrique, eux oui…  Pourtant, dès l’instant où on a déposé cet être déjà tant aimé sur mon ventre, j’ai su: mon intuition ne m’avait pas trompée !   Et c’est d’un air étonné qu’on m’a annoncé le « miracle » :  7 livres !!!    Au final, ces gens qui savaient… ne savaient pas grand-chose et surtout, ne connaissaient rien à la physiologie de l’accouchement, ni à l’intuition maternelle, et encore moins au sacré de la naissance.  Leurs cerveaux remplis de connaissances innombrables ne connaissaient rien de ce qui se passe entre une mère, un père et son enfant lors de la naissance.  Ils savaient mesurer (et encore !!!), compter, suivre des protocoles, prendre en charge, diriger.  Ils ne savaient pas attendre, être présents, être à l’écoute, rassurer, ressentir, accompagner…  Ils ne savaient pas être…  Pour eux, cette erreur n’était que peccadilles puisque la mère et l’enfant étaient en vie et sans séquelles physiques graves…  Tant que la machinerie promettrait de guérir, pourquoi s’en faire ?

À mesure que refaisaient surface ces fantômes du passé et que je m’instruisais sur le sujet, une certitude s’est imposée avec de plus en plus de clarté : plus jamais comme la première fois !  Les morceaux d’un casse-tête s’assemblaient soudainement, et j’apercevais pour  la première fois une possibilité qui m’avait d’abord parue inconcevable : accoucher à la maison.  Lors de ma première grossesse, une femme m’avait brièvement parlé de ses expériences d’accouchement à la maison et me suggérait d’envisager cette possibilité…  J’en suis demeurée perplexe : j’estimais cette femme et elle me semblait intelligente pourtant !  Sans juger, je ne comprenais pas :  comment pouvait-on arriver à faire un choix aussi rétrograde, risqué et illégal de surcroit !!!  Ce fut un mystère pour moi pendant près de 2 ans. Mais, au fil du temps, d’autres événements, d’autres personnes ont dissipé le brouillard qui masquait cette vision des choses que je ne pouvais concevoir sans un important cheminement intérieur : l’accouchement à la maison, accompagné par des sages-femmes était aussi sécuritaire qu’un accouchement à l’hôpital !!!  Ces femmes connaissent, outre tous les gestes qui assurent la sécurité de la mère et de l’enfant, ce savoir du cœur qui m’importait tant ! Un accompagnement tout inclus : chaleur humaine, respect du sacré de la naissance,  et … un taux d’intervention moins élevé !!!  Chez moi, dans ma maison, sans que j’aie à me déplacer dans le froid de janvier, sans que j’aie à quitter mon nid si rassurant !

À 7 mois de grossesse, j’ai repris mon histoire en main.  Mon conjoint n’avait plus d’arguments devant ma détermination. L’argent nécessaire pour obtenir l’accompagnement d’une sage-femme est apparu miraculeusement.  Après quelques recherches, j’ai finalement rencontré celle qui allait m’accompagner, me guider, écouter mes larmes et encourager cette confiance qui grandissait en moi.  Enfin, j’étais impliquée dans chacune des étapes qui me conduiraient vers ma rencontre avec ma fille !  Ma sage-femme était là pour moi, avec moi, et son savoir était disponible pour que je le consulte sans aucune forme de pouvoir.  Ce que je disais était non seulement entendu, mais pris en compte !

Cette nuit où j’ai donné naissance à ma fille, elle était là accompagnée de deux autres femmes, toutes trois discrètes, mais entièrement présentes, posant les gestes attendus ou nécessaires et retenant ceux qui auraient nuis.  Je savourais chaque contraction qui me rapprochait de mon enfant, et même dans l’intensité qui précède la naissance, la douleur ne me faisait pas souffrir…  Sans peur, il n’y a pas de détresse, pas de cris, ni d’ongles déchirant la chair du futur père.  Il n’y a que la vie qui ouvre un passage, du  plus intime de soi vers nos bras.   Il n’y a que ces sons qui parlent de la puissance féminine et ces mouvements instinctifs qui ouvrent la voie pour cette nouvelle vie.  Et quand la peur s’est immiscée sournoisement en moi, ralentissant la progression du travail, ma sage-femme a su.  Une petite question, posée sur le ton de la confidence a suffi pour que je prenne conscience de ma peur.  En quelques mots, elle m’a rassurée et c’est ainsi que je me suis abandonnée pour que ma fille puisse prendre son premier souffle et rejoindre mes bras…

