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#327 – Premier accouchement – Paris, années 80

8 Jan

Pays : france

Clinique réputée en région parisienne.

Premier accouchement :

La grossesse n’était pas du tout prévue.
Je dus « tomber enceinte » (je n’aime pas cette expression) au cours du mois de juin. Je n’en sais foutrement rien : vu que j’étais sous pilule, et que j’ai eu mes règles durant des mois après ce début de grossesse, des règles « anormales » certes mais des règles quand même, c’est à partir de la date de naissance de ma fille que je suis remontée à sa période de conception. Je pris un peu d’abdomen au fil des semaines et des mois. Je me sentais « lourde », même si j’entrais toujours sans problème dans mes jeans taille 42/44. Certes, je ne fumais plus car cela me filait des nausées carabinées, mais sinon rien n’avait changé.
A l’époque … je « faisais la route », pouce en l’air et nez au vent, avec le futur papa. J’avais une vie bohème. Je n’ai découvert la grossesse que vers 4 mois et demi, pendant les vendanges … dans ma famille, une fille ne revenait pas avec le gros ventre, sans la bague au doigt. Pas question de me marier … je suis allée en foyer finir ma grossesse.
Nous étions en février … je commençais à trouver le temps long.
La visite des 8 mois avait été … il n’y a pas de mot. Je suis arrivée, on m’a dit d’aller dans le petit cabinet, de me déshabiller, d’ouvrir la porte du fond et de m’installer nue sur la table d’examen, pieds dans les étriers. Devant mon sexe, un rideau. Une main tire le rideau, et derrière … le toubib et une dizaine d’externes / étudiants, ou je ne sais quoi – que des hommes. Je suis totalement sous le choc, en sidération. Je subis un tv de la part de chaque personne, y compris du toubib. Les étudiants sont gênés, pas un ne me regarde dans les yeux. Et moi j’ai tout du poisson brutalement jeté hors de l’eau.
Une fois rhabillée, il y a eu une prise de tête avec le toubib : il m’avait donné rendez-vous pour le 15 février, pour la visite des 9 mois. A cette date, j’étais convaincue que bébé serait né. J’ai comme complètement gommé ce qui vient juste de se passer.

Le 8 février, un dimanche, je vais rendre visite à une amie qui vient d’accoucher, c’est à l’autre bout de Paris.
Je me couche épuisée. Je ne pense plus à rien … Vers minuit, je suis réveillée par une dispute qui éclate près de ma chambre. Le temps de comprendre, une douleur brutale me broie le dos. Le dos ? je m’assois, incrédule : il se passe quoi ? aurais-je déconné cette journée-là ? La douleur pulse et revient toutes les 5 min. Mon ventre durcit à la même cadence. Ce sont donc des contractions douloureuses … mais le dos ? pourquoi cette brûlure atroce dans le dos ? en soufflant et retenant mes gémissements, je vérifie que tout est prêt pour le départ. J’attends un peu, puis je vais prévenir la sage-femme de garde au foyer. Elle confirme le début de travail, mais ne semble pressée que d’une chose : que je décolle pour qu’elle retourne dormir. Devant son attitude, je refoule les questions que me brûlent les lèvres. L’ambulance arrive, je m’assois à l’avant, et la première chose que me dit l’ambulancier c’est : « Euh je suis nouveau. Vous savez comment on va à l’hopital x ? » Ca, c’est le pompon … me voilà avec un plan sur les genoux, le dos broyé toutes les 5 mn, à chercher la route pour un ambulancier débutant !
Après ce qui me semble un temps infini, nous arrivons enfin à l’hôpital. Je me présente à la maternité, et j’entre dans le circuit … la sage-femme de garde m’examine. Ca clashe dès le départ. Elle râle parce que je refuse qu’elle me touche durant la contraction, me dit « col long fermé, bébé haut et pas engagé. Z’êtes pas en travail ma petite, ce sont des contractions de fin de grossesse ! »
Je rétorque que des contractions de fin de grossesse, j’en ai depuis deux mois, et que ça, ça n’a rien à voir. Elle monte sur ses grands chevaux. Moi aussi. J’ai peur, j’ai mal, très mal, et je me fais engueuler pour rien, alors que j’applique à la lettre ce qu’on m’a dit de faire ? alors là y a comme un lézard, et pas qu’un petit ! Je SAIS que le travail a commencé, c’est MON corps, comment cette abrutie pourrait savoir mieux que moi ? Je suis en rogne, mais derrière il y a beaucoup de détresse, de souffrance, de peur. De noms d’oiseaux en engueulades, la sage-femme me colle en salle commune. Et disparaît, sans un mot. Evidemment, je suis censée m’allonger sur le lit, mais rien à faire, c’est insupportable. Je m’assois, tire le plateau roulant, met un oreiller dessus et m’appuie sur le tout. Je sombre dans le sommeil … et suis réveillée toutes les 5 mn par cette douleur, de pire en pire. Je pleure, je mords l’oreiller, je ne comprends rien, je me sens seule comme jamais, entrée dans un cauchemar sans fin. Une voix douce, amicale, me surprend :
« Ca va pas ? »

Je lève le nez. Apparemment tout le monde ne dort pas. Il ne fait pas entièrement noir dans cette salle, juste sombre. Pas très loin de mon lit, une femme est installée, calée par nombre d’oreillers.
Elle me sourit. Elle a une perfusion dans le bras Elle me demande :
« C’est votre premier ? »
J’acquiesce. Cette voix douce, apaisante, cette attention, cela me fait un bien fou ! mais cela me porte aussi au bord des larmes …
« J’ai mal au dos …
– oui cela arrive … j’ai trois enfants, là je suis enceinte du 4ème mais il semblait vouloir sortir bien trop tôt, je suis hospitalisée pour menace d’accouchement prématuré. »
De somnolences en contractions, cette voix va m’aider à traverser la nuit. Son calme, son assurance, son empathie vont faire bien plus que je ne me suis rendue compte sur le coup. La femme qui me parle connaît ce que je vis, elle l’a déjà vécu plusieurs fois et en est sortie vivante. Donc moi aussi … il n’y a pas de raison. Ce sera un des rares rayons de soleil de ces moments douloureux.
L’hôpital n’est pas silencieux. Des cris, des pleurs, des gémissements traversent de façon plus ou moins durable la salle. La sage-femme vient m’examiner toutes les heures : elle commence par râler en me découvrant sur le plateau, puis me relève, prend l’oreiller, pousse le plateau roulant et me recouche en disant « Vous serez mieux comme ça » … au début j’ai protesté, au bout d’un moment je laisse faire. Puis le toucher vaginal – elle n’accepte pas que je refuse qu’elle me touche durant une contraction, mais je m’en fous, je serre les jambes si j’ai une contraction et elle est bien obligée d’attendre. Puis écoute du cœur, et une piqûre « pour calmer la douleur ». Je suis tellement mal que je ne m’étonne pas que sa piqûre de « calmant » non seulement ne calme rien mais semble empirer les choses. Depuis le début, je demande la péridurale – pas si courante dans les années 1980, ce à quoi la sage-femme me répond « Pas d’anesthésiste disponible » systématiquement.
A un moment, la sage-femme, exaspérée sans doute de me trouver toujours dans cette position assise, prend le plateau roulant sur lequel je m’appuie et va le mettre à l’autre bout de la salle. Dès qu’elle tourne les talons et sort de la salle, je me lève péniblement et en me cramponnant de pied de lit en pied de lit, craignant de tomber sans pouvoir me relever, je vais le rechercher.
A 7h et quelques, grand brouhaha : le petit déjeuner. Je regarde les autres manger, le dos broyé.

Vers xxh et des brouettes (je perds le fil des heures après le petit déjeuner), changement de rythme : la sage-femme me donne un suppo, me dit d’aller aux toilettes, de le mettre, d’attendre la vidange et d’aller dans la salle de travail xxx (xième porte à gauche). Elle m’y rejoindra. Devant ma tête éberluée – aussi bien pour le suppo que pour me rendre à pied en salle de travail, elle me rétorque :
« Vous pouvez marcher, vous avez traversé la salle pour reprendre votre plateau. Et ça vous fera le plus grand bien » …
Toujours aussi douée pour savoir mieux que moi ce qui est bon pour moi …

Je mets un temps fou pour aller aux wc. La pose du suppo, et la vidange qui s’ensuit se passent dans la douleur. Je me sens de plus en plus mal. Mouches devant les yeux, vertiges, jambes flageolantes … je suis à jeun depuis la veille, je n’ai pas faim mais je me sens très faible. Et je crève de soif ! la soif restera un souvenir cuisant de souffrance particulière, en plus du reste … je suis tellement occupée à ne pas tomber que je ne percute même pas que je pourrais boire au robinet pour se laver les mains. Appuyée au mur, je rejoins la salle de travail à l’allure d’un escargot bourré. Je monte difficilement sur la table, je me mets à califourchon, jambes pendantes et appuyée en avant sur mes mains. C’est un peu moins pire. Mais ça ne dure pas : la sage-femme déboule. Me couche sur le dos, monitoring, perfusion, brassard de tension. Et « Non, pas d’anesthésiste disponible » …

Je suis seule désormais. Il n’y a plus la voix chaleureuse et soutenante de la maman en MAP. Il y a des cris dans les salles d’à côté, et cela me hérisse de peur. Et surtout je n’en peux plus. J’ai atteint le bout du bout là, je suis rendue au-delà de ce que j’imaginais pouvoir supporter. Je jure comme un charretier à chaque contraction, m’épuisant pour rien. La douleur me broie dans un étau insoutenable, de plus en plus fort, de plus en plus longtemps, de plus en plus souvent. Je pense à maman, et je me dis que non, impossible qu’elle aie accepté de vivre cela 5 fois. Je pense au « Prisonnier », ce feuilleton où un homme est parachuté sans raison dans un endroit absurde. Je me demande si la personne qui a écrit ce feuilleton n’aurait pas accouché, parce que je me sens exactement dans cette situation là. Et puis au fil des minutes, je pense de moins en moins, et je sombre dans le cauchemar.
A un moment, je craque. Je m’assois, évidemment ça sonne partout, et j’arrache tout : monitoring, brassard de tension, perf. J’envoie tout voler, avec un plaisir incommensurable. La sage-femme arrive au galop, et s’arrête pile à l’entrée de la salle, clouée par le spectacle. J’ai repris ma position, assise appuyée sur les mains. Quand elle fait mine de s’avancer, je hurle
« JE VEUX UNE PERIDURALE. VOUS NE ME TOUCHEREZ PAS TANT QUE JE N’AURAIS PAS DE PERIDURALE. ET N’APPROCHEZ PAS ! JE N’HESITERAIS PAS A ME DEFENDRE. »

Je suis tout en même temps épuisée, et portée par une rage violente, habitée par une seule obsession : avoir une péridurale. J’ai envie qu’elle s’approche, qu’elle tente de me recoucher de force, je voudrais taper, taper, taper … ça gronde au fond de moi, sur fond de douleur crucifiante. Mes yeux sont plantés dans les siens, et cela doit lui faire tilt … elle disparaît. Peu après, j’entends un pas dans le couloir : ce n’est pas celui de la sage-femme. On frappe à la porte : ce ne sont pas les manières de la sage femme. Je dis d’entrer, et une jeune femme toute pimpante en blouse rose apparaît, un grand sourire aux lèvres.
« Je viens vous poser la péridurale » …

Ah ben ça alors … je suis sidérée. Si j’avais su qu’il suffisait de piquer une grosse colère pour l’avoir, je me serais épargné bien des heures de souffrance ! Une anesthésiste s’est miraculeusement libérée dans les minutes qui ont suivi mon coup d’éclat. Elle s’approche de moi, et me dit « Il faudrait remettre le monitoring, il faut que je surveille les réactions de votre bébé aux produits » … Tout ce qu’elle veut ! Elle me ré-arnache, et je me laisse faire avec bonne grâce. Elle me parle tout en agissant, et veut très, très vite savoir comment cela se fait que je connaisse la péridurale ? c’est rare une maman qui en ait entendu parler … je souffle :
« J’ai très, très mal, depuis très longtemps. Alors s’il vous plait, faites ce que vous avez à faire. Quand je n’aurais plus mal, je vous raconterais tout ce que vous voulez savoir.
– Je comprends … suis je bête ! Je vous enquiquine avec mes questions, et vous vous souffrez. Cela ne sera plus long maintenant. »
Elle est rapide et efficace. Je me sens BIEN. En confiance. Cela me fait tellement de bien que j’en pleurerais ! Elle m’explique ce qu’elle fait en le faisant :
« Désinfection de la zone à piquer. Piqûre de pré-anesthésie, attention ça va piquer … Non ? parfait alors. Maintenant on attend quelques secondes … voilà, vous sentez quand je pique ? non ? faites le dos bien rond … ah contraction, soufflez fort, on attend. Voilà je peux y aller ? ne bougez surtout plus quoiqu’il arrive … parfait. Vous avez eu mal ? Non ? parfait. J’enfile le tuyau, retire l’aiguille, voilà, je vous scotche le tuyau sur l’épaule. Ca va ? Bon, je surélève la table, vous allez vous installer. Le tuyau ne vous gêne pas ? » …
Tout en l’écoutant, je regarde le monitoring. Et je vois une contraction monter, monter … et JE N’AI PAS MAL. RIEN. Pas un pincement même. Je lui prends le bras, lui montre l’écran :
« J’ai une contraction et vous savez quoi ? JE NE SENS RIEN ! MERCIIIIIII ! »

Elle se fige. Regarde le monitoring. Regarde mon visage réjoui. De toute évidence, quelque chose ne va pas. Et puis elle me sort, d’un ton qui a changé, qui n’est plus amical mais médical, cette phrase qui me sidère :
« Ce n’est pas possible. Le produit met 15/20 mn à agir. Et je viens juste de vous l’injecter. Vous DEVEZ avoir mal ! »
Gloups et re-gloups. Voilà que je n’ai plus mal (mais alors plus mal du tout) alors que je devrais avoir encore mal. Ca me perturbe, sa réaction : encore une qui croit plus ses théories que la parole du patient. Mais tant pis ! je ne souffre plus, et c’est grâce à elle. Je lui dis :
« Vous voulez savoir comment je connais la péridurale ?
– Oui bien sûr ! »
Mais je sens que le cœur n’y est plus, quelque chose a cassé. Je la sens perturbée, perplexe par ce qu’elle vient de voir en direct : une péridurale agir immédiatement. Cela va à l’encontre de tout ce qu’elle sait sur la question. De tout ce que je sais aussi, car je sais que le produit met du temps à agir. Mais je m’en fous : j’apprécie.
Je lui relate succinctement mes heures passée à la FNAC, et toute l’information que j’ai pu y glaner. Dont la péridurale. Un bouquin explique ce que c’est, comment c’est fait. Dit aussi que le produit ne traverse pas le placenta. Que la technique est encore peu répandue en France. Mais que si on peut en bénéficier, qu’il faut en profiter. Au bout d’un moment, j’entends le pas de la sage-femme dans le couloir. L’anesthésiste prend congé, en me disant que le produit agit deux heures environ, mais qu’on peut en remettre si nécessaire. Je la remercie encore une fois.

La sage-femme a le visage fermé. On ne peut pas dire que ce soit le grand amour entre nous … elle me dit qu’il faut qu’elle regarde où en est la dilatation. OK pas de problème. Je demande si je peux avoir de l’eau, elle dit non, après l’accouchement. Que je risque gros si je bois et que … et que … et que … Elle repart, sans un mot, non sans avoir ajouté quelque chose dans la perfusion. La soif me torture. Mais je n’ai plus mal. Je m’endors …
C’est la douleur qui me réveille vraiment. Il me semble que la sage-femme soit passée à un moment ou à un autre, mais j’étais semi-consciente. Ca recommence à pulser dans le dos, méchamment. Je sonne. Elle arrive, je redemande une dose de péri … elle m’examine – pas durant la contraction – et me dit : « Non vous êtes quasi à complète, il va falloir pousser ; nous avons appelé le papa, comme vous nous aviez demandé, il ne devrait pas tarder. Je vais vous installer ».

Et me voilà pieds dans les étriers, jambes écartées, sexe ouvert … et la porte est grande ouverte. Je ne suis pas spécialement pudique, mais ça coince. Je donnerais n’importe quoi pour retourner dans les bras de morphée, mais rien à faire. La douleur est de nouveau insupportable, et de plus en plus insupportable. La pièce se remplit brutalement … mon compagnon, intimidé et qui ne sait pas où se mettre, interne, sages-femmes – c’est le changement d’équipe, les anciennes finissent et les nouvelles sont déjà là, plus une étudiante pile poil entre mes jambes derrière la sage-femme. Comme je jure en tapant la table, une sage-femme me sort « Faisiez pas cette tête là quand il est entré, hein ? bah il va sortir maintenant » … Et moi épinglée comme un insecte sur cette table, clouée de douleur, perdue, en plein cauchemar … mon compagnon essaie de me réconforter, me brumatise le visage plein pot – j’aime pas et je lui dit, je veux pas de flotte sur la figure, je veux BOIRE ! Une sage-femme me dit :
« On va essayer de vous faire pousser » …
Et c’est parti … « inspirez bloquez poussez … poussez … POUSSEZ ! » … une fois, deux fois … je pousse comme on me dit, je ne sens rien sinon la douleur, et je pousse … mais deux fois par contraction, pas trois comme on me l’ordonne. A la fin de la deuxième je suis HS, absolument incapable de remettre ça une 3ème fois à suivre. Mon compagnon m’encourage, l’interne m’engueule, une contraction, deux contractions … je reprends mon souffle et je siffle sèchement « Ta gueule, connard, c’est moi qui accouche » … c’est parti du cœur comme on dit, sortie de l’interne qui va se placer près des sages femmes. En rétorsion, je me retrouve avec deux sages-femmes qui font des pompes sur mon ventre, en pesant et appuyant de toutes leurs forces vers le bas. Je comprendrais après que c’est la fin du service des unes, qui veulent me finir avant de partir, et que les autres leur donne un coup de main, pour régler ça au plus vite. J’entends des bruits métalliques, et je jette un œil. La sage-femme entre mes jambes cache sa main … je bouge, je repousse les sages-femmes sur mon ventre avec brutalité.
« Vous faites quoi, là ? Dites-moi ce que vous voulez faire ! Une épisiotomie ? »
La sage-femme acquiesce. Des bribes de mes lectures reviennent « faciliter la sortie du bébé » … la fin du cauchemar est donc proche ? Et c’est reparti pour un tour, douleur, pousser, pousser et claaaaaaaaaaccccccc … ce bruit immonde des ciseaux coupant ma chair me fait sursauter (je ne peux supporter encore aujourd’hui d’entendre quelqu’un découper un lapin ou une volaille crue …). Et je pousseeeeeee ….
Je vois la jeune élève entre mes jambes changer de couleur. Elle a le teint très mat, et elle blanchit à vue d’œil. Bizarrement je suis détachée de ce que je vis, ailleurs, fascinée par son changement de teint qui devient rapidement d’un joli vert olive … j’avais jamais vu ça ! Elle a un haut-le-cœur, recule encore en titubant contre le mur, porte sa main devant la bouche, et sort rapidement, pas du tout assurée sur ses jambes … je reviens sur terre : quelle horreur sort d’entre mes jambes ? Je n’ai pas le temps de m’appesantir sur cette question existentielle. Des douleurs supplémentaires viennent me labourer : l’impression d’être brutalement écartelée, écartelée au delà de l’imaginable, et une brûlure intense, inimaginable. La sage-femme me dit « c’est presque fini » …
Je crois comprendre que le bébé est presque entièrement sorti, mais alors ce sont ses pieds qui raccrochent ? je suis limite du délire … et soudain j’entends un bébé hurler, tout près … je sursaute, et quelqu’un me dit « C’est votre bébé qui crie, il y a juste sa tête de sortie et il crie ! ». Je pousse encore, dégagement des épaules, et le reste suit … on me pose mon bébé sur mon ventre, c’est une fille. Elle se tait dès qu’elle est sur moi, et nous nous regardons. C’est une étrangère. Je la regarde, elle a les yeux bleus clair, semble être blonde … elle a la bouche de son père. Mais rien ne passe … je suis fatiguée, épuisée, soulagée que le cauchemar soit enfin fini – il ne l’est pas, mais ça je ne le sais pas encore. Ce bébé me fait le même effet que les autres bébés … on l’emmène, mon compagnon s’en va, et la salle se vide d’un coup. Je me retrouve seule … j’entends un bébé hurler à la mort, est-ce ma fille ? Un homme en blouse blanche entre, il s’assoit entre mes jambes, sans dire un mot, et … pique mon sexe. Je crie de douleur et de surprise. Il est cinglé ou quoi ? Il me dit :
« Vous avez eu une épisiotomie, il faut suturer.
– Pas à vif ?!
– Vous êtes sous péridurale, ça ne fait pas mal !
– La péridurale n’agit plus, ça fait très mal !
– Ne faites pas l’enfant, arrêtez de bouger, vous perdez du sang, il faut suturer vite.
– Si vous me retouchez une seule fois sans anesthésie, et je me fous de savoir comment vous ferez, je vous refais la mâchoire ! » Je suis fumasse – et terrorisée ! comment imaginer subir une suture à vif après tout ce que je viens de traverser ? je n’en peux plus, ça ne va donc jamais finir ? L’interne parlemente encore, je répète d’un ton de plus en plus violent : « Si vous me touchez, je tape ! » tout en bougeant – pas très fort mais assez pour l’empêcher de piquer. Il y a une tentative avec le spray aussi anesthésique que de l’eau, et il sent le souffle de mon pied près de son visage … Finalement, il se lève, en soupirant très fort … va chercher ce qui est nécessaire, revient, se rassoit et me dit :
« Je vais piquer – c’est l’anesthésie, alors on reste calme ! quelques injections autour de la zone à suturer, ce n’est pas très agréable, mais c’est vous qui le voulez ! »
Je ne bouge pas un cil. La sensation n’a rien à voir avec la piqûre de suture précédente, bien moins douloureuse, et puis c’est pour la bonne cause. Il anesthésie, me prévient qu’il va piquer plusieurs fois doucement pour vérifier si l’anesthésie est efficace avant de commencer à suturer … il semble tenir à ses dents on dirait ! Il va être parfait jusqu’au bout ! en cours de suture, il ré-injecte de lui même des doses d’anesthésique, en me prévenant systématiquement de ce qu’il fait … Heureusement que j’ai protesté : la suture dure plus d’une heure … j’imagine sans anesthésie locale, si je m’étais laissée faire : une vraie torture.

On me ramène ma fille en couveuse fermée. Elle est éveillée, on se regarde à travers la vitre. J’attend un miracle qui ne viendra pas …
Je suis installée au bout de je ne sais pas combien de temps dans une chambre double. Il y a une grande bouteille d’eau, la personne qui m’accompagne me dit de boire doucement … tu parles, elle a à peine tourné les talons que je bois la bouteille en entier en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Je planque la bouteille vide, et je sonne pour qu’on m’en rapporte une autre, qui sera vidée à peine moins vite que la précédente.

Durant les jours qui vont suivre, le cauchemar prend une autre allure : je suis épuisée, et j’ai l’impression de perdre beaucoup de sang. Beaucoup trop de sang. Je trempe les serviettes XXL nuit en deux heures parfois. Et ça dure … je le dis. Plusieurs fois. Je me plains aussi de ma fatigue. On me remonte les bretelles. Faut que j’arrête de m’écouter. Faut que je me reprenne. Faut que j’aille prendre une bonne douche. Que j’arrête de faire l’enfant. Et j’en oublie. Une seule personne va m’écouter – qu’elle soit bénie ! – une infirmière. Un vrai rayon de soleil. Elle va venir tous les jours, passer quelques minutes ou plus avec moi ; discuter, de tout, de rien, de sa vie, de la mienne. Elle prend au sérieux ce que je dis, mais personne ne l’écoute.
Et puis … nous sommes à J + 3 … je me lève pour prendre mon bébé, lui donner son biberon. Et je tombe sur le berceau. Net et sans bavure, comme fauchée. Je suis dans un état bizarre : j’entends tout, mais ne peux ni bouger, ni parler, ni même ouvrir les yeux. J’entends les appels de ma voisine, sa sonnette qu’elle presse à répétition, les bruits de pas précipités, les phrases échangées. Tout. Et puis quelqu’un fait un geste hautement technique, nécessitant beaucoup de matériels et de connaissance – je suppose, sinon pourquoi n’a-t-il pas été fait de suite ? – il baisse ma paupière inférieure et dit « elle est complètement anémiée » … une autre voix ajoute « et elle perd pas mal … » …
Je me retrouve sur mon lit, avec une perf et un traitement.
Personne n’est allé voir du côté du périnée / vagin ce qui se passait.

Des années après, une gynécologue me montrera par un endoscope que mon col a été déchiré lors de l’accouchement – et pas qu’un peu.
Il y a quelques mois, j’ai appris qu’une déchirure du col était toujours à rechercher en cas de pertes de sang anormalement fortes et prolongées, et qu’une suture sous anesthésie générale était nécessaire quasi toujours.

La boucle est bouclée, j’ai enfin compris ce qui s’était passé ! Plus de 20 ans après. … leur expression abdo totalement inutile (qui a de plus lésé mon périnée en profondeur, qui ne s’en est jamais remis), a fait passer bébé en force dans le col, qui a déchiré. Saignements anormalement abondants, mais qui n’ont inquiétés personne. Ca a cicatrisé comme ça a pu, et heureusement ça n’a pas empêché mon col de faire son boulot correctement pour mes deux autres grossesses.

Blandine

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Lien vers le second récit de Blandine : #349 Deuxième accouchement – En province, années 90

#325 – Naissance de ma fille, novembre 2013

8 Jan

06/11/13

RV au service gynéco-obstétrique du CHU.

Arrivée à 10:30 pour un contrôle, mon gynécologue me dit qu’il ne préfère pas me laisser continuer, souffrir, etc. Il me propose de me déclencher dans un 1er temps avec un tampon. (Qu’on m’a mis à 11:30). On attend 12 à 24h pour voir si ça mature mon col (qui n’est ouvert qu’à 1 cm et pas encore effacé). Après on verra pour utiliser d’autres moyens de déclenchement si besoin. Donc wait and see. La pose du cathéter a été show Time. Elles s’y prennent à 2 (1 sage-femme et 1 Ide) et me piquent 5 fois pour me poser la perf´… je passe du service urgences obstétriques au service grossesses pathologiques (à 13:00 où on me donne à manger) où je suis surveillée jusqu’à l’accouchement. Après choupetta et moi serons dans une chambre de mater’ pour nous deux.

Futur papa prend dès ce jour ses congés naissance pour être avec moi. Sa présence me rassure. La sage-femme me conseille de me reposer, prendre des forces pour quand le travail arrivera …

14h. Etat d’esprit : Oui … Se dire que ça va arriver, d’après la sage-femme au mieux dans la nuit; d’après Dr le lendemain semble probable ou même le surlendemain …

C’est curieux, être là à attendre, un nombre incalculable de pensées viennent à moi … Bientôt je vais enfin pouvoir serrer ma fille contre moi … la sentir … Je vais enfin être maman après toutes ces fausses-couches, toutes ces craintes … Et déjà je suis dans l’inquiétude de savoir si elle va bien, si elle a ce qu’il faut là où il faut …

15h. Après une micro-sieste, je suis réveillée par des douleurs continues au bas-ventre … Personne n’est encore venu me voir. J’attends encore … Je sais que mon col doit s’effacer et que je ne peux pas non plus passer de 1 cm à 10 cm aussi vite.

Les contractions douloureuses sont présentes depuis 14:45. La sage-femme passe à 15:30 et je suis sous monito. Bébé bouge beaucoup. Ma tension est basse.

16:15. Chéri revient. Ouf je suis soulagée de ne pas souffrir seule.

17h. Je sens bien la petite appuyer sur le col. La sage-femme dit qu’il faut attendre … Je viens d’aller marcher un peu dehors, et là je suis de nouveau dans la chambre.

Ça va pour l’instant, c’est les douleurs qui m’occupent le plus. Elles me prennent toute la sangle abdominale. J’ai l’impression d’avoir le dos coupé en deux.

17:45. Mal de tête, sensation de fièvre. On me branche le tensiomètre.

18:45. Tension légèrement supérieure, contractions ++. La sage-femme va demander à ce qu’on me voit.

19h51. Toujours personne n’est venu, je note mes contractions, chéri s’impatiente de savoir comment ça se passe s’il part, s’il peut revenir, etc. La sage-femme présente n’a pas l’air très efficace. Mes parents ont téléphoné, je leur ai dit être déclenchée, et qu’ils ont le temps de venir que quand j’aurais accouché.

21:30. La sage-femme vient m’examiner. Mauvaise nouvelle : mon col n’a pas bougé. J’ai un « faux travail » = douloureux mais inefficace. Je pleure de douleur.

22:00. On m’emmène au service urgences obstétriques, monito + tension et injection de Nubin, un dérivé morphinique. Là, je « plane » … ; je ne sens quasi plus les douleurs.

23:30. De retour dans ma chambre, je suis shootée, j’ai envie de dormir.

07/11/13

1h … 2h … Réveillée. Chéri est là, ça me rassure.

3h30. Une aide soignante rentre dans la chambre, semble étonnée de voir le papa et lui fait une remontrance car une autre maman doit arriver.  » Dites donc monsieur, il va falloir partir, personne ne vous a autorisé à rester la nuit, c’est pas une chambre d’accompagnant. Ce « réveil » houspillant me fait monter dans les tours… je m’énerve aussi sur sa manière d’houspiller. « Ok mea culpa. Y’a pas mort d’homme. » Elle peut dire la même chose sans gueuler et encore moins prendre ce ton d’houspillade comme si on avait 5 ans, et qui de plus est, un autre soignant avait justement autorisé Monsieur à rester … Bref.

Finalement, chéri part, un peu à contre-coeur … ; mais ni lui ni moi, on a la force du débat…

4:30. Alors que je cherche le sommeil, j’ai quelques contractions … je perds les eaux. Je ne peux rien retenir. J’appelle les soignants. Je file aux wc. Je perds aussi le tampon … C’est la sage-femme qui est davantage présente. L’aide-soignante est là mais bon …

4:50. Le doc dit de me mettre sous monito / surveillance. Et en réunion doc à 8h ils décideront si on me remet un tampon ou s’ils passent à une autre méthode. J’espère la 2ème optique ! A présent les contractions sont plus intenses …

5:10. La sage-femme me fait une piqûre pour tenter soulager douleur, mais rien n’y fait.

5h30. la sage-femme relève le monito, bébé va bien. Elle m’explique qu’il n’y a pas d’autres choix que de faire en sorte de laisser maturer le col. (Jusque demain 😦 ) . D’ici là, ils peuvent essayer de calmer douleurs par le même dérivé morphine qu’hier soir (espacé de 8h) et tenter de remettre un tampon ou du gel de prostaglandine qui pourrait éventuellement aider. A ce moment précis, ils ne peuvent pas mettre l’ocytocine sous perf´ car le col n’est pas encore effacé, et on m’explique que quand ils le font c’est quitte ou double, la seule issue après c’est la césarienne.

7:30. La sage-femme me renvoie aux urgences obstétriques pour voir si on m’administre une piqûre, etc.

7:50. Aux urgences obstétriques, la sage-femme force mon 1 cm en 2 doigts car mon col est maintenant centré (et non plus postérieur). Elle me parle d’une éventuelle péridurale.

8:00. La sage-femme me fait une piqûre de dérivé morphinique, le même calmant que la veille au soir. Elle pense que le travail maintenant va commencer.

J’essaie de téléphoner à Chéri mais je crois qu’il est dans les bras de Morphée il n’entend pas le tél.

Là où je m’attendais à ne pas souffrir, ce n’est pas le cas. Je suis seule, les contractions augmentent, chéri n’arrive pas. Je ne veux pas accoucher sans lui. Le stress se mêle à la douleur. Ma mère téléphone … Mon dieu, c’est pas le moment, j’ai trop mal …

10:30. Arrivée du chéri. Je suis à bout… Attente de mon col à 3 cm pour avoir une péridurale.

11:50. 1ère péridurale : douloureuse, longue et inefficace.

14:00. Ma sage-femme s’énerve un peu contre l’anesthésiste et demande qu’un autre vienne.

14:40. Le 2ème anesthésiste arrive, fait le geste et s’en va… Donc 2ème péridurale qui, enfin, me soulage … Allant même jusqu’une petite sieste.

17:30. Travail en cours. Je ne m’attends pas à avoir quand même mal sous péridurale. L’anesthésiste me rajoute un produit … Dilatée à 5 cm … Il faut attendre encore … Côté état d’esprit : fatiguée par douleurs et manque de nourriture, et je commence à essayer d’imaginer Louise qu’on posera sur moi (histoire de me booster ) !

18:30. On trouve le bon dosage de péridurale pour soulager mes douleurs. Ouf je respire un peu … et surtout je dors … Je me prépare mentalement à accoucher.

19:30. La sage-femme de nuit vient se présenter et m’expliquer la suite : 1 visite par heure avec augmentation du Syntol + massage du col.

Là, s’alternent des phases où je dors, avec les phases où des soins me sont prescrits.