J’ai pu savourer mon bonheur de la tenir contre moi, de m’émerveiller du miracle issu de mon corps.  Puis, au moment de libérer le placenta qui avait nourri ma fille pendant de nombreuses semaines, j’ai saigné un peu trop… « Un utérus qui saigne est un utérus qui pleure » ai-je appris plus tard…  Il pleurait peut-être ce bonheur volé lors de la naissance de mon fils, à moins que ce ne soient d’autres blessures…  Qu’à cela ne tienne, le savoir et le savoir-faire de mes sages-femmes ont pallié à cette hémorragie avec professionnalisme.  J’étais entre bonnes mains…

Puis, ma fille au sein, je rayonnais de bonheur !  Mon fils est venu voir à quoi ressemblait cette petite sœur qu’il semblait déjà connaître.  J’avais été séparée de lui lors de sa naissance, mais aujourd’hui, je n’avais pas besoin de le quitter pour accueillir sa petite soeur.  Je pourrais le bercer avant son dodo, et je dormirais paisiblement chez moi, ma fille collée contre moi.  D’une simplicité désarmante, la vie continuait son cour, sans séparation, sans coupure…

Ce jour où j’ai choisi d’accoucher chez moi, a marqué un tournant important dans ma vie.  J’ai choisi d’écouter et d’accorder plus de crédit à ce que je ressentais au plus profond de mon âme.  Chacune des décisions relatives à notre santé ont été prises de façon plus éclairée.  Et c’est avec un bébé de 3 semaines que je me suis présentée à ma première journée de formation en tant qu’accompagnante à la naissance et aspirante sage-femme.  Pendant 12 ans, j’ai eu le privilège de voir naître deux cent enfants dans le respect de ce moment intime, sacré.  Mon cœur s’est offert pour ces femmes et ces couples qui souhaitaient accueillir leur enfant avec toute leur conscience, présents, impliqués, entendus.  Bien sûr, il est arrivé que certains nœuds s’avèrent trop difficiles à  dénouer pour que la naissance se déroule à la maison, mais peu importe la tournure des événements, les deux principales préoccupations que nous avions, étaient la sécurité et le respect de ces mères, de ces pères et de leur enfant à naître…  Et c’est ainsi que parfois après de nombreuses heures d’attente et de soutien auprès de ces familles, j’ai touché au miracle, au mystère de la vie !   C’est là que j’ai pu mettre des mots sur ce sens du caractère sacré de toute naissance que je porte en moi depuis toujours.

Accompagner la naissance est un art.  Un art qui demande de faire peu, vraiment très peu de gestes.  Le moins possible, pour ne pas nuire, ne pas interférer.   Et ce, tout en sachant sur le bout des doigts les gestes qui apaisent, qui sécurisent ou qui sauvent des vies.  Être là à regarder une famille se tisser un moment magique, suspendu dans le temps.  Une trame sur laquelle ils continueront de tisser le paysage d’une vie…  Précieux instants qui pourraient faire la différence entre un départ bousculé ou minutieusement amorcé, se répercutant sur la toile d’une vie entière…


[1] À titre d’exemple, le protocole pour l’application et la gestion de l’occytocine sous perfusion pour déclencher ou stimuler le travail demande la surveillance constante du coeur fœtal parce qu’il entraîne fréquemment une détresse fœtale. 80 % des femmes en travail en reçoivent !!!  Le taux de césarienne est d’environ 25 % au Québec alors qu’au Pays Bas il se maintient autour de 10 %, tout en obtenant d’excellents résultats au niveau de la santé de la mère et de l’enfant.  Y aurait-il un lien entre l’utilisation abusive de l’ocytocine et le taux de césarienne ?