22:30. L’interne gynécologue présent ce soir là m’explique la possibilité d’une césarienne. Les indications médicales sont : le col qui ne bouge pas, le bébé macrosome, et aussi que j’atteins presque les 36h de déclenchement-travail …

23:30. On m’examine et le gynécologue me dit qu’il n’y a guère 36 autres méthodes. Et on me monte au bloc. Et là c’est trop bizarre j’ai la sensation de dormir éveillée … Je me souviens être allongée et attachée, entendre des voix de médecins autour de moi … Je panique, et réussit à me détacher les bras. Je bouge, les médecins s’énervent sur le fait que je bouge. J’entends la sage-femme me dire de ne pas bouger, puis plus rien. Je saurai plus tard que pour le bien de mon bébé et pour mon bien, ils m’ont rajouté un anesthésiant… Du coup, je dors … et du coup, je ne vis rien de mon accouchement.

08/11/13

00:14. Je suis réveillée par des claques, et des coups sur le front par la sage-femme qui me dit « Madame, Madame, embrassez votre fille ! » … Je suis attachée, je ne réalise rien, je vois (tout flou) mon bébé, j’embrasse ma fille, mais déjà, ils partent avec pour s’occuper de ma fille. 4,120 kg pour 54 cm…

2:30 J’émerge, en salle de réveil. Chéri est avec bébé et elle sous couveuse qui est prescrit pour toutes les césariennes mais aussi qui est là pour le transport. Je suis totalement à l’ouest. Chéri m’explique qu’il vient de passer deux heures avec notre fille, à m’attendre … que je peux la toucher … La sage-femme habille notre fille … Enfin, on me la pose sur moi … et nous avons le droit à un moment tous les trois avant qu’on ne nous transfère à notre chambre en maternité …

J’avoue que ces 36 h ont été très longues … À un moment, j’aurais voulu partir … Quand le travail était si pénible, avant la 1ère péridurale et la 2ème … en fait, j’ai vécu et subi à peu près tout ce dont je pouvais avoir peur … Rester des heures à souffrir pour rien … Ou vivre une césarienne …

#324 – Le prix à payer pour …

8 Jan
Voici le témoignage de mon accouchement, à Paris, qui m’a fait vivre l’enfer. Les conséquences de mon accouchement ont été longues et j’ignore combien de temps elles dureront. J’y pense encore douloureusement.
Merci de votre lecture.

Le 10 septembre 2013, lors de ma visite du 9ème mois, dans cette maternité parisienne qui se veut physiologique et naturelle, alors que, pour la première fois, on ne me fait pas le toucher vaginal systématique, dont j’apprends qu’il n’est en fait pas obligatoire, la sage-femme m’annonce que le bébé est encore haut, et me conseille de faire une séance d’acupuncture pour faire descendre le bébé et déclencher les contractions. L’acupuncture me va bien, j’en ai assez de dévoiler mon intimité à la ville entière, depuis plus de huit mois.

À peine sortie de la maternité, je prends rendez-vous pour le lendemain matin. J’arriverai chez l’acupuncteur après une nuit très courte suite à une longue insomnie.

Je passe toute la journée du 11 à sentir que quelque chose a bougé.

Le 11 à presque minuit, en me redressant pour aller me coucher parce que je suis extrêmement fatiguée de cette courte nuit et cette longue journée, je sens un liquide chaud couler entre mes jambes. Devant la tête que je fais, mon compagnon me demande, comme à chaque fois que je fais une drôle de tête depuis un mois : « Tu vas accoucher ? ». Cette fois-ci, je réponds que c’est bien possible. Je file aux toilettes et cela se confirme, j’ai perdu les eaux. Le liquide amniotique est clair.

Alors que je me dis que j’ai quatre heures devant moi avant de devoir partir, et que je vais en profiter pour dormir un peu, mon compagnon appelle la maternité, qui nous dit de venir immédiatement. Nous arrivons une heure et demie plus tard, après que j’aie assouvi ma petite lubie de soudainement me maquiller et vérifier mes valises.

À la maternité, on me place sur une table pour un monitoring après avoir vérifié ma dilatation : 1 doigt. Malheureusement, le bébé bouge beaucoup, il est très dur d’avoir un monitoring constant pendant 20 minutes. Il nous faudra deux heures et demie avant d’y parvenir. Je suis déjà épuisée.

On nous met dans une chambre dans les étages. Je ne sens pas les contractions et je m’endors aisément. À 7 heures du matin, de grosses contractions me réveillent. Je parviens malgré tout à me rendormir sur le petit bout de lit qu’il me reste – nous sommes deux sur un lit 1 place. À 11 heures, je me réveille pour de bon, avec toute la douleur des contractions. Je prends de l’huile de ricin pour accélérer l’accouchement, mais ça ne changera rien.

De 12h à 16h, mon compagnon et moi faisons des aller-retours dans les escaliers et le jardin de la maternité. Quand les contractions deviennent trop fortes, je vais prendre des douches chaudes qui me font oublier la douleur.

Vers 16h, les contractions sont vraiment rapprochées et douloureuses. J’appelle l’infirmière, qui confirmera le besoin de me faire redescendre en salle de naissance.

À nouveau, on me place pour un monitoring. Je dois rester allongée alors que seul le mouvement fait passer la douleur. Comme le bébé bouge toujours beaucoup, il faut encore longtemps avant d’en avoir un fiable. Je suis toujours à 1 doigt de dilatation.

J’explique à l’équipe que j’aimerais accoucher dans l’eau, que je n’ai pas le streptocoque B, et que l’eau chaude m’aide à gérer les contractions. Malheureusement, la salle de naissance avec la baignoire est occupée à ce moment-là, et l’équipe a un peu la flemme de me faire couler un bain dans une autre salle et de me transférer plus tard.

Après de longues minutes à insister, on me laisse finalement remonter dans ma chambre pour prendre une douche chaude.

La douche dure longtemps. Je redescends en salle de naissance à 19h, on me remet le monitoring. J’explique que je veux marcher. Qu’être statique est insupportable. Je demande le monitoring sans fil dont on m’a parlé pendant les séances de préparation à l’accouchement. On m’explique que les capteurs ont été balancés par erreur un mois plus tôt. Je ne tiens plus allongée. On me donne un ballon et très franchement ça ne change rien, je veux juste marcher.

On nous laisse marcher dans les couloirs entre les salles de naissance, et mon compagnon et moi déambulons pendant longtemps, en balançant nos hanches. Les sages-femmes nous surnomment « les danseurs ».

Malgré le mouvement, les contractions deviennent plus fortes et moins faciles à gérer. On veut me refaire un monitoring. Je fuis ces moments extrêmement douloureux qui disent toujours la même chose : tout va bien. Je ne sais par quel miracle, une sage-femme passera par ma chambre. Je lui explique à elle aussi que j’aimerais accoucher dans l’eau et qu’en attendant, j’ai mal, alors que l’eau chaude me fait du bien. Elle m’explique que les deux baignoires, qui ne sont pas des baignoires d’accouchement mais des baignoires de travail, sont libres depuis longtemps, et s’étonne que personne ne m’ait proposé de prendre un bain. Elle me fait couler un bain chaud et mon compagnon et moi nous retrouvons dans une petite pièce calme, à la lumière tamisée, où nous mettons notre musique et nos huiles essentielles à l’abri du corps médical. Ce moment est magique. Les contractions deviennent plus fortes mais mon ami me passe de l’eau sur le ventre quand elles viennent et je gère la douleur. Quand elles deviennent trop fortes, nous retournons marcher en balançant nos hanches, puis je reviens dans l’eau, puis nous remarchons, en alternant. Mais à un moment, je sens les contractions devenir vraiment plus douloureuses et plus intenses, et je vomis de douleur. À ce moment-là, je sens que je suis en train de m’épuiser, et que je vais peut-être devoir renoncer à mon rêve d’accoucher dans l’eau. J’annonce à mon ami que je vais demander un check-up, que si le travail a bien avancé, j’attendrai sans péridurale, et que sinon, je vais la demander.

Il est bientôt minuit et je suis à un doigt et demi. Je perds pied. Les sages-femmes me disent que c’est normal, mais je suis épuisée et je ne veux pas ne pas avoir la force de pousser mon bébé hors de moi. Ce que je crains plus que tout, c’est l’épisiotomie. Je la crains tellement que je l’ai fait noter dans mon dossier médical, et que j’ai annoncé à tout le monde que je préférais la déchirure. Alors, pour ne pas perdre cette force, je demande la péridurale. Tant pis pour l’accouchement dans l’eau, au moins je pourrai choisir ma position d’accouchement pour minimiser les risques de déchirure et d’épisiotomie, c’est dans la charte de cette maternité que l’on peut choisir sa position d’accouchement. L’anesthésiste vient me poser la péridurale. Il me pique la colonne vertébrale une douzaine de fois avant de mettre l’aiguille correctement, m’engueule parce que je me plains que cette aiguille me fait mal, et s’en va tout de suite après.

Quand la péridurale commence à faire effet, c’est le soulagement total. Je m’endors aussitôt. Malheureusement, la péridurale a ralenti le travail, on me propose de faire une séance d’acupuncture pour le relancer. La sage-femme acupunctrice viendra une heure et demie plus tard, et ça ne fonctionnera pas. On me rajoute de l’ocytocine dans la perfusion. Puis la douleur me réveille un peu plus tard, on me réinjecte une dose. Elle ne fait pas effet. Une deuxième dose ne fait pas effet non plus. Une troisième non plus. Épuisée, je me rendors entre chaque contraction, et je me réveille submergée par la douleur à chaque fois. Les sages-femmes vont voir l’anesthésiste, qui leur conseille d’augmenter les doses. Ça ne fonctionne toujours pas. De les rapprocher. Ça ne marche pas non plus.

Je finis par comprendre que la douleur est bel et bien réinstallée et que la péridurale ne fera plus effet. Je veux marcher, c’est la seule chose qui me fait du bien. Mais on me l’interdit, maintenant il faut un monitoring constant, on me propose le ballon qui ne fait toujours rien. J’arrive à m’échapper de temps en temps quand je vais faire pipi, et encore, je vois bien que ça fait chier l’équipe qui me propose à plusieurs reprises de me sonder alors que je suis parfaitement en état de marcher.

L’anesthésiste de garde change. Le nouvel anesthésiste comprend bien ma douleur, tente encore quelques injections de péridurale un peu plus fortes.

J’ai un répit d’une demi-heure. Je compte en profiter pour me reposer, mais impossible : l’équipe soignante a changé, et si les sages-femmes de nuit acceptaient que mon compagnon vienne les voir directement parce que la sonnette de mon lit ne marchait pas, ça n’est pas du goût de l’équipe de jour. Cette demi-heure de répit sans douleur, c’est précisément celle qu’ils choisiront pour envoyer un technicien pour réparer la sonnette de mon lit. On ouvre grand les rideaux, la chambre est remplie de lumière et de gens, impossible de me reposer.

Le bébé pousse sur mon rectum, je demande si c’est normal. On me dit que oui.

Il est 13h30. On m’explique que cela fait deux heures que je suis à dilatation complète. Je m’étonne de ne pas avoir été prévenue avant. Les sages-femmes me disent qu’il va falloir faire une manœuvre interne parce que le bébé « n’est pas dans le bon sens ». On ne me dira pas qu’il est en OS. Je dois être trop cruche pour comprendre, même si je connais l’intégralité des termes médicaux depuis mon arrivée – je suis bien renseignée.

L’anesthésiste revient. Il m’explique que ma péridurale a été posée n’importe comment, qu’elle est beaucoup trop haute et que c’est pour cela qu’elle ne peut pas faire effet. Il me dit qu’il veut la reposer, et faire en premier lieu une rachianesthésie puis laisser un cathéter pour la péridurale. Il me dit que cela peut couper le bloc moteur, mais ayant déjà eu une rachianesthésie pour une opération du genou, je sais que je peux gérer. J’accepte.

Je veux aller faire pipi. Je me lève, et je marche, certes avec l’aide de mon compagnon, l’infirmière derrière pousse la perfusion, mais je marche. À mi-chemin des toilettes, la sage-femme nous arrête : elle refuse que j’aille aux toilettes avec la rachianesthésie et préfère que je fasse pipi dans un pot. J’explique que je n’y arriverai pas, je suis pudique, je l’ai toujours été, j’ai besoin d’être dans une petite pièce fermée à clé pour pouvoir me laisser aller. Elle refuse, et propose qu’on vide la chambre. Je me retrouve seule sur mon lit d’accouchement, avec un pot sous les fesses, le sentiment que tout le monde peut entrer à n’importe quel moment, et bien sûr, je n’y arrive pas. « C’est pas grave, on va vous sonder. » Une humiliation nécessaire ?

On me donne le ballon pour que je me mette à quatre pattes pour voir si le bébé descend. Ça ne marche pas, je ne suis pas du tout à l’aise avec ce ballon qu’on essaie de me refourguer depuis le début. L’interne du service arrive pour la manœuvre interne, il a des mains gigantesques alors que la rachi commence à passer et que je n’ai pas encore eu de dose de péridurale. On m’en injecte une, mais j’ai peur. L’interne est un homme et ça me met mal à l’aise. Il me fait la blague la plus nulle de tous les temps : « Ah oui, j’ai vu votre dossier, vous êtes la patiente qui a fait préciser qu’elle n’aimait pas l’épisiotomie. Bon, ben du coup, je vous la fais tout de suite ? ».

Je n’ai pas beaucoup le sens de l’humour et cette fois-ci c’est trop. Je regarde les sages-femmes et je leur demande s’il est possible que la manœuvre interne soit exécutée par une femme.

La femme en question était déjà dans la salle, derrière moi, et prend très mal le fait que je refuse l’interne : « Ce n’est pas un homme ! C’est le DOCTEUR *** ! », comme si les médecins n’avaient pas de sexe.

Tout le service entre dans ma salle de naissance au moment de la manœuvre. Je suis à poil, avec un bébé dans le ventre, des contractions douloureuses, je vais prendre un avant-bras entier dans la chatte et en plus je suis sur la place publique ?!? J’explose, je hurle « On a besoin d’être 12 dans cette pièce ou quoi ? ». Les personnes inutiles repartent aussitôt, les autres se font discrètes et se collent au mur.

La manœuvre marche un peu mais pas totalement. La médecin commence à me parler sur un ton doucereux de césarienne. Je regarde le monitoring, et ma tension : tout le monde va bien. Je lui dis que je vais bien, que le bébé va bien, et qu’on peut attendre un peu de voir comment la manœuvre va continuer. Je lui dis que je voudrais éviter la césarienne, que la primo-infection du bébé doit se faire si possible par les bactéries « amies » du vagin de la mère et non les bactéries du milieu hospitalier. Elle me montre clairement qu’elle n’apprécie pas les arguments médicaux (« Je suis médecin, c’est moi qui sais, et vous, vous êtes là pour accoucher, pas pour réfléchir, d’accord ? Alors vous restez dans l’émotionnel là, l’hémisphère droit, et vous arrêtez avec le rationnel ! ») et me rétorque que si j’allaite, alors on s’en fout.

Elle insiste pour la césarienne « Ce n’est pas un échec, c’est juste une autre voie » et mon ami lui fait remarquer que « L’autre voie madame, on l’ouvre au scalpel ». Elle est agacée de notre insistance et déclare revenir une demi-heure plus tard. On m’installe sur le côté avec un pied dans l’étrier.

Là, je sais que j’ai une demi-heure pour que le bébé soit dans le bassin, car s’il est dans le bassin, elle ne pourra plus opérer.

Je suis devenue mon bassin, vraiment. J’ai fait des mantras, j’ai chanté, j’ai médité, j’ai visualisé.

28 minutes plus tard, la sage-femme entre dans la pièce, vérifie et m’annonce : « Le bébé est dans le bassin, et vous êtes vraiment grande-ouverte, il a toute la place de passer ».

2 minutes après, la médecin entre, et demande où j’en suis. La sage-femme lui dit que le bébé descend. Mauvaise nouvelle pour elle.

Soudainement, le besoin de pousser. Je me redresse.

La médecin m’appuie sur l’épaule. « – Je veux me redresser ».

« – Vous n’avez pas la force ».

Je lui dis que j’ai la force, que je veux me redresser, me mettre à quatre pattes ou accroupie. Elle me répond que je n’ai pas la force, qu’elle est médecin, qu’elle et l’équipe soignante savent mieux que moi, ils ont « une conscience plus générale » de mon état. J’insiste, elle me dit que ça suffit, qu’elle m’avait déjà dit d’arrêter de réfléchir. Elle explique que je me suis déjà mise à quatre pattes tout à l’heure, et que ça n’avait rien changé, comme si la situation avait quelque chose à voir. Comme elle voit que je ne lâche pas l’affaire, elle se tourne vers la sage-femme qui avait été si gentille avec moi depuis le début et me dit : « puisque vous ne voulez pas m’écouter moi, on va faire comme la sage-femme le dit : qu’en dites-vous, N. ? », comme si une sage-femme allait s’opposer à la cheffe de service…

J’arrête de lutter, je suis en position gynécologique, je me sens humiliée, vulnérable. Je pousse. Je pousse encore. Apparemment je pousse bien. Mais pour une raison que j’ignore, on décide de me faire faire un test pour savoir si je pousse mieux en soufflant ou en bloquant ma respiration. À partir de là, on m’ordonnera de respirer, bloquer, pousser, respirer, bloquer, pousser, alors que pousser est un besoin vital et que je sens bien mon corps capable d’y parvenir tout seul.

Le bébé s’arrête dans le bassin. Je veux me redresser, alors elle demande à l’infirmière de mettre ses coudes dans mon ventre « pour empêcher le bébé de remonter entre les contractions ». Super pour la détente progressive de mon périnée ! Elle veut prendre les forceps. Je refuse, je ne veux pas d’épisiotomie. Elle me dit que ça n’est pas obligatoire, encore moins avec la ventouse. J’accepte la ventouse parce qu’on m’avait dit que ça ne servait qu’à redresser la tête du bébé, et qu’il faisait le reste du travail tout seul.

Mais en fait, elle tire dessus. Je sens le bébé descendre incroyablement vite. Elle essaie de remettre un coup de ventouse, mais la ventouse lâche. Le bébé continue à descendre, je touche sa tête. Il est juste au bord.

Il ne sort pas. On me dit qu’il va falloir faire une épisiotomie. Je ne veux pas. On me dit qu’il le faut. Je refuse. La médecin insiste. Je pleure que je ne veux pas. Elle hurle que ça suffit. Je continue à dire que je ne veux pas, que je veux encore pousser. Je jette un œil aux constantes vitales du bébé, il va bien. Voyant que je refuse, ils tentent de pousser mon compagnon à me faire accepter. Ils lui font peur, lui font croire que le bébé va mal. Et lui se penche vers moi : « Cécile, il faut qu’il naisse ce bébé ».

La plus grande solitude du monde. Je pleure que je ne veux pas. Je veux me redresser. La sage-femme coupe.

J’attrape le bébé et le pose sur mon ventre. Je n’ai même pas regardé si c’était une fille ou un garçon. On vient de me découper.

Agpar à 10 : ce bébé va très bien. Il n’y avait pas d’urgence. On m’a coupée. Découpée. Comme un vulgaire bout de viande, je n’avais pas de consentement à donner. Sauf que l’épisiotomie est hémorragique.

Tout à coup on décide que le bébé respire mal et qu’il faut l’emmener se faire aspirer. En fait, il faut sortir le bébé et le papa parce que mon épisiotomie est hémorragique, qu’on m’a donc fait une délivrance artificielle, que j’ai fait une rupture placentaire et que je suis donc en train de faire une hémorragie de la délivrance. Et hop, une petite révision utérine, c’est cadeau. Cependant, je souffre sans savoir ce qui se passe, tout ceci je l’apprends à la lecture de mon dossier médical, des semaines plus tard.

On me recoud avec une injection mais je sens les points. Pendant qu’on me recoud je demande combien il y a de points. La sage-femme reste vague, prétextant qu’ « on ne peut pas vraiment compter comme ça ». Elle ne me regardera plus jamais dans les yeux. La médecin, ce monstre, me dit que cette épisiotomie est « toute petite ». Le lendemain je verrai les 13 points externes et les infirmières seront impressionnées par la « grande taille » de cette coupure. Pourquoi m’avoir menti sinon par sadisme ?

Et finalement, la sage-femme, avant que mon bébé ne revienne : « je vais vous faire un toucher rectal », parce que je n’avais pas été assez humiliée jusque là. Mon bébé revient avec son papa, on me le pose sur le ventre. Il tète goulument. Je n’arrive pas à saisir la magie de ce moment, on m’a découpée. Je voulais accoucher dans la position de mon choix et ne pas subir d’épisiotomie, mais on ne m’a pas laissé le choix.

Pendant que le papa remonte chercher des habits de bébé, on teste ma glycémie, je suis à 10. On m’explique que je ne vais pas avoir besoin de transfusion. Je m’étonne que cela soit même une option envisagée, personne ne m’avait dit que j’avais fait une hémorragie. Je le saurai quelques semaines plus tard en lisant mon dossier.

En sortant de la salle d’accouchement pour remonter dans la chambre, nous croisons la médecin. Elle vient nous voir et nous dit qu’elle a eu raison d’être sèche, qu’il le fallait. Pourquoi ? Toujours pas d’explication. Je suis censée accorder une confiance aveugle au corps médical sans même le remettre en question. Puis elle me dit : « une épisiotomie, c’est le prix à payer pour être une fille jeune et en bonne santé ». Le prix à payer, merci madame.

Nous montons dans la chambre et nous sommes dévastés. Je pleure pendant des jours et des jours. Je ne trouve aucune joie dans cette naissance, aucun bonheur. Je revis sans cesse la scène, j’imagine comment elle aurait pu se passer autrement, je rêve de vengeance, je me cloître dans mon incompréhension, j’interroge tout le monde et personne ne comprend. Mon compagnon est dévasté aussi. Il ne sait pas si je parviendrai à m’en relever. L’incompréhension entre nous est totale. Je lui en veux de m’avoir dit que je devais accepter de me faire découper. Il faudra tomber le troisième jour sur une puéricultrice merveilleuse pour que l’on nous écoute vraiment. Et des mois pour que mon compagnon m’explique qu’il m’a dit ça pour savoir quoi faire, pas pour écouter les médecins.

Je ne supporte pas les anti-inflammatoires. Alors je souffre de mon épisiotomie. Je peine à me lever, à m’asseoir, à m’allonger, à marcher. La douleur physique ajoute à la douleur morale.

Le quatrième jour, une infirmière me fait la morale parce qu’elle ne comprend pas bien pourquoi je me plains. « Une déchirure, ça, c’est traumatisant. Pas une épisiotomie ». Elle me dit que dans cette maternité, on ne fait des épisiotomies que quand c’est nécessaire, et « on n’en fait presque pas, on en fait que 25% ». Je lui demande si une femme sur quatre c’est « presque pas ». Je suis blessée qu’elle ne comprenne pas mon traumatisme, qu’elle nie ma douleur.

La cicatrice est grande, j’ai peur d’aller à la selle et que ça tire sur les fils. Je serai constipée pendant 4 semaines, et m’en tirerai avec des hémorroïdes que l’accouchement m’avait malgré tout épargnées.

Je quitte la maternité avec l’impression de quitter l’enfer. Malgré ça, je pense à l’accouchement tout le temps. Je pleure plusieurs fois par jour, je revis la scène en permanence. Chaque moment de solitude fait monter les larmes. Je ne comprends pas comment j’arriverai à dépasser ça un jour.

La cicatrice me fait mal pendant des semaines.

Je demande mon dossier médical. On me l’enverra en retard parce que la médecin a demandé à rajouter des annotations.

Mon compagnon et moi reprenons les rapports à tout juste six semaines. C’est atrocement douloureux.

Le lendemain, j’ai rendez-vous à la maternité pour la visite de suite de couches. La médecin sur laquelle je tombe ne trouve pas mon dossier. Elle part le chercher, ne le trouve pas, et va donc voir la médecin qui a assisté à mon accouchement. Elle revient confuse, me parle directement de mon épisiotomie alors que je n’ai toujours rien dit, et me déclare « vous savez, on avait vraiment besoin de vous la faire ». Je demande pourquoi, elle me répond que sinon, je risquais une déchirure. Je réponds que j’aurais préféré la déchirure, « ah non, vous ne pouvez pas préférer ça ». Puis je lui dis qu’on ne m’a pas parlé de déchirure pendant l’accouchement de toute façon. Un éclair de panique passe sur son visage. « – Ah bon, on vous a parlé de quoi ? », « -De rien, on m’a juste dit que le bébé devait naître ». Elle me dit que c’est vrai, que l’expulsion a duré 38 minutes, qu’à partir de 20 minutes c’est dangereux pour le bébé. Je suis étonnée d’apprendre ça, je ne l’ai jamais lu nulle part. Je lui dis que sa collègue m’a empêchée d’accoucher dans la position de mon choix, elle me répond que c’est normal, qu’on ne peut accoucher que sur le dos. Quand je lui rétorque que ça n’est pas du tout ce que l’on m’a appris pendant les séances de préparation à l’accouchement, ni la charte de la maternité qui l’emploie, elle invente carrément un bon gros mensonge et me dit qu’on peut se mettre dans la position qu’on veut pendant le travail, mais pas pendant l’expulsion. Comme cette médecin est la médecin-coordinatrice de la maternité, je sais que je ne pourrai même pas saisir la CRUQ de l’établissement. J’ai beau pleurer toutes les larmes de mon corps dans son bureau, elle ne me parlera pas de la dépression post-partum. Elle veut juste que je sorte de son bureau, et couvrir sa collègue.

La semaine suivante, je commence la rééducation du périnée. J’ai choisi une sage-femme libérale à côté de chez moi. Je lui explique mon accouchement. C’est une sage-femme de la vieille école, elle ne comprend pas que je puisse me plaindre d’une épisiotomie. « Moi j’en ai eu une pour tous mes accouchements, et ça va très bien. » Quand elle me demande si j’ai mal aux rapports et que je réponds que oui, elle rétorque « c’est dans la tête ».

Après 6 séances à souffrir le martyre (« votre périnée répond bien, mais la sonde vous permettra de voir votre score ! » Sympa les chocs électriques sur la cicatrice), je me rends compte que je souffre à l’entrée du vagin mais que je ne sens rien derrière. La sage-femme m’explique que l’épisiotomie m’a coupé les nerfs, que c’est normal, que parfois ça ne repousse pas « mais ce n’est pas très grave, ce n’est pas la partie sympa du vagin ». Déprimée, je vais voir ma gynécologue habituelle, celle qui a suivi ma grossesse jusqu’au septième mois. Je lui raconte mon accouchement et elle est navrée. Elle regarde ma cicatrice et me dit que certains fils à l’intérieur se sont mal résorbés, que j’ai une boule à l’entrée du vagin et que c’est cette boule qui est douloureuse. Elle m’annonce aussi que je fais une dépression post-partum. Pour la première fois, quelqu’un me dit que je ne vais pas bien, et que cet état n’est pas un état normal, et qu’il est possible d’en sortir. Elle m’envoie voir une sage-femme spécialisée dans les douleurs périnéales et un psychologue. La sage-femme diagnostique des névromes et me propose de les traiter par courant antalgique.

Nous sommes à trois mois de l’accouchement, et pour la première fois, j’ai l’impression que je vais aller mieux un jour, même si j’en doute souvent. Je pense toujours à l’accouchement tous les jours, je revis la scène, je pleure souvent.

Aujourd’hui, j’ai envie de me battre, de porter plainte contre cette femme, de prévenir les autres femmes enceintes. C’est peut-être un début.

#310 De la grossesse aux suites de couches – Hauts-de-Seine

28 Nov
Je considère que la naissance c’est aussi le suivi de grossesse et les suites de l’accouchement.
Et là franchement, le respect des personnes est loin d’être garanti!
Le suivi de grossesse
Franchement très décevant.
La maternité de niveau 2 où j’étais inscrite prend des allures d’usine pour les consultations de suivi. On te demande de venir 30 minutes en avance et le gynécologue ou la sage-femme qui assure les consultations, avait presque toujours une heure de retard.
Examen rapide, aucune question sur le moral des troupes, les craintes, etc. Juste une phrase répétée au moins 2 millions de fois : si vous voulez la chambre individuelle, c’est 100€ et il faut réserver maintenant. Ok merci!
Le pire moment a été la 2ème écho. sortant d’une première écho géniale à 3 mois faite en clinique par une gynécologue attentionnée et qui a duré 45 minutes, on est arrivés la bouche en coeur, préparés à découvrir le sexe de notre bébé. Ma propre maman, elle-même sage-femme, m’avait expliqué que cette écho était généralement assez longue car on prend bien toutes les mesures et on voit bien le bébé.
Et ben raté! L’écho a duré 12 minutes au total dont 10 minutes durant lesquelles le médecin a engueulé son interne qui effectuait l’écho. On ne nous a rien montré, rien expliqué, bref on était invisibles! Ah si, juste à un moment, le médecin nous a demandé si on voulait connaître le sexe, on répond oui et là il dit c’est un garçon, point barre. Ce c**** ne nous a même pas montré le petit trilili.
Mais bon cela avait un côté pratique car tous les examens (urine, sang, prélèvement) étaient faits sur place et du coup, je n’avais pas besoin de retourner en labo après.
Heureusement, j’ai fait la prépa accouchement chez une sage-femme libérale très sympa : un peu trop pro-allaitement et anti-péri mais elle ne jugeait pas.
En dehors de tout ça, grossesse idyllique.
Fin de grossesse et accouchement
Bien vécu sur le moment mais peu d’informations.
Le jour J, rdv de contrôle : col ouvert à 1, épais et ramolli. On me décolle les membranes sans m’expliquer (oh b*rdel quel mal de chien!) et on me renvoie chez moi.
J+2 : j’avais rdv mais dans la nuit précédente, on s’est pointés à la maternité parce que j’avais eu des contractions (même pas douloureuses) + perte bouchon muqueux et qu’on était pressés surtout!
J+4 : rdv pour déclenchement. On avale un gros brunch avant d’y aller et on part de chez nous, sachant qu’on ne reviendra pas seuls.
8h30 : on me branche au monito + pose perf : j’ai des contractions régulières donc on me débranche vers 11h pour aller marcher et laisser faire la nature.
14h00 : retour au monito : les contractions se sont arrêtées donc on va lancer le déclenchement à 16h avec tampon. On m’informe juste qu’avec le tampon ça ira plus vite.
18h00 : on m’amène à la chambre car n’ayant que peu de contractions, ça sera sans doute long. On me prévoit un monito à 22h.
18h30 : les contractions démarrent c’est atroce tout de suite. Je me dis que je ne vais pas y arriver car un premier accouchement peut durer très longtemps.
21h30 : je suis un animal!
21h35 : j’appelle la sage-femme pour avoir un ballon. ça ne change rien et devant ma douleur, elle tente un toucher vaginal pour vérifier l’avancement du travail. Jamais ressenti une pareille douleur de toute ma vie, mon corps entier s’est cambré pour échapper au toucher.
En fait, mon col était postérieur et la tête de bébé devant, donc elle devait crocheter par derrière pour vérifier le col. EPOUVANTABLE!
Elle me propose donc de descendre en salle de naissance car les lits sont plus pratiques pour le toucher. Vu mon état, je n’ai pas cherché à comprendre.
22h00 : Arrivés en salle de naissance, elles s’y mettent à trois pour le toucher, dont 2 qui me maintiennent. Mon mari était dehors et il m’a avoué après avoir eu le sang glacé en entendant mes hurlements.
22h05 : Col épais mais mou et ouvert à 3, c’est ok pour la péri.
22h35 : l’anesthésiste arrive. On m’a prévenue que c’était pas des rigolos les anesthésistes. Ah oui effectivement! Mais bon, au moins ça crée de la complicité avec les sages-femmes.
22h50 : A plus mal du tout, youpi!
00h00 : perçage de la poche des eaux.
00h45 : je suis dilatée à 5 cm, le coeur de bébé ralentit donc je suis en code rouge, les sages-femmes débarquent toutes les 5 minutes pour me tourner ou m’expliquer des choses.
1h : il y a 6 personnes autour de moi qui passent leur temps à s’excuser de me faire mal alors que je sens rien (vive la péri!); elles me préparent pour une césa au cas où car le coeur de bb ralentit trop souvent. On me rase, on me lave, on met un nouveau produit à la perf.
1h10 : suis dilatée à 8cm (3 cm en 25 minutes, ouah!), col effacé mais comme le coeur ralentit toujours, les sages-femmes appellent le médecin.
1h30, dilatée à 9cm, le médecin me demande de pousser pour essayer de gagner le dernier cm. Elle est gentille, mais sous péri : tu sais pas ce que tu pousses, mais bon je pousse quand même…
Avec 9 personnes dans la salle, bonjour l’intimité mais bon.
Finalement, le médecin sort les spatules pour aller plus vite.
1h54 : mon fils est né, on le pose sur mon ventre avec les mêmes mots que dans les émissions : « le sang, c’est le vôtre ». Ils lui font une petite toilette pendant qu’on me recoud l’épisio + déchirure. Puis mise au sein et on nous laisse 2 heures tranquilles.
5h30 : retour dans ma chambre, épuisée, vidée!
Un accouchement très bien vécu car les sages-femmes étaient très pros et rassurantes mais j’aurais bien aimé qu’on m’explique qu’un déclenchement, certes c’est plus rapide mais aussi que les contractions ne s’intensifient pas, elles sont directes hyper-méga-violentes, ce qui ne laisse pas vraiment de temps au corps pour s’habituer à la douleur. Un avantage quand même : tu es moins crevée à la poussée car le travail est plus rapide.
Suites de couches
Une catastrophe!
Chambre sombre, déprimante et un vrai sauna!
On ne m’a rien expliqué sur les gestes d’hygiène pour mes points. Me suis débrouillée toute seule avec un peu de bon sens.
Les auxiliaires de puériculture n’étaient pas gentilles, sauf une de jour. Mais la nuit quand j’étais seule, elles étaient odieuses.
La deuxième nuit, après 2 heures de pleurs de mon bébé non-stop, j’ai voulu lui donner un bain pour qu’il se détende et là l’auxiliaire de puériculture que j’avais appelé m’a dit : « Vous ne pourrez pas le mettre sous la flotte chaque fois qu’il va pleurer, juste pour le calmer votre gosse ».
Conseils en allaitement inexistants.
Retour à la maison, baby-blues avec des idées bien noires et en rejet partiel de mon fils.
Quelques jours plus tard, mon mari me retrouve tremblante, claquant des dents : 40.5° de fièvre!
On appelle SOS médecins : on nous envoie dans la 1/2 heure (un exploit) un médecin qui ne s’est pas lavé les mains, qui puait l’alcool et le tabac. Il a palpé mes nichons, écouté mon coeur et c’est tout. Dieu merci, il n’a pas farfouillé là où je pense.
5 minutes de visite = 70€ svp avec une ordo d’antibio.
Comme il était pas net, on a fini par appeler les urgences gynécos. Sur leurs conseils, on s’y est rendus. On a poireauté 2 heures en salle d’attente et je me suis faite engueuler par une sage-femme qui voulait que je nourrisse mon fils dans la salle d’attente.
Pas en état de résister, je l’ai mis au sein, tout en me balançant d’avant en arrière tellement je délirais.
Finalement, on m’ausculte et là on me dit que j’ai une endométrite (infection de l’utérus). Pourtant il me propose de rentrer chez moi. Moi qui étais pressée de rentrer quelques jours plus tôt, là j’ai insisté pour rester car j’ai bien senti que ça n’allait pas.
Ils m’ont donc gardé. Chose curieuse : la chef de service a dit à mon mari que si la mutuelle ne prenait pas en charge la chambre, tous les frais seraient à la charge de l’hôpital. Ah tiens! Depuis quand un établissement semi-privé fait la charité? Une erreur médicale..?
Au final, j’ai été réhospitalisé 6 jours et j’ai contracté 3 infections : utérus, sein et urinaire, chouette!
J’ai abandonné l’allaitement car j’étais épuisée. Mais là aussi, problèmes avec les auxiliaires de puériculture :
1) elles ne se passaient pas le mot donc chacune avait l’air de découvrir que j’arrêtais l’allaitement;
2) les commentaires du style : « Vous n’allez pas faire ça??? » ou même « Vous savez qu’en l’allaitant, il sera plus intelligent et moins risque d’obésité ». C’est ça, traitez-moi de mauvaise mère, pendant que vous y êtes.
J’ai mis du temps à ne plus culpabiliser pour cet arrêt de l’allaitement.
Heureusement, mon mari lui était ravi de donner à manger à son fils alors ça m’a aidée.
En plus, j’ai passé l’hiver et mon congé maternel, à avoir la trouille des infections donc suis très peu sortie avec mon bébé et j’ai cru pété un câble!
Enfin, mes suites de couches m’ayant vidée, j’ai mis beaucoup de temps à être bien dans mon rôle de maman. Le lien a été rompu, mon mari a dû le prendre en charge les 2 premières semaines.
Il me faut du temps pour m’attacher, je n’ai pas eu l’amour maternel immédiat. Puis j’ai perdu mon papa brutalement.
Finalement, c’est venu, mon fils a maintenant un an et je n’imagine même pas ma vie sans lui, je l’aime plus que tout mon fils!
Véronique