#69 Catherine, Québec

8 Fév

Depuis plusieurs semaines, j’avais des douleurs sporadiques au côté droit, juste au niveau de la hanche, en arrière de la bedaine. J’avais été à la maternité à 32 semaines pour me faire rassurer. Le docteur m’avait dit que c’était sûrement musculo-squelettique, de ne pas m’en faire, que c’était sûrement toi qui t’accotait d’une drôle de façon, ou mon corps qui ne suivait pas tout à fait tous les changements liés à la grossesse. Comme la douleur était disparue après qu’il t’ait fait bouger, je me suis dit qu’il avait raison. La douleur est réapparue plusieurs fois dans les semaines suivantes, repartait suite à un massage de ton papa ou selon comment je me couchais. 

Le 6 juillet 2011, par contre, des brûlements d’estomac n’ont pas aimé notre souper… J’ai passé la nuit suivante à être malade, avec la fameuse douleur au ventre qui planait. Le lendemain, c’est la fête de ton papa. On n’a malheureusement pas eu le temps de la souligner, parce que dès son retour du travail, on décide d’aller à la maternité : je ne garde rien, même pas une gorgée d’eau. Je m’inquiète, il ne faut pas que je me déshydrate, ce ne serait pas bon pour toi… On me garde donc sous observation avec un soluté de 15h à 23h… Inutile de te dire que je suis vraiment faible lorsqu’on arrive à l’hôpital ! J’ai repris un peu de couleurs en sortant, et j’ai maintenant une prescription de Zantac pour faire passer les brûlements et le reflux. On arrive à la maison il est près de minuit, on est fatigués, papa a de la peine malgré lui d’avoir une journée d’anniversaire si plate, et je le comprends bien… Je lui dis que je lui donnerai son cadeau le lendemain, alors que sa famille vient pour commencer ta chambre.

 Le lendemain, par contre, ça ne va pas mieux… La douleur est forte, j’ai de la difficulté à marcher. Je me repose toute la journée, en espérant te faire bouger, mais rien n’y fait… Quand ton papa revient du travail, on décide (suite aux conseils de l’infirmière d’Info-Santé) de retourner à la maternité. On finit par arriver à l’hôpital, papa me laisse à l’entrée, je vais m’assoir pour l’attendre. Je sais que je ne serai pas capable de me rendre au troisième étage toute seule, je dois attendre papa qu’il me prenne une chaise roulante. On arrive à la maternité, les infirmières croient que je vais accoucher. On essaie de leur faire comprendre que ce ne sont pas des contractions qui me font mal… C’est difficile de me faire comprendre, parce que j’en ai, des contractions, mais la douleur ne suit pas les contractions… J’ai beau en être à ma toute première grossesse, ne pas savoir ce qu’une douleur de contraction est, je sais pertinemment que la douleur que je ressens n’est pas due aux contractions… Le docteur de garde est le même que j’ai vu à 32 semaines, il me pèse sur le ventre en se demandant bien ce qui peut me faire ça, et surtout, a l’air de me trouver moumoune d’évaluer la douleur à 8 sur 10 (« C’est beaucoup, huit… »)… Je saute de douleur à chaque fois, papa est sur le bord de lui crier après… Les infirmières s’occupent mieux de moi, viennent de temps en temps voir comment ça va, sont douces et délicates, mais ce médecin-là… Ouf ! Il décide finalement de me garder en observation pour la nuit. Papa est allé m’acheter un livre et une revue pour passer le temps, mais je n’ai même pas la force d’y porter attention. J’ai juste mal. Papa retourne dormir à la maison en promettant de revenir tôt la matin. Il doit s’occuper des chats, et de toute façon, il ne peut absolument rien faire pour m’aider…

Le lendemain matin, papa arrive tôt. Je dois aller à la salle de bain, et il doit m’aider à y aller. Marcher environ 4 mètres nous prend facilement 10 minutes, et comme la veille, aller à la toilette est une torture. On revient de peine et de misère au lit, et j’en ai pour plusieurs minutes à juste essayer de reprendre le dessus sur mon mal. 

Une nouvelle gynéco est de garde, c’est celle que je préfère à la clinique où j’étais suivie pour la grossesse. Je suis bien contente de la voir ! Elle est délicate, gentille et prend bien le temps d’écouter mon mal. Elle vient toucher une fois à mon ventre, je saute encore de douleur. Elle nous dit alors qu’elle soupçonne une appendicite. À ce point-là, je suis tellement juste à bout de la douleur… Elle appelle le chirurgien pour avoir son avis. Il vient lui aussi tâter mon ventre, confirme l’appendicite, et cédule (programme) l’opération pour l’après-midi. Il est plutôt drôle, il a l’air content de voir un « cas rare » d’appendicite enceinte ! Plus tard, papa et moi rirons pas mal de ce personnage ! On est samedi, et on m’apprend que tu arriveras peut-être plus tôt que prévu : l’opération pourrait déclencher le travail. On en est à 36 semaines et 2 jours, les risques liés à la prématurité à ce stade sont faibles versus les bénéfices de l’opération. Papa appelle ma mère pour lui dire que je serai opérée, que tu risques de te pointer d’avance, et lui demande si elle peut aller laver ton linge et finir ta valise… On pensait avoir encore un mois pour tout finir, faut maintenant agir en catastrophe !

 Le chirurgien décide finalement de m’envoyer passer une échographie abdominale pour confirmer l’appendicite. Le radiologiste me fait tellement mal qu’en sortant de la salle, dans la chaise roulante, je ne peux pas m’empêcher de pleurer… L’appendicite aigüe est confirmée, on remonte à ma chambre, puis finalement, arrive le temps de l’opération… Papa descend avec nous jusqu’aux portes du bloc opératoire, me serre la main très fort, puis on m’amène dans la salle d’opération. On m’endort…
Je me réveille, je ne sais pas vraiment où je suis (salle de réveil, mais je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux), un homme me parle, j’ai mal… Il me demande à combien sur 10 j’évalue la douleur, je lui réponds 8.
 J’imagine qu’on me donne quelque chose, parce que lentement, la douleur diminue. On me remonte à ma chambre, et quand je finis par ouvrir les yeux, papa et grand-maman sont à mes côtés. Je demande s’il y a eu complications, ils me disent non, puis si tu es correct, ils répondent que oui. Mais je vois qu’il y a quelque chose qu’ils ne disent pas…

Un peu plus tard, alors que grand-maman est seule avec moi, je lui demande qu’est-ce qui se passe. Elle me répond que finalement, en voyant mon appendice, ils se sont rendus compte que tout était normal à ce niveau… (Mais en lisant mon dossier, j’étais réellement en train de faire une crise d’appendicite aigüe). Mais qu’en dessous, à l’origine de ma douleur, ma trompe est tordue. À un point où elle était maintenant nécrosée. Ils ont dû l’enlever, ainsi que l’ovaire. Papa me dira plus tard que de la façon dont les médecins lui ont parlé, la trompe leur était plus restée dans les mains quand ils y ont touché… On ne saura jamais depuis combien de temps elle l’était, ni pourquoi… Mais le fait est que maintenant, il ne me reste qu’une trompe et qu’un ovaire. Je prends bizarrement très bien la nouvelle. L’important, à ce moment, c’est toi, d’abord, et que la douleur disparraîsse ensuite. Et c’est ce qui est en train de se passer ! Je suis juste contente que cet épisode de douleur soit terminé, et pour de bon. La gynéco avait aussi rassuré papa en lui répondant qu’on pourrait très bien avoir d’autres enfants, parce que ça avait été sa première question. (À mon rendez-vous de suivi pour la césarienne, deux mois et demie après ta naissance, on m’apprend finalement que j’ai mes deux ovaires ! Ils ne m’ont pas enlevé mon ovaire droit, ils ont simplement retiré la trompe.)

 La journée passe, et papa va dormir chez grand-maman et grand-papa pour être plus près de l’hôpital si jamais tu te décidais à arriver : j’ai commencé à avoir des contractions en sortant de l’opération, j’ai commencé à dilater, mais tout ça a stoppé en soirée. On croise donc les doigts que tu restes au chaud encore un peu, mais je te dis que si tu es prêt à naître, on t’attend ! C’est toi qui décide !

 Vers 2 heures du matin, les contractions ont repris et commencent à m’empêcher de dormir. L’infirmière (une perle !) vient me voir régulièrement et s’occupe très bien de moi. Elle vérifie le col : je suis rendue à 5 cm. Vers 4 heures, on convient qu’il serait temps d’appeler ton papa, puis je demande à avoir l’épidurale lorsqu’il sera arrivé. Les contractions sont fortes, j’arrive à les gérer, mais je sais que je devrai l’avoir (pour être capable de pousser : l’opération est quand même récente !). Je ne vois pas vraiment l’utilité de supporter encore de la douleur ! Avant de changer de chambre, l’infirmière détecte un décollement placentaire. Elle ne semble pas en faire de cas, mais j’apprendrai plus tard en lisant nos dossiers d’hôpital que c’était plus inquiétant que ça n’avait paru sur le moment.