#257 Hélène, dans le Val de Marne

12 Avr

6 mois de grossesse heureuse mais responsable

Après des différents familiaux, des soucis professionnels, 3 ans d’anorexie, je sors la tête de l’eau, envisage le futur avec optimisme et envisage de fonder une famille avec mon compagnon. Je mets encore quelques années à vraiment réduire les missions professionnelles qui m’obligent à prendre des anti-paludéens incompatibles avec une grossesse.

Je tombe enceinte la veille de mon départ pour le Mozambique. Confiante dans le système français, je me heurte à son inadaptabilité aux cas particuliers :

* Déclaration de grossesse OBLIGATOIRE mais impossible à faire à distance

* Impossibilité de s’inscrire en maternité à distance mais obligation de respecter le calendrier de rendez vous…

Sur place, dans ce pays des « bonnes gens », la grossesse est accompagnée de toute la joie que l’on pourrait en attendre, sans que cela soit perçu comme un évènement nécessitant un suivi médical soutenu. Je vis cette grossesse comme je l’entends, me régalant de fruits exotiques (cela doit être plein de vitamines), continuant la natation régulière parce que cela me fait du bien, ne dédaignant aucune sortie en 4×4 tant qu’aucune douleur ne m’indique que j’abuse de mes capacités.

Comme tous les expatriés nous savons que se faire soigner à l’étranger est une source de stress qu’il est largement préférable d’éviter par la prévention. Après quelques rendez vous dans les cliniques occidentales, il est évident qu’un suivi correct selon nos standards n’est pas possible dans ce pays. Je suis donc suivie mensuellement par un gynéco en Afrique du Sud, les prises de sang sont faites au Mozambique. Avec un aller-retour à 3 mois de grossesse en France, je pense conjuguer ainsi le système français à la mode locale.

Nous découvrons alors que le suivi imposé par les gynécos français implique une longue liste de tests dont l’utilité n’est pas expliquée (notamment le suivi des agglutinines irrégulières qui impliquerait que je n’aurais pas déclaré le père naturel), des compléments nutritionnels qui ne tiennent absolument pas compte du fait que je profite d’une alimentation surement plus favorisée qu’en France. Le gynécologue sud-africain se contente de nous expliquer l’utilité ou non des résultats des tests et des compléments. Il constate que mon bébé sera un « beau » bébé sans en faire un facteur de stress.

Inversement, face à notre inquiétude de contracter le paludisme qui peut causer la mort de la mère ou du fœtus, il nous indique comment évaluer si notre cadre de vie est « à risque » et donc nous permettre de décider si une médication est nécessaire, me prescrit une médication en m’indiquant les résultats des études (efficacité, effets secondaires, fiabilité des résultats)

Bref, nous sommes considérés comme des futurs parents qui sont à même de prendre les décisions qui s’imposent. Nous décidons de ne pas prendre de traitement mais de mettre en place toutes les mesures pour éviter de contracter le palu. La prévention paye. Au final, en 6 mois, je ne suis pas piquée une seule fois.

Issue d’une famille de médecins exerçant dans le secteur public, je fais confiance à notre système, et je m’inscris dans la maternité proche de chez nous. Lors de la première visite lors de mon aller-retour en France, nous comprenons rapidement que nous ne rentrons pas dans les normes. Nous ne pourrons respecter le calendrier de rendez vous, un point essentiel pour la sage-femme. L’esprit blagueur de mon compagnon dérange manifestement. La SF nous rappelle que le sujet est sérieux. Apparemment, faut pas rigoler quand on attend un enfant.

Retour dans un monde médicalisé.

On rentre en France, soulagés de ne plus avoir à craindre les maladies tropicales et nous rentrons docilement dans le moule des visites mensuelles + échographie+ cours de préparation à l’accouchement. Evidemment, pendant ces cours, j’apprends qu’avec mes 15kg supplémentaires j’ai dépassé la barre des 12kg autorisés. Mais comme je fais toujours mes 1,5 à 2km de natation 2 fois par semaine (hors barème autorisé aussi), nous restons sur le principe de ma gynéco de ville « si la mère va bien, l’enfant va bien ». D’ailleurs, pendant ces cours auxquels mon homme participe, nous comprenons rapidement que tout doit être normé (température de la chambre du bébé, de salle de bain, du sport mais pas trop…). J’émets l’hypothèse que si je fais trop de sport, mon corps devrait me signaler l’abus, mais la SF ne semble pas convaincue.

Comme nous faisons confiance au système médical français, nous avons bien rapporté d’Afrique tous les résultats de prise de sang, échographie… La SF qui me suit tient à ce que je laisse bien une photocopie de toutes ces pièces (même le dossier médical en Afrikaaner !) Elle ne réagit pas quand on lui dit que le gynéco sud africain prévoit un gros bébé (surtout quand on connait le gabarit des sud-africains, il suffit de regarder quelques matchs de rugby)

Par contre, on ne me donne aucune piste pour gérer lorsque je parle de ma peur de l’accouchement et surtout des aiguilles. L’anesthésiste dans une salle comble de futurs parents, présente la péridurale comme aussi banale qu’une anesthésie chez le dentiste.. La refuser serait donc une aberration. Lors d’un des cours, on nous fait visiter les salles de travail. Comme chaque fois en milieu hospitalier, je me sens tout de suite en milieu inhospitalier, mon homme aussi. Mais on ne nous demande pas vraiment ce que l’on en pense. Je ne peux imaginer que je vais passer 10h de travail (torture en latin) dans cette salle. Je décide donc que je ne viendrai à la maternité que le plus tard possible. Comme nous habitons juste à côté, je ne mets pas mon enfant en danger.

J’arrive à la dernière visite, saturée par toutes ces visites en milieu hospitalier, contente que ce soit la dernière avant le grand jour. De nouveau, la SF est accompagnée d’une stagiaire. J’ai donc droit à 2 touchers vaginaux. Mais la sage-femme note que mon taux de glucose est au dessus du seuil. On lui explique que, de retour de 6 mois d’Afrique, nous avons certainement fait des excès de chair. Elle me conseille donc de me mettre au régime prescrit en cas de diabète. Elle me demande aussi de refaire tous les examens et me signale qu’en cas de diabète gestationnel (mais elle en doute fortement), il faudra envisager un déclenchement. Je suis donc repartie pour 2 autres prises de sang (résultat dans les clous), échographie (un gros bébé prévu à 4kg100 comme moi à ma naissance), et monitoring. Pendant ce temps, les piqures et le régime commencent à me faire déprimer. Je pleure un jour sur deux.

Mon dossier me poursuit

Jeudi, le déclenchement a été noté dans le dossier

Pour ce monitoring qui me semble une formalité, je conseille à mon homme de rester à la maison pour une fois. La SF qui me fait le monitoring me confirme ce que je sentais : mon bébé va bien. Puis enchaîne ‘bon, vous revenez Lundi pour le déclenchement.’ En voyant ma surprise, elle comprend qu’on (le chef de service) l’avait écrit dans mon dossier sans m’en informer et elle me conseille de revenir le soir aux urgences pour un nouveau monitoring et pour demander des explications au médecin. Pour ce qui est du diabète gestationnel, elle me confirme que, au vu des derniers résultats, je n’en fais pas vraiment. Elle me répète plusieurs fois qu’elle met le terme entre guillemets. Mais je suis convaincue maintenant que les guillemets n’ont jamais effacé la mention aux yeux des médecins.

Je rentre à la maison et annonce la bonne nouvelle à mon homme ‘bébé va bien’ et la mauvaise. Il considère qu’un déclenchement programmé le Jeudi pour le Lundi ressemble à s’y méprendre à une manière de remplir le programme de la maternité. Je fais quelques recherches sur internet sur le déclenchement et découvre que cela multiplie par trois le risque de césarienne. Je suis donc opposée au déclenchement.

J’appelle ma mère pour savoir comment je suis née : par déclenchement à J+4 car ne me décidais pas à sortir. Je commence à croire que ma fille fera de même. J’appelle ma tante gynéco qui me conseille de faire confiance au gynéco de la maternité.

Nous revenons donc le soir avec mon homme et 2 revues (écolo, grave erreur) pour passer le temps du monitoring. Evidemment, comme mon cas n’est pas une urgence, on me laisse avec le monitoring pendant une heure, heure pendant laquelle nous voyons défiler 4 sages-femmes suivant qu’il faut remettre du papier dans l’appareil, ou quelles viennent récupérer du matériel dans ma salle. Elles ne se présentent pas toutes, et je me sens comme un meuble posé dans un coin, mais surveillé par cet appareil qui doit détecter la moindre faiblesse de mon bébé. Au bout d’une heure, une jeune sage-femme vient me débrancher et me répète : ‘bon vous revenez Lundi pour le déclenchement’ Je demande le résultat du monito (mon bébé va bien?) et à voir le médecin. Le médecin n’a pas le temps. Aussi la SF tente de me convaincre d’accepter le déclenchement ‘un simple coup de pouce à la nature’. Comme je ne semble pas convaincue, elle m’assène que puisque je fais du diabète gestationnel, j’ai « le choix entre le risque de mort fœtale et le déclenchement ». Evidemment, je fonds en larme. Mon homme quant à lui bondit de son fauteuil pour lui dire d’apprendre à lire car le dossier montre que je ne fais pas de diabète. Nous repartons furieux, moi en larmes, sans plus d’explications qu’auparavant, mais plus de doutes.

Vendredi, je veux des explications

Je vais au dernier cour de préparation à l’accouchement avec plaisir car il s’agit de balnéothérapie. Je confie mes angoisses à la SF et une amie. Les deux me soutiennent pour aller voir un gynéco de la maternité. L’amie m’accompagne jusqu’à sa porte car sinon, je n’en aurais jamais eu la force. Le gynéco me reçoit entre deux patientes. Il est épuisé, cela fait plusieurs fois qu’il repousse son départ en congé. Effectivement je ne fais pas de diabète gestationnel (ouf pas de risque de mort fœtale), mais mon taux de sucre dans le sang est assez élevé et, par voie de conséquence, mon bébé sera gros et risque de ne pas pouvoir naître par voie basse. J’argumente que je suis moi-même née à 4kg100 par voie basse, mais le gynéco me rétorque que mon bébé risque une dystocie des épaules. Apprenant que personne n’a vérifié l’état de mon col, il m’examine et constate que celui-ci n’est pas mûr. Il me concède alors une nouvelle série d’examens avant de prendre une décision : je dois refaire une prise de sang qui donnera mon niveau de glucose en moyenne sur le dernier mois, puis revenir lundi pour un monitoring et un examen du col. Le gyneco me confirme qu’on ne décidera d’un declenchement que lorsque les conditions locales seront favorables.

Je me renseigne sur la dystocie des épaules. En bref, si la tête du bébé passe et que les épaules coincent, l’effet ventouse risque d’étouffer le bébé. Les alternatives sont alors de tenter une manipulation douloureuse, d’utiliser un crochet pour sortir une épaule ou de casser l’épaule du bébé pour le sortir. Je commence à sentir tout le poids de ma décision si je refuse le déclenchement.

Samedi, en pleurs

En pleurs toute la journée, je ne suis pas en état d’aller faire une prise de sang encore moins à jeun. Je passe voir mon père qui essaie de me réconforter pendant que ma petite sœur me rassure ‘tous les déclenchements qu’elle a vu pendant son stage en gynéco se sont bien passés’.

Dimanche, je prends sur moi

Afin de surpasser ma peur des aiguilles, je travaille avec une amie en Programmation neuro-linguistique. J’en sors un peu plus forte et décidée à surpasser cette peur à force de volonté. En me convainquant avant chaque piqure que je ne la subis pas mais que j’ai décidé de l’avoir, j’arrive à avoir moins peur de cette intrusion.

Lundi, tentative de dialogue avec le gynéco

Nouvelle prise de sang pour évaluer la glycémie. Nouveau rendez vous avec le gynéco. Dans le couloir déjà, il me reproche de ne pas avoir emporté ma valise pour la maternité, puis de ne pas avoir fait la prise de sang le samedi. Je lui réponds que je pleurais trop pour pouvoir la faire. Il répète à mon homme ce qu’il m’a dit : ‘[Je ne fais] pas de diabète mais de l’intolérance au glucose et la SANCTION est un déclenchement avant terme’. Manifestement, résultat de glycémie ou pas, la décision a été prise par le chef de service même pas par le gynéco qui argumente, la validité du déclenchement.

Pour contrer notre argument que ‘la nature fait bien les choses’, il nous rappelle que chez les femmes qui accouchent au bord du champ, le taux d’enfants mal formés est beaucoup plus haut. On se sent alors responsable de ce qui pourrait mal tourner si on refuse le déclenchement.

Il nous conseille pour provoquer la naissance de faire l’amour et d’aller au ciné. Il nous explique en quoi consiste un déclenchement au gel puis à l’ocytocine par perfusion. J’explique que, autant je supporte très bien la douleur, autant je ne supporte pas les piqures. Il me confirme qu’en cas de déclenchement à l’ocytocine, je me retrouverai branchée à une perfusion.

– et puis, de toutes les façons, en cas de déclenchement la péridurale est systématique. D’autant plus que votre bébé étant gros, si on doit faire une manipulation, vous ne supporterez pas la douleur sans péridurale.

– Par expérience je sais que je supporte particulièrement bien la douleur

– Les douleurs de l’accouchement sont insupportables, pires qu’une colique néphrétique. Même ma femme qui supporte bien la douleur ne supportait pas celle-ci. Vous savez, les 2 grandes avancées de obstétrique du 20ème siècle sont la péridurale et le monitoring. Et puis, au moins, avec une péridurale, si on doit vous faire une césarienne, vous êtes déjà prête.