 Papa arrive finalement, je change de chambre pour aller à la chambre de naissance. J’ai quelques contractions, puis l’anesthésiste arrive. On m’installe assise sur le bord du lit, papa devant moi, et on m’explique ce qui se passera. Papa me tient les mains, et reste surpris que je ne les serre pas pendant la piqûre : pour moi, laisser la douleur couler est beaucoup plus facile si je n’offre aucune résistance. L’épidurale fait finalement effet, et je me sens mieux, quoique fatiguée. Tu es toujours sous monitoring, tu vas bien. Par contre, le travail commence à ralentir. Le docteur décide d’injecter du synto pour le faire reprendre. Malheureusement, ton petit coeur n’aime pas ça… Le moniteur cesse de le capter pendant les contractions. À chaque fois, papa doit appeler l’infirmière pour qu’elle revienne, la contraction repart, l’infirmière aussi. Je n’ai pas trop conscience du temps que ça a duré, ça m’a semblé une éternité comme ça m’a semblé passer en 30 secondes ! Finalement, la gynéco vient voir, regarde passer quelques contractions, puis dit à l’infirmière d’arrêter le synto, qu’on va en césarienne. Il est maintenant 6h30. 

À ce moment, tout commence à débouler : on nous dit qu’on a la salle d’opération à 7h, donc qu’à 6h50 on doit me préparer. Papa va s’habiller pour assister à la césarienne. On me prépare (j’ai un peu oublié ces étapes), on me transfère sur une civière, on descend tout le monde en salle d’opération. J’entre avec la gynéco, papa doit attendre un peu. Quand il entre, à 7h05, je crois qu’ils ont déjà commencé l’incision… À 7h13, le docteur dit : « Papa, lève-toi, regarde ton fils !! ». Je suis tellement émue ! J’essaie de t’imaginer, de voir dans ma tête comment est le visage associé à ces cris vigoureux… Parce que tu cries tellement fort ! À croire qu’on t’a dérangé, et tu nous le fais savoir ! Papa va couper ton cordon, et revient aussitôt s’asseoir auprès de moi… Le personnel de la salle d’opération est étonné, car habituellement, les papas « oublient » la maman pour se concentrer sur le bébé… Mais papa a peur pour moi, de voir le sang sur les gants de l’infirmière et de la gynécologue quand on était dans la chambre de naissance, et de me voir souffrir presque sans répit depuis trop de jours lui a fait peur de me perdre… Finalement, une infirmière te dépose dans les bras de papa, tout emmitoufflé… Ces images resteront à jamais gravées dans ma mémoire, un tout petit paquet dans les bras de ton papa… Avant de partir pour la pouponnière, une infirmière te prend, t’approche de moi pour que je puisse te voir et t’embrasser… Elle est tellement gentille, elle semble lire en moi ce dont j’ai besoin pour l’instant : te coller. Elle t’approche de mon visage, nous colle joue à joue… Ces trente secondes paraissent une éternité où je me perds, tu es enfin là, tout chaud, tout doux… Je t’embrasse sur la joue d’un baiser qui dure une vie, puis tu pars, avec ton papa, à la pouponnière. 

On finit de s’occuper de moi (j’ai à peine conscience de ce qu’ils font, je suis occupée à respirer, car j’ai l’impression que si je ne me concentre pas, j’oublierai de respirer). J’apprendrai par la suite que j’ai fait de l’hypotension, et que l’anesthésiste a été étonnée que je ne perde pas conscience. Je blague avec l’équipe (certains ont été présents à l’autre opération) que tu seras chirurgien plus tard, tu as trop aimé la salle d’op la première fois et tu as voulu y revenir… On trouve maman très drôle ! On m’amène ensuite en salle de réveil. J’ai un sourire béat, je me sens à la fois sur un nuage et dans un film tellement tout ça semble irréel…


 Je reviens à la chambre environ une demie-heure plus tard, je crois, et papa est là. Son papa vient nous voir, ils vont te voir à la pouponnière, puis vont déjeuner. En revenant (avec un ventilateur parce qu’on crève de chaleur, c’est incroyable !), je demande à papa d’aller prendre des photos de toi pour que je puisse te voir. Il part donc en ta direction, l’appareil à la main. Quand il revient à la chambre, il me dit qu’il a quelque chose d’encore mieux que des photos : toi !