Je comprends que je ne dois pas me considérer comme plus forte que les autres femmes et surtout pas plus que l’avancée technologique. Alors, je me repose sur lui : je lui demande de me proposer quelque chose pour surmonter ma peur et mes crises de larme à l’approche de la naissance, il me fait une prescription pour une solution prescrite en cas de stress aux examens. Comme mon col n’est toujours pas ouvert, il me demande de revenir le mercredi, avec ma valise cette fois.

Question de responsabilité, je ne peux pas partir sans un monitoring, qui dure comme d’habitude. Alors que le rythme de ma fille est toujours aussi stable, une SF vient remuer un peu mon ventre pour vérifier qu’elle s’active un peu. On en profite pour demander des explications : valeurs mini, maxi ? De nouveau seuls dans la salle de travail, mon homme fait passer diverses musiques et constate que ma fille s’active lorsqu’il passe Dany Brillant. On s’amuse de faire connaissance avec ses goûts.

Mardi, j’essaie de contrôler ma panique

Devant le peu de résultats du médicament prescrit par le gynéco, du ciné et des câlins avec mon homme, je consulte le web pour trouver une alternative douce au déclenchement. J’écarte ce qui parait presque dangereux (huile de ricin…) et je surmonte en partie ma peur des aiguilles pour consulter un acupuncteur. Il me prévient qu’il ne peut pas faire grand-chose pour une première séance. Effectivement, rien ne se passe.

La piscine municipale ferme pour les vacances et je sais qu’un des exécutoires à mon stress disparait. Je n’en peux plus de pleurer sur mon manque de pouvoir, sur la responsabilité que j’ai l’impression de porter (protéger ce bébé dans mon ventre qui finit sa croissance, ou lui éviter une naissance catastrophe ?), sur l’hypocrisie des médecins qui utilisent leur connaissances non pour nous informer mais pour nous faire suivre le chemin qu’ils ont défini. D’épuisement, je décide de leur faire confiance. Après tout, la moitié des membres de ma famille sont médecins, ils doivent être bons quelque part. Nous dînons en amoureux au restaurant, et je me permets de manger du fromage au lait non pasteurisé !

Mercredi, je fais confiance, j’espère, espoir déçu.

Confiante en théorie, mais avec les tripes nouées, nous allons à la maternité en moto (toujours pas de contre indication puisque non répertorié dans le protocole, et puis le but c’est bien qu’elle sorte non ?). En bonne élève, j’ai pris un petit déjeuner léger et utilisé un laxatif. A la maternité, nouveau monitoring, nouveau toucher vaginal. Mon col n’a que peu bougé. Seuls devant le monitoring nous essayons de rigoler avec mon homme, après tout, c’est un beau jour, notre fille va naître aujourd’hui. Puisqu’elle semble aimer Dany Brillant, mon homme lui fait écouter, et son petit cœur montre qu’elle s’active, toujours dans les limites indiquées par la SF.

Le gynéco vient avec sa remplaçante (il part en congé vendredi). Il est prêt à me donner un sursis de 2 jours. Le lait non pasteurisé de la veille aurait il le temps de contaminer ma fille dans ce délai ? La remplaçante note l’accélération cardiaque. L’explication « Dany Brillant » ne semble pas percutant, il faut dire que la remplaçante est étrangère. Elle parle de tachycardie. Le gynéco tempère. Il me laisse le choix de la décision. La mention de tachycardie rajoute une couche au stress des derniers jours, je ne le supporterai plus très longtemps, il faut qu’on en finisse, j’accepte de rester pour le déclenchement.

Après la réunion de service, une infirmière stagiaire vient me faire une prise de sang. J’accepte de servir à sa formation, après tout, aujourd’hui est un beau jour, ma fille va naître. Elle a du mal à trouver la veine et me laisse avec un hématome impressionnant, mais je ne suis pas tombée dans les pommes. Je suis fière de moi. Am, une douce SF vient se présenter et m’explique ce qu’elle va faire : pose du gel dans le vagin, pas douloureux mais risque d’irriter le vagin, ensuite je dois rester allongée 1/2h sous monitoring. Comme d’habitude, comme mon cas n’est pas une urgence, après la pose du gel, on me laisse un temps indéterminé branchée au monitoring, à regarder la courbe des contractions qui commence à apparaitre. De mon côté, je ne les sens pas du tout.

Au bout d’un temps certain, on me libère pour que j’aille me reposer dans ma chambre, puis redescendre dans l’après midi pour un nouveau, interminable monitoring, pendant lequel nous n’osons plus mettre de musique de peur que le monitoring soit considéré comme défavorable. Même courbe, avec des contractions un peu plus grandes sur le graphique, aucune sensation de contraction, juste le bas-ventre tout dur. A 19h, nouveau toucher vaginal, le col n’a pas (ou peu) bougé, on me renvoie en chambre, en me disant qu’il se passera peut être quelque chose pendant la nuit (la nature pourrait prendre le relais). En sortant des urgences, je trouve ma famille qui attendait ma fille et me voit sortir à petits pas comme une petite vieille. A jeun depuis le matin, on m’avait réservé un plateau mais arrivée en chambre, il n’y a rien. Heureusement la femme de salle se met en 4 pour me trouver quelque chose.

Je me réveille au milieu de la nuit et constate que mon bas-ventre n’est plus dur. L’effet du gel semble avoir disparu. Ma fille ne naitra pas aujourd’hui.

Jeudi, deuxième déception

Au réveil, pas le temps d’attendre le petit déjeuner, je suis appelée aux urgences pour être examinée avant la réunion de service. Examen, col qui n’a pas bougé, réunion de service, la SF vient m’annoncer qu’ils ont décidé de retenter un déclenchement au gel. Elle sera accompagnée aujourd’hui d’une stagiaire qui a un visage et un sourire tout doux et qui semble à peine sortie de l’adolescence. Mon homme leur explique que si je ne mange pas un peu, je ne supporterai certainement pas une nouvelle journée. Après mure réflexion, ils acceptent (tiens elle a aussi des besoins comme celui-ci ?) Evidemment il n’y a aucun plateau repas, mais mon homme sort de son sac du pain de campagne, du beurre demi sel, de la confiture, je retrouve le sourire, le temps d’un petit déjeuner en salle de travail, pendant lequel nous avons droit à de l’intimité :-).

Nouvelle pose du gel, nouveau monitoring, nouveau toucher vaginal par la stagiaire, le col n’a pas bougé. J’ose à peine bouger de peur qu’un mauvais contact du monitoring ne déclenche une alerte. Je pleure une heure sur 2. Retour en chambre et nouveau monitoring l’après midi. Mon homme rencontre dans le couloir des consultations Rosalia, une des SF des cours de préparation. Comme elle s’enquiert de moi, mon homme lui demande de venir me rendre visite. J’ai l’impression que c’est un peu du monde normal qui rentre aux urgences. Comme je lui dis que je me sens toute ankylosée de rester allongée sur le côté, elle me dit que je peux bouger, m’assoir. Révélation, j’ai le droit de vivre, un peu.

Fin de l’après midi, mon bas-ventre est dur, la stagiaire examine mon col, après 2 poses de gel, je serre les dents, pas mieux. La SF en titre m’annonce alors qu’elle doit vérifier les conclusions de la stagiaire. Si j’ai mal, je lui dis. J’ai mal, je crie pour qu’elle arrête. Elle arrête « un peu avant de recommencer ». J’ai mal, je ne comprends pas ce qu’elle fait, ce n’est pas un examen, la stagiaire l’a déjà fait, pourquoi forcer jusqu’au fond de moi. Je me sens trahie, je me débats. Mon homme me tient d’un côté, la stagiaire de l’autre, pendant que la SF cherche quoi au fond de mon vagin, mon bébé que j’ai protégé pendant 9 mois ? Je me sens violée, pas le droit de mettre ce mot sur un acte médical, je pleure.

Retour en chambre, je ne sais même plus si j’ai le droit de manger. Quelle importance ? Je me réveille à 3h. Plus de ventre dur, le gel n’a plus d’effet. Les crises de larmes m’empêchent de dormir. A 4h, je décide d’aller marcher dans le parc de la maternité. Je passe plusieurs fois devant les grilles ouvertes du parc. Qu’est ce qui m’empêche de sortir ? Je ne suis pas prisonnière. Et pourtant, je suis convaincue que je n’ai pas le droit de sortir, comme un animal qui ne sortirait pas de sa cage de peur de la punition.

Vendredi

Dernière volonté, refusée

Comme je suis un être humain doué de raison, j’analyse la situation. J’ai peur de finir sur la table d’opération, et cette peur me détruit. J’ai besoin de repos, de retourner dans un environnement civil. Je pourrai ensuite revenir vers les médecins avec l’esprit clair. Les médecins m’ont prévenue, après 2 tentatives de gel (exceptionnellement 3), ils me déclencheront à l’ocytocine par perf, césarienne en cas d’échec. Je vais leur proposer un marché : je rentre me reposer 2 jours chez moi, je reviens sereine pour la dernière étape du déclenchement.

Je retourne aux urgences lorsqu’elles ouvrent comme on va à l’abattoir. Nous sommes reçus par Au, une douce et jeune SF. Examen du col qui n’a pas bougé (je le savais !), réunion de service, ils ont décidé le déclenchement à l’ocytocine. Je propose mon marché.

* Laissez moi rentrer à la maison pour le week-end, je reviendrai plus reposée pour la suite.

* C’est impossible : la dernière fois que nous avons accepté, la femme n’est pas revenue lorsqu’elle a perdu les eaux et son enfant est mort.

Je ne peux pas leur dire que je ne suis pas cette femme. J’insiste.

* Je n’habite pas loin, je peux venir au moindre soucis

* Non, nous avons eu un mois catastrophe, moralement, on ne peux pas se permettre de prendre de risques.

* Est-ce que l’on peut au moins attendre que je me repose.

* Non, il faut continuer le déclenchement. Ces deux jours de déclenchements ont dû fatiguer le bébé.

Je croyais que c’était juste un coup de pouce à la nature, ce coup de pouce aurait il été un peu trop fort ? Pourquoi cette fatigue ne se verrait pas sur le monitoring tout puissant ? Je suis en chemise de nuit et en chaussons, je ne peux plus m’enfuir, ni physiquement, ni moralement. Je fonds en larme dans les bras de mon homme. Le gynéco me dit « je vous laisse avec lui pour réfléchir ». Réfléchir à quoi ? Ils ont fait l’instruction, ils posent les questions, et les réponses non conformes ne sont pas prises en compte, sortent des arguments massue à chaque velléité de non conformisme. Mon homme les croit « il n’y a pas d’autre solution ». Je crois mon homme.

Mais je ne veux plus de cette douleur morale. Je renonce à toute volonté, je me mets entre leurs mains, mais je demande qu’on me donne un calmant pour que j’arrête de sangloter, sinon cela ressemblera trop à un abattoir. Encore une fois, je demande au gynéco qu’il m’indique la SF qui s’occupera de moi aujourd’hui, que je ne voie pas défiler tous ces visages étrangers qui connaissent mieux que moi, cet appareil de monitoring, ces instruments qui m’entourent et qui me parlent s’ils en ont le temps.

Déclenchement à l’ocytocine

On m’envoie une SF pour m’administrer le calmant et la perfusion. Elle s’appelle C, je l’ai déjà vue lors d’un monitoring, entrer, changer le rouleau, repartir sans même se présenter. Je me sens en territoire ennemi. Le calmant se fait par piqûre, dommage pour moi, je serre les dents. Elle s’apprête à me poser la perfusion

Mon homme prévient

* Elle ne supporte pas les piqures.

* Il faudra bien qu’elle y passe.

* Je vous dis juste cela parce qu’elle ne supporte pas de voir l’aiguille.

* Eh bien moi je ne supporte pas que l’on me dise ce que je dois faire. Et puis elle n’a qu’à pas la regarder, l’aiguille.

Je sors de mon apathie

* Evidemment que je ne la regarderai pas, … (sans lui dire ce que je pense d’elle)

Evidemment la pose de la perfusion me fait mal, vu mon appréhension, c’était couru.

Le gynéco m’annonce que c’est Catherine qui me suivra, je demande Au, il me l’accorde. Il part ce soir en vacances. Si le travail n’a pas démarré à 17 H, il faudra faire la césarienne.

On suit les contractions sur le monitoring, elles sont encore plus pitoyables que la veille.

Mon homme n’en peut plus de cette attente mais ne veut pas me laisser seule. Il appelle mon père. Une SF qui ne m’a jamais suivie le voit « Non, il est interdit de se relayer auprès de la parturiente , ce n’est pas un moulin ». D’un moulin au moins j’aurais pu sortir ! Mon père argumente calmement, je pleure, la SF appelle sa chef qui accepte. Ouf j’ai droit à un visage familier prêt de moi, et mon homme a le droit d’aller manger et respirer un peu. Du côté des contractions toujours rien de notable. Pour ce qui est du monito, il n’existe même plus, d’ailleurs le bébé qu’il surveille devient si peu important par rapport à ces contractions qui ne viennent toujours pas.

Dans l’après midi, le gynéco confirme que je vais avoir une césarienne. Je ne pense et ne sens plus rien, je subis le protocole. On me prépare et me pose la péridurale, à peine peur. Rosalia, la SF des cours de préparation traverse la frontière des urgences et vient me tenir les mains pour la pose de la péri. Qu’est ce que cela fait du bien un visage connu et compatissant qui me dit que tout va bien se passer. A la pose de la peri, le cœur de ma fille flanche un peu, agitation, je ne suis même plus en état de m’inquiéter. Même inquiète, que pourrais-je faire ?

On me mets un masque à oxygène. Ajouté au calmant du matin, à la fatigue nerveuse, je suis complètement shootée. Je ne sais même pas où est mon homme, je ne demande même pas.

J’attends. Le gynéco passe

* – Vous êtes encore là !

Eh oui, d’autres urgences passent avant moi, je le leur avait pourtant dit que ma fille n’était pas pressée de sortir.

* Bon ben c’est mon remplaçant qui vous opèrera.

Quelle importance ? Vous avez trompé ma confiance, alors vous ou un autre. J’attends. Am revient pour sa garde du soir. Elle est contente de pouvoir voir ma fille naître. Moi, je ne sais même plus si je suis contente qu’elle naisse. Est-ce une manière de me faire croire que je retrouve un visage familier ? Elle aussi a utilisé ses arguments médicaux pour me faire accepter ce que je ne voulais pas. Je veux sortir de ce cauchemar. On vient me chercher pour passer au bloc.

Passage au bloc, je subis, je veux dormir.

Puisque je ne peux rien faire, autant que je me repose. Je ferme les yeux. J’entends le gynéco, un étranger, qui demande que l’on me mette une couverture.

* Vous voulez dire une couverture chauffante ?

* Non, une couverture !

* ????

On me met un drap. L’infirmière revient avec une couverture.

* C’est ce que vous vouliez ?

* Mais non, c’est interdit au bloc, ce que je voulais c’est…

Et il montre le drap qui me recouvre. Mon dieu (si vous existez) faites que son manque de maîtrise du français ne l’handicape pas pendant l’opération !

Je sais que si je vois mon sang, je risque de tomber dans les pommes, alors je ferme les yeux. Je me repose, je dors ? De temps à autre, quelqu’un me demande si je vais bien. J’ouvre les yeux et réponds oui. Cela a de l’importance pour vous ? Je sens que l’on pousse sur mon ventre. Quelqu’un me dit « Regardez ! » Je vois un paquet de papier dans les bras d’une personne masquée. Entre 2 plis, je distingue qu’il s’agit d’un bébé. Je souris, c’est probablement ce que l’on attend de moi. On ne me pose pas mon bébé sur le ventre, on ne me le met pas au sein, il est vrai que je n’ai rien demandé. J’attends. On pousse toujours sur mon ventre. On me transfère sur un lit. Je vois mon sang sur la table d’opération.

On me transfère en salle de réveil. Je discute avec la femme à côté de moi. J’attends. Mon homme passe et me montre fièrement notre fille toute habillée dans son berceau en plastique. On lui a donné un biberon à lui faire boire. Il leur a dit que je voulais allaiter. Ça ne change rien, elle a eu le biberon et elle dort. Je ne ressens rien. Je devrais ? On me remonte en chambre. L’infirmière demande à sa collègue

* où est l’enfant

* probablement dans la chambre de la mère avec le père

* mais c’est interdit (pourquoi ? on aurait dû la laisser seule ?)

* oui, mais avec Am… (hé oui, les protocoles ça se contourne)

Retour en chambre, ma fille dort, mon homme me réconforte puis part, fier comme un nouveau papa. Mon homme me demande

* A quoi tu penses quand tu regardes notre fille ?

* J’espère qu’elle ne nous reprochera pas trop de choses quand elle arrivera à l’adolescence.

Ma fille part en nursery pour la nuit. Je ne m’en plains pas, car je ne demande qu’à dormir, oublier.

Samedi, j’attends que le temps passe, découverte de l’allaitement.

Le lendemain, la famille vient nous féliciter. De quoi ? Je n’ai fait que pleurer et subir. Avec ma sonde urinaire, je me sens sale, je voudrais prendre une douche. La température dans la chambre accentue encore cette impression. On attend qu’il n’y ait plus personne pour ouvrir la fenêtre, mon homme va faire le tour de l’étage avec notre fille. On se fait remonter les bretelles quand le personnel s’aperçoit que la température du radiateur a été baissée. Pourtant, on voit bien que notre fille bien couverte n’est pas incommodée par la température.

L’administration d’anti-douleur par perfusion est efficace, je ne prends aucun des antalgiques en comprimés que l’on me propose. Après la césarienne, c’est régime potage-thé-yaourt. Heureusement que mon homme m’apporte des compléments que je mange avec parcimonie et culpabilité. Et pourtant, je suis convaincue que mon système accepterait bien un régime un peu plus consistant. J’attends que le temps passe. Ma fille passe de main en main, j’essaie de l’allaiter, quelques crevasses, quelques appels aux puéricultrices super disponible dans leur très grande majorité.

On m’apporte une feuille sur laquelle je dois noter les horaires et durées de tété (où je découvre qu’en cas d’allaitement, la fréquence est beaucoup plus élevée, tiens ça va pas être de tout repos).

La puéricultrice pèse ma fille :

* 3,5kg

Mon homme commente

* Tiens elle a perdu 400g

* Ah bon.

* Ben oui, 3,9kg (c’est écrit sur le berceau) moins 3,5kg, ca fait 400g

* Ah, il va falloir que je vérifie sur mes abaques.

* ????

La puericultrice revient :

* Elle a perdu 10% de son poids. Il va falloir lui donner du biberon en complément des tétés.

Heureusement qu’on ne savait pas que cela pouvait rendre l’allaitement plus difficile. On aurait pu émettre un avis ! Par contre, on ne peut s’empêcher de penser que 10% de 3, 9kg, cela laisse de belles joues rondes à notre fille. Pas de quoi s’inquiéter quand je vois le bébé de ma voisine, une crevette. On fait ce que l’on nous dit.

Dimanche, on commence à prendre nos marques

Retrait de la sonde urinaire. Physiquement, j’encaisse bien le coup, j’arrive à me lever, à traverser la chambre. Je respecte l’interdit d’une douche seule, j’attends mon homme pour le faire. Heureusement que le bandage compressif m’empêche de voir la cicatrice. De toutes les façons, l’intimité ce n’est pas pour ici : défilé aléatoire et continuel du personnel, avec une personne différente à chaque fois (tension et prise de température, piqure anti-phlébite, plateau repas, bain du bébé, pesée du bébé…). De nouveau, aucun des visages connus, ni des consultations pré-natales, ni des urgences. Leur tâche est finie, on passe au service suivant.

Pendant la nuit, je me réveille car une douleur diffuse m’empêche de dormir. J’appelle l’infirmier de garde qui modifie quelque chose à la perf. J’arrive à me rendormir.

La SF confirme que tout va bien. Je ne suis toujours pas allée à la selle (avec 3 jours de diète + 2 de régime, je n’ai pas grand-chose à éliminer) mais quelques gaz lui suffisent : j’aurai droit à des repas normaux. Enfin ! Je déambule dans les couloirs et croise Laetitia, césarisée le même jour que moi. Elle encaisse moins bien. Mais comme sa fille est en néo-nat, elle soulève des montagnes pour pouvoir se lever et aller la voir, le premier jour en chaise roulante, le deuxième en se tractant contre les rambardes du couloir. Je vois qu’on lui sert un plateau repas normal, le mien arrive : potage + yaourt, suivant les indications du dossier ! Et merde, à partir de maintenant, je planque de la nourriture dans mon armoire, même quand on commence à m’apporter des repas normaux.

J’attends le pédiatre avec impatience : ma fille semble en pleine santé, mais je crains un diagnostic différent. C’est bien pour cela que l’on nous garde à la maternité !

L’allaitement m’a fait des crevasses. La puéricultrice me dit de me faire apporter des bouts de sein en silicone par mon homme. Si j’ai besoin d’aide même pendant la nuit, que je n’hésite pas à appeler. Bêtement, je n’ose pas appeler la nuit.

Lundi

Au matin, à l’heure de la tétée, j’appelle la puéricultrice de garde pour qu’elle m’aide à allaiter avec les bouts de sein. Elle me dit qu’elle arrive de suite. 10 minutes plus tard, je la rappelle, elle me dit de faire patienter ma fille en lui donnant mon petit doigt à téter. 40 minutes plus tard, elle arrive, ma fille s’est endormie sur mon petit doigt. La puéricultrice me dit que les bouts de sein, ça ne sert à rien. Puisque j’ai choisi d’allaiter, je n’ai qu’à supporter la douleur jusqu’à ce que les crevasses guérissent. Elle réveille ma fille, la met sur mon sein. Celle-ci fait quelques mouvements de succion. La puéricultrice me dit ‘Ben ça marche’ et repart. Ma fille se rendort !

Le pédiatre passe. Bougon, il manipule ma fille

* hm, hm

* ??? (maman inquiète qui n’ose pas poser de question)

* ça va

Je ne demanderai pas plus. Comme dit ma cousine (médecin !) il a choisi d’être pédiatre pour s’occuper des enfants, pas des parents !

Je déambule dans les couloirs, en portant ma fille dans les bras. « Ah non, ça c’est interdit ! Après une césarienne vous risqueriez de tomber ! » En voyant Laetitia qui se traîne contre les rambardes, je comprends les craintes de la maternité. Mais qu’est ce que j’ai envie de sortir !

Je passe devant la porte de la psychologue. « absente car en conférence ». J’aurais peut être discuté avec elle. Mais de quoi , je vais bien ?

Mardi

Pendant qu’on aère la chambre, mon homme porte Hombeline dans les couloirs. « Ah non, ça c’est interdit ! Vous risqueriez de tomber ! » C’est vrai que la vie comporte des risques, mais manifestement, la maternité ne veut pas du moindre risque. Vivement que l’on sorte d’ici !

La sage-femme passe m’examiner et aborde précautionneusement le thème de la contraception

* éviter de tomber enceinte avant 3 mois, un an serait mieux.

* Oui, faites moi l’ordonnance tout de suite

Je ne veux plus jamais courir le risque d’être enceinte, de remettre les pieds dans une maternité, je ne parle même pas du risque d’accoucher par césarienne.

Mercredi

La nuit a été très dure, j’ai l’impression que ma fille n’a jamais dormi plus de 20 minutes d’affilée. J’ai appelé la puéricultrice de garde mais on m’a répondu que tous les bébés de la maternité étaient énervés et que les puéricultrices non plus n’arrivaient pas à les calmer. Nous finissons par nous endormir à 7h du matin.

A 8h, la porte s’ouvre, la lumière s’allume.

* – Bonjour, je suis stagiaire infirmière, je vais vous faire une prise de sang et votre piqure pour éviter la phlébite (enfin celle de tous les matins) Je vais vous mettre le garrot et attendre ma collègue.

* – Je vous préviens, j’ai tendance à faire des malaises quand on me fait des piqûres. Mais si vous êtes rapide, tout se passera bien.

Je sors aujourd’hui, je peux bien servir une dernière fois de cobaye. Il faut bien qu’elle se forme ! Et puis hier matin, elle a fait la piqûre contre la phlébite et elle ne m’a pas fait mal.

L’infirmière en titre arrive et explique à l’infirmière

* Tu passes le coton, oui, encore une fois… Tu repères bien la veine, non plus comme ceci…

* S’il vous plait faites vite !

Ça ne finira donc jamais ? Je suis fatiguée, je fonds en larme. L’infirmière me conseille

* Vous êtes fatiguée, il faut dormir quand votre fille dort !

« C’est justement ce que je faisais quand vous m’avez réveillée ». Je voudrais qu’elles finissent et sortent.

* Maintenant on va vous faire la piqûre contre la phlébite.

* On ne peut pas s’en passer ? Je sors dans 2h de la maternité !

* Non, c’est le protocole. Et puis, c’est au cas où vous ne sortiriez pas aujourd’hui.

« Non, ce n’est pas possible, c’est une éventualité que je ne peux même pas imaginer. Allez, que ça finisse et vite. »

* Bon mais alors c’est vous l’infirmière en titre qui la faites.

* Mais je ne la ferai pas mieux.

* Oui mais plus vite.

Elles sortent me laissant en larmes. Je me calme. En attendant le petit déjeuner, je vais prendre une douche pour me détendre. Ensuite mon homme arrivera pour faire prendre le bain à Hombeline. Ce sera un autre moment agréable.

A peine entrée dans la douche, la puéricultrice, celle qui m’avait laissée 40 minutes avec mon petit doigt dans la bouche de ma fille, entre

* Mettez votre bébé en body pour la pesée, je reviens de suite.

* J’ai le temps de prendre ma douche ?

* Non

Elle repart. Sale, fatiguée, affamée, en pleurs, je regarde ma fille et je décide de ne pas la déshabiller alors que je ne sais même pas quand la puéricultrice revient. Elle revient

* Vous n’avez pas déshabillé votre bébé

* Non

Elle la déshabille ou moi (« quelle importance puisque vous décidez de tout ? »), la pèse, 3,5x0kg. Je réagis

* Tiens elle a perdu 10g depuis hier

* Alors, ce n’est pas sûr que vous sortiez.

Je fonds en larmes, ce n’est pas vrai, ce cauchemar ne finira donc jamais. On m’a mis la pression pour entrer à la maternité parce qu’elle était trop grosse. On l’a fait sortir de mon ventre pour la même raison. On ne veut pas me laisser sortir parce qu’elle est trop petite. Mais elle fait plus de 3,5kg, plus que la majorité des bébés ici ! Même la fille de Laetitia qui n’est pas encore sortie de néo-nat parce qu’elle est si petite, sortira peut être aujourd’hui. Quelle autre preuve de santé voulez vous ? Qu’est ce que je vous ai fait pour que vous m’enfermiez ainsi à tourner en rond dans vos couloirs ? J’ai accepté vos conseils, vos décisions, je vous ai laissé découper mon ventre, que pourrais-je faire de plus ? Si vous voulez de meilleurs chiffres, je pourrais revenir tous les jours pour la pesée. Mais mon expérience m’a montré qu’on ne ma laissera pas sortir de peur que je ne revienne pas !

* Ce n’est pas possible, je n’en peux plus, cela fait 8 jours que je suis ici !

* Bon, je vais voir si on peut faire une exception.

Ma fille réveillée a faim, elle se met à pleurer. La puéricultrice me la rend pour que je la rhabille et la nourrisse.

* Et arrêtez de pleurer, sinon, elle risque de ne pas téter.

Impossible de répondre à ceci ! Mon homme arrive, me réconforte un peu, baigne Hombeline. Je me lave, je mange. La puéricultrice nous donne sa conclusion et mon homme réagit.

* J’ai demandé, on la laisse sortir.

* De toutes les façons, on serait sortis

* Mais, c’est pour son bien ! Après vérification dans son dossier, elle avait perdu du poids par rapport à la veille car vous aviez arrêté le supplément au biberon. Mais elle avait gagné par rapport à son poids le plus bas. Donc le critère de sortie est bien rempli.

Evidemment, vos critères avaient juste oublié que d’un jour sur l’autre, un bébé ne mange pas la même chose !

Peur du souvenir, d’être touchée, insensible à mon enfant

Pendant les mois qui suivent, je ne supporte plus aucun toucher vaginal, préférant éviter la rééducation périnéale, plutôt que d’en repasser par là. 6 mois ont passé. Plus de relations sexuelles non plus. Je ne supporte toujours pas quelqu’un me touche. Je fonds régulièrement en larmes en repensant à la naissance, dans le bus, devant mon PC au boulot… Alors quand on me dit ‘la mère et l’enfant vont bien’, je ne peux pas être d’accord.

D’ailleurs, ma fille est devenue un boulet pour moi. Je n’arrive pas à comprendre ses cris, ses besoins de sommeil. Je suis épuisée dès 10h du matin. Ma généraliste me prescrit un congé pathologique parce que « si vous reprenez le boulot dans cet état, vous allez faire une dépression ». Elle m’aide à gérer le sommeil de ma fille, mais mon homme s’inquiète : je gère la logistique mais je ne joue pas avec elle, il a l’impression qu’il va devoir l’élever seul.

Une lente guérison

Sur un forum d’aide aux femmes césarisées, je trouve des femmes qui sont passées par ces sentiments. Je découvre aussi que la césarienne est d’abord un acte médical réalisé en cas d’urgence vitale. La mienne ne me parait pas justifiée. Je comprends que je ne sors pas de la contradiction suivante

* Comme maman, j’ai été et resterai responsable de ce qui arrive à ma fille. Je veux être toujours forte pour la protéger.

* Comme femme, j’ai été faible par rapport au corps médical. Mais, vu leur poids, je ne devrais pas me considérer comme coupable de mes choix.

Je demande mon dossier médical que je reçois par la poste. J’y vois le petit grain de sable «une valeur pathologique » se transformer en une pathologie « diabète gestationnel » entre guillemets puis sans guillemets. J’y lis jour après jour, heure après heure, la mesure de l’ouverture de mon col. Nulle part je n’y trouve trace de mes inquiétudes (paludisme, peur des aiguilles, de la césarienne) de mes refus (déclenchement, péridurale).

Certaines mentions sont carrément erronées : pourquoi la SF mentionne-t-elle des contractions douloureuses ? Rien non plus sur un geste médical plus qu’invasif, ce décollement des membranes ou forçage du col qui m’a fait hurler n’existe même pas dans la mémoire de la maternité. Ai-je eu les bras attachés pendant l’opération. Cela ne compte pas non plus pour eux.

D’ailleurs, tout ce qui ne rentre pas dans leurs cases n’est pas noté. Toutes ces heures à pleurer ne sont nulle part mentionnées. Pour eux cela ne fait pas partie du travail. Cela peut donc recommencer pour d’autres mères, seule l’ouverture du col comptera.

Des femmes de l’association Césarine mettent un mot sur mon malaise, la dépression, et me poussent à agir pour sortir la tête de l’eau car je ne m’en sors manifestement pas en attendant juste que le temps fasse son œuvre. J’écris une lettre à la maternité demandant à faire corriger les erreurs, comme pour corriger les bugs de cet accouchement. Le gynéco me rappelle de suite pour me recevoir longuement en entretien. Il admet que le déclenchement a été décidé suite à plusieurs détails peu significatifs mais qui l’ont fait douter sans indication claire pour un déclenchement, qu’il a été fait sur conditions locales défavorables contrairement à ce qui avait été convenu entre nous. Un embryon d’excuse. Il conclut l’entretien en demandant à la secrétaire de fixer un rendez vous avec le chef de service qui « expliquera la décision initiale de déclencher ». Je comprends que l’enchainement de décision est aussi une cascade hiérarchique, gynéco qui obéit au chef de service, sage-femme qui obéit au gynéco… Et moi dans tout cela ?

Le gynéco me conseille de passer voir la psy de la mater, et me donne aussi les coordonnées d’une psy libérale. La psy de la mater pose un diagnostic « syndrome de choc post-traumatique » et me conseille de trouver un praticien en EMDR (Eye Motion Desensitization and Reprogramming, une forme d’hypnose) car elle-même n’a pas pu obtenir ce type de formation. La psy conseillée par le gynéco est du genre qui écoute sans dire un mot, aucun réconfort. Un psy pratiquant l’EMDR me permet de sortir des cauchemars et au travers d’un simple « tous les médecins ne sont pas bons » m’autorise enfin à sortir toute ma colère contre ce système hospitalier qui nous traite comme des pions, des matrices à peine bonnes à enfanter.

J’ai encore besoin de comprendre si on m’a fait un décollement des membranes. Je dois donc passer par le CRUQPC pour obtenir ce rendez vous. La sage-femme me reçoit dans une salle d’examen. Je suis incapable de m’assoir sur le lit d’examen le temps de l’entretien. Elle me confirme qu’elle a bien tenté un décollement des membranes « parce qu’elle a obéi » Je lui dis en pleurant que je l’ai vécu comme un viol en présence de mon homme. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre qu’elle ne se soit pas rendue compte qu’elle avait aussi le droit de désobéir, ne serait ce que de respecter mon droit à l’information. Elle me regarde partir en larmes en me disant « cela me gêne de vous laisser partir dans cet état ». Un sacré gâchis difficile à rattraper effectivement.

Epilogue

Ma fille a maintenant 4 ans. J’ai fini par l’aimer comme mon enfant mais sans jamais trouver le plaisir innocent que j’aurai avec mon fils. Tous les petits soucis de santé de ma fille me rappellent systématique cette naissance arrachée à mon ventre. J’ai appris à affirmer mes besoins mais aussi à ne plus faire confiance aveuglément aux médecins, très peu dans notre système médical et, malheureusement, j’ai clairement perdu une bonne partie de ma confiance en moi et en mon homme.