Les débuts d’allaitement seront catastrophiques. Tu ne seras pas capable de prendre le sein, nous devrons donc nous battre afin de te faire boire au doigt avec un DAL. On nous dira à 4 jours de vie que mon allaitement est fini. Papa se battra bec et ongles contre un biberon qu’on essaiera de nous forcer a te donner, avec l’énergie du désespoir de me voir brisée par le torrent d’émotions qui me coupe les jambes.  Nous devrons finalement retourner à l’hopital après notre sortie puisque tu fais une jaunisse. On se tiendra debout malgré tout pour savoir quels soins tu as besoin, l’infirmière s’entête à ne rien dire, on voulait simplement savoir ! Cette épreuve nous permettra par contre de rencontrer un ange déguisé en infirmière, un ange qui a connu un début d’allaitement difficile et qui, en pleine nuit, me parlera de maman à maman et nous remettra, si simplement, sur la bonne voie allaitante, toi, moi et ma méga production. (Nous deviendrons des accros de l’allaitement, je deviendrai marraine afin d’aider d’autres mamans et tu refuseras tout biberon, tout lait qui ne vient pas de maman… Ce sera ma douce vengeance du 4ième jour !)

Pendant les jours suivants ta naissance, on me culpabilisera de mon manque de mobilité et de mes besoins d’assistance au petit coin… C’est que je suis coupée de partout, moi. Pour une simple appendicite, une vague connaissance a eu, elle, un mois complet de convalescence…

On aura par contre d’autres infirmières, de jour comme de nuit, qui feront tellement la différence qu’on retournera les voir des mois plus tard. Des femmes qui ont réellement la passion du métier, des mères qui sont capables d’empathie pour une nouvelle maman dépassée par les évènements, une nouvelle maman qui a gagné le gros lot (un contre un million) que son corps lui joue ce tour. Ces infirmières qui passeront outre les règles de visites parce qu’elles comprennent qu’à ce moment, j’avais terriblement besoin du support de ma famille, qui sera présente a 1000 %.

Étonnament, avec du recul, je suis presque contente que tout se soit déroulé comme ca… J’aurais bien sûr préféré que ta naissance suive « le plan », mais si tu savais à quel point j’ai appris !

À partir du moment où papa t’a amené à moi, on commence à se découvrir… Tu es un petit être extraordinaire, le plus beau bébé du monde… Durant notre séjour à l’hôpital, à plusieurs reprises je dirai à ton papa, en pleurant, que je t’aime tellement que ça fait mal. La douleur partira, ça me prendra du temps à sentir qu’un lien unique nous lie (est-ce parce que j’ai « manqué » ta naissance ? Parce que j’ai échoué mon rite de passage dans le monde des mamans ?). Puis, j’ai peur que tu ne te sentes pas aimé, que tu doutes de ta place avec nous.

Au moment où j’ai écrit le premier jet de ce récit, tu approches l’âge de deux mois. À chaque fois que je te regarde, que je te prends, que je t’embrasse, une petite étincelle éclaire mon coeur. Mon coeur grandit à chaque jour, juste pour toi. Et, 19 mois après cette naissance digne d’Hollywood… mon coeur continue, chaque jour, de défier les lois de l’univers pour réussir à contenir tout l’amour que j’ai pour toi. Nous avons une relation unique, fusionnelle mais pleine de confiance. Nous sommes toujours heureux dans notre allaitement, tu refuses toujours la plupart des laits au verre (et j’avoue que ça me fait un petit velours à chaque fois !). Ne t’en fais pas, tu étais voulu, tu étais attendu, tu es ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. Tu es un petit bébé parfait, le meilleur bébé du monde. J’apprends grâce à toi à être une maman. Et je ne saurai jamais assez te remercier de m’avoir choisie, moi, pour être ta maman…

– Catherine