#243 En Bretagne en 2012

14 Mar

Bonjour j’ai 24 ans je suis une maman diabétique et je viens d’avoir mon deuxième enfant.

Tout a commencé par une grossesse un peu compliquée eh oui je suis diabétique de type 1 et insulinodépendante sous pompe 
Un diabète tout récent mais que je comprends et que je gère très bien tout le long de ma deuxième grossesse.
Tout a commencé le mercredi 21 novembre 2012 à 36 semaines+5 de grossesse. Le soir vers 22 H de grosses contractions arrivent et persistent une bonne partie de la nuit.
 Je prends un bain et après quelques heures le calme revient.
Le lendemain matin je me rend à mon cours de préparation à l’accouchement j’en profite pour parler de ces contractions violentes de la veille à la sage femme qui me répond avec un grand sourire  :
C’EST NORMAL c’est pas pour maintenant il vous reste un mois
Par précaution je décide de consulter à l’hôpital étant très suivie pour GROSSESSE A RISQUE avec mon diabète ma facilité a faire de très gros bébés et à avoir un tout petit bassin je préférais.
Arrivé a la consultation effectivement col bien effacé bébé en appui mais C NORMAL il va remonter. Donc je rentre chez moi.
Vendredi 23 novembre 2012 je décide de laisser mon grand à la cantine on ne sait jamais !!!
Mon mari m’appelle le midi et la plus rien plus une contraction.
Une heure après c’est reparti et toutes les 2 minutes et là à quatre pattes dans la cuisine. Direction l’hôpital .
A 15H30 on arrive à l’hôpital en ILLE ET VILAINE pas un chat, si désolée un agent de service quand même qui me fait rentrer dans une salle d examen et appelle une sage-femme.
Et la monito grosses grosses contractions mais vous savez quoi C’EST NORMAL on va les stopper il vous reste un mois examen du col toujours pareil pas ouvert.
Donc perfusion suppo spasfon et rentre chez toi.
Mais rien à faire elles persistent re examen du col a 17h RAS Range la valise on s’en va.
 18h petit examen avant de repartir et là SURPRISE col ouvert à 4 .
Du coup gynécologue de garde anesthésiste et césarienne en urgence  sauf qu’il y a une faille le mot écrit en rouge sur mon dossier en premier de couverture ne devait pas être assez gros.
« DIABETIQUE INSULINODEPENDANTE SOUS POMPE « 
La sage-femme qui me pose la sonde urinaire me dit gentiment le « PORTABLE » on va le laisser a monsieur.
Ah non c’est pas un portable c’est ma « POMPE A INSULINE« 
Bon ça passe ce n’est qu’une sage femme après tout.
Je décide donc de mon plein gré de débrancher ma pompe de mon cathéter (pour ceux qui ne connaissent pas cette pompe m’envoie de l’insuline en permanence mais si je saute un repas ou fais un effort je me retrouve en hypoglycémie sévère)
J’arrive au bloc ma pompe à la main et l’anesthésiste me dit « VOUS AVEZ EMMENE VOTRE MUSIQUE  » et là C’EST LE DRAME
Ils n’avaient pas vu que j’étais diabétique donc ils m’avaient mis du glucose en perfusion alors que mon corps ne tolère pas le sucre du coup changement en catastrophe et la il me dit « VOUS ALLEZ VOUS DEBROUILLER APRES POUR LES DOSAGES ET LE CATHETER NOUS ICI ON NE SAIT PAS FAIRE )
Vous avez déjà vu ça vous des médecins qui vous demandent de vous débrouiller heureusement que je m’y connais un peu quand même…
Et après une césarienne longue très longue parce que bébé était déjà engagé et mon col à dilatation complète.
Après la ventouse et les forceps le voilà enfin une merveille de 3kg 605 et 50 cm un magnifique petit BRETON prenommé KERIANN QUI MA FAIT EN 2 SECONDES OUBLIER TOUT LE RESTE
La naissance malgré tous ses aléas reste et restera la plus belle des choses du monde

#212 Printemps 2010, césarienne en urgence – Paris

2 Mar

Je m’apprête à devenir maman pour la première fois,
je suis si heureuse d’avoir cette petite vie qui pousse en moi.
La grossesse se passe à merveille, je suis suivie dans une maternité qui a bonne réputation à Paris.  Je suis des cours de préparation à la naissance qui sont en lien avec l’accouchement que j’envisages.
Plus ou moins médicalisé, un accouchement classique avec péridurale.
Durant cette grossesse, je travaille beaucoup et je ne prends pas vraiment le temps de m’intéresser à tout ce qui concerne la naissance.
Mon ignorance de primipare ne fera qu’accentuer les erreurs concernant certains choix….

J-7 je perds le bouchon muqueux

J-5 j’ai des contractions dans la nuit, j’appelle la maternité qui me dit que tant qu’elles ne sont pas toutes les 5 min, ce n’est pas la peine de venir. Au petit matin, elles finissent par s’arrêter.

J-4 dans la nuit, toujours ces contractions, nous décidons de partir à la maternité. En chemin, elles s’arrêtent. Je suis inquiète car on risque de ne pas me croire. On me pose un monito, il n ‘y a pas grand chose et je suis à 2.
On me renvoie chez moi à ma grande déception.
La journée se passe, je suis fatiguée mais je ne pense pas à me reposer.
Et pourtant, je suis loin d’imaginer la suite des événements…

J-3 dans la nuit, les contractions reviennent, je file dans mon bain où je reste trois bonnes heures à me tordre.
Finalement, nous partons à 5 h à la maternité.
En chemin, les contractions s’arrêtent au moment d’arriver.
Je suis en colère, je ne comprends plus rien.
Finalement, elles reprennent mais je suis épuisée à bout de force après ces trois nuits blanches ponctuées de douleur.

Je suis toujours à 2, je ne comprends toujours pas à quoi ça correspond. On décide de me garder. Puis, on me propose à 7h, la péridurale que j’accepte avec grand plaisir sans me douter du piège qui se referme sur moi.
Toute la journée, on va m’injecter du syntho, de la péri, du syntho… Mais le col s’ouvre trop doucement.
On me perce la poche des eaux, le liquide est très teinté.
L’apres-midi se poursuit, la sage-femme est quasiment absente, je ne la vois que 5min, le temps d’un toucher et de reinjecter du produit.

Puis, on commence à me mettre la pression, « ça ne va pas, ça n’avance pas »
« Il faut que votre col s’ouvre plus vite sinon, on va devoir intervenir… »
Ces mots résonnent et je prends peur mais je me sens impuissante face à cette situation. 15h, on me passe en salle de naissance, je reprends espoir, on me fait assoir pour aider bebe à descendre.
Nous sommes toujours aussi seuls dans cette salle.

Puis, je commence à avoir mal d’un côté, on me replace pour mieux diffuser le produit mais j’ai toujours mal et de plus en plus mal.
17h, je finis par les supplier tellement j’ai mal, l’anesthésiste m’écoute enfin et se rend compte que le cathéter est parti et que je ne suis plus sous péridurale.
La douleur devient insupportable, les contractions ne s’arrêtent plus, j’ai si mal!

18h, la gynécologue me dit qu’il faut partir en césarienne, que le col n’a pas finit de s’ouvrir, qu’on ne peut plus injecter de syntho car on m’a mis les doses maxi et que bebe a quelques décélérations.
Je comprendrais plus tard que c’était la fin de sa garde et qu’elle était en week-end une heure après.
Je n’entends rien, je suis ailleurs, complètement submergée par la douleur.
J’assiste à la tonte et au départ pour le bloc. À cet instant, je ne suis plus dans mon corps, je ne réagis plus, je n’entends plus, je suis ailleurs, dans une bulle.

Tout le monde s’agite et on me pose la rachi. Je commence à souffler, la douleur s’atténue. Je suis bouleversée par cette décision de césarienne, je ne m’y était pas préparée. Le monde s’écroule.
J ‘imaginais et espérant tant cette voie basse.
Je n’aurais jamais pensé que « moi », j’aurais une césarienne.
Je pleure de tristesse et personne ne s’en préoccupe.
Mon mari est exclut du bloc, pas de papa ici!
Je l’aperçois regarder par le hublot, ça me réconforte mais l ‘anesthésiste dira « mais quel voyeur! » Et il finira par être repoussé et installé derrière la porte à attendre.

L’opération commence, je suis tellement sous le choc que je n’entends pas les 1ers cris de mon enfant, c’est la sf qui me préviendra. On me montre ma petite, si belle, si rose.
Je n’arrive pas à être heureuse, on insiste pour que je l’embrasse mais je n’y arrives pas tellement la déception est immense.
Je me retourne et voit mon mari en larmes derrière la porte entrouverte.
Je n’aurais imaginé une si terrible rencontre. Je rêvais de partager ce moment si merveilleux dans la joie avec mon mari.
Cet échange de regard rempli d’amour me fend le coeur, je m’en veux de ne pas lui avoir offert cet instant magique qui à été un des pires de ma vie.

On me recoud et personne ne me prête attention, pourtant, je sanglote sans pouvoir m’arrêter, chacun évoque ses projets du week-end et moi, je ne suis rien.
Je suis engloutie par ce mal-être qui m’envahi et tout le monde s’en fiche.

Bebe sera pesé, mesuré, habillé sans oublier la vitamine k et le collyre.
On ne m’a pas demandé mon avis mais seulement si je voulais allaiter.
Je retrouve mon bebe mais je n’arrive pas à croire que c’est le mien.
On me l’a présenté comme un magicien sort un lapin de son chapeau.
On me le pose pour la mise au sein et la femme s’en va aussitôt. Je n’y arrive pas, je n’ai pas envie. Je suis sur une autre planète et je crois que je ne reviendrais sur terre que plusieurs moi après.

Les suites de couches sont très difficiles psychologiquement.
Je suis en chambre double sans pouvoir vraiment me reposer et avoir une intimité. Je n’arrive pas à allaiter mon enfant, j’ai des crevasses et un bebe qui ne cesse de pleurer. Je suis totalement désemparée face aux discours différents de chaque soignant.
Je craque, je pleure chaque jour. Personne n’a d’empathie pour moi, je me sens inexistante. J’ai cette impression d’être morte, je suis d’ailleurs un zombie qui erre sans pudeur dans sa chambre. La blouse d ‘hôpital laissant apparaître ce bon gros filet de maternite mais je m’en fout.
Je suis complètement déconnectée et ne réagit plus. Je suis dépendante, ne pouvant bouger qu’avec douleur.

Mon bebe ne tête toujours pas malgré tous les essais.
Je suis effarée de voir avec quelle violence on enfonce la petite tête si fragile de mon bebe dans mon sein pour qu’elle tête. Ce ne sont que des hurlements et je commence à ne plus supporter de voir mon nouveau- né dans cet état.
On me donne un tire-lait trois jours après la naissance. Elle passe donc au biberon de lait maternel.
Mais je veux allaiter et c’est la seule solution qu’on me propose.
Au bout de ces interminables journées au fond du gouffre, la sortie approche.
Je tire et remplis plusieurs biberons pour en avoir d’avance.
Car à la maison, je n ‘ai pas tout ce matériel.
À tel point que la montée sera si impressionnante que mes seins deviennent vite énormes, durs et tellement douloureux.
Il est impossible de mettre bebe au sein et je ne sais plus quoi faire.
Des que je tire, le sein devient de plus en plus dur. Je ne vois plus d’issue mais je ne veux pas laisser tomber.

Le lendemain, à j+6, j’ai la visite d’une sf à la maison.
Elle me donne de précieux conseils et tout son temps pour que ma petite puisse enfin téter. Au bout d’une bonne demi-heure à la stimuler tout en douceur, elle finit à ma plus grande joie par prendre le sein et ne le lâchera qu’après plusieurs mois.

De cette naissance, je me suis sentie abandonnée, pas écoutée, pas respectée.
J’ai eu une dépression qui a été très difficile à gérer.
Je pensais être épanouie mais j ‘ai été brisée par cette expérience.
À ce jour, je n ‘ai plus confiance dans le corps médical et c’est ce qui m’a poussé à vouloir une naissance naturelle pour mon second.
Malheureusement, les choses ne se passeront pas comme espéré….

– M.

#122 Premier accouchement – Picardie – 2011

18 Fév

Après (presque) neuf mois passés au chaud dans mon ventre, ma fille a décidé qu’il était temps de sortir et de découvrir le monde, à la fin mars 2011. Bébé de printemps. Soleil de ma vie. Ca n’a pourtant pas été une jolie journée. Aujourd’hui, je sépare le fait d’avoir accouché (ou plutôt, de m’être fait accoucher) et la naissance de ma fille. L’accouchement est un mauvais souvenir, la naissance de mon bébé restera un merveilleux souvenir.

Simple contrôle ?

Avec Chéri, nous allons, dimanche 20 mars à 14 heures, à la maternité pour un énième rendez-vous de contrôle (pour le niveau de liquide amniotique). Mon terme est au 28 mars, il reste encore huit jours à tenir ce rythme de consultations de contrôle tous les deux ou trois jours … mais je prends sur moi, c’est pour le bien de mon bébé, me dis-je. Il faut dire que pour être sûrs que je vienne, on m’a parlé de Mort foetale in utero (MFIU) Car malgré cinq gynécos qui n’ont jamais rien trouvé de suspect, celui qui me suivait et se permettait de faire des remarques sur la taille de mes fesses ou la fermeté de mes seins avait cru déceler un souci. Avec tout ça, je suis inquiète depuis mon réveil.

En arrivant, je signale à l’aide-soignante puis à l’interne de gynécologie (les sages-femmes sont débordées en salles de naissance) que mon bébé semble ne plus bouger depuis la veille et que c’est un peu inquiétant pour nous. Alors que l’aide-soignante prenait ça à la légère, l’interne remarque que le monitoring n’a effectivement révélé aucun mouvement actif, même si le cœur est très bien. Elle fait l’échographie, stimule Bébé dans tous les sens mais toujours pas de réponse. Le doppler est bon, le placenta n’a pas l’air en mauvais état pour le terme, elle ne comprend pas. Elle dit tout ça dans sa barbe mais j’entends bien qu’elle se pose des questions. Sans un mot en notre direction (faut pas déconner, on est juste les futurs parents), elle part chercher sa titulaire.

La gynécologue en chef arrive alors pour faire une deuxième échographie. Sans répondre à mon « bonjour » (je ne suis même pas sûre qu’elle a vu que Chéri est assis sur la chaise, en face). Elle stimule, n’obtient pas de réponse. Elle sort avec l’interne pour discuter dans le couloir. Sans un mot pour nous. Sans même me dire si je peux remonter mon pantalon et me lever. Je réalise que je ne connais même pas son nom, mais ce n’est pas ce qui me préoccupe le plus à ce moment-là. Bébé ne bouge toujours pas. L’ambiance est tendue et ni Chéri ni moi n’osons engager la conversation. Nous sommes tous les deux suspendus à la porte de cette petite pièce froide, qui devrait laisser entrer quelqu’un pour nous donner des explications. Non ? Le bureau vide, la table d’examen pas confortable, l’écran sur lequel figure la dernière image prise par l’échographie. Rien ne nous donne une quelconque explication, n’est-ce pas.

De longues minutes s’écoulent (combien ?) et c’est une sage-femme qui entre. Elle s’appelle L. Enfin quelqu’un qui a une identité dans ce service ! Elle me demande de me déshabiller, elle veut m’examiner. La gynécologue est entrée mais restée sur le pas de la porte. Je dois lui faire peur. L. m’examine donc, je me sens très mal à l’aise car la configuration fait que Chéri est assis juste derrière elle, la voyant donc m’enfoncer ses doigts dans le vagin. Mais le pire, c’est que la sensation est étrange par rapport à d’habitude. Disons qu’avec un toucher vaginal tous les trois jours depuis trois semaines (et un tous les mois depuis presque neuf mois), je commence à avoir l’habitude, et là c’est différent. J’ai mal, je lui dis, elle m’explique qu’elle a « bientôt fini ». Elle me fait vraiment mal. Et puis elle sort ses doigts d’un coup, regarde la gynécologue et lance : « Oh, elle a rompu ! » Sur le coup, je ne comprends même pas ce qu’elle dit (j’ai les pattes dans les étriers, je ne sens pas le liquide couler entre mes jambes), mais ce n’est pas si grave vu qu’elle ne s’adresse pas à moi.

Hospitalisation

« Vous ne repartez pas, la poche des eaux est rompue. » L’annonce est un peu brutale. En plus, il est 16 heures, j’ai faim, je n’ai rien mangé depuis le petit déjeuner car j’étais inquiète pour mon bébé, alors je rêve de repartir et de m’enfiler un pain au chocolat. L. nous indique la salle de pré-travail juste en face, pour refaire un monitoring. La gynécologue s’en va sans un mot.

Et là, je me sens mal, je ne supporte pas l’idée d’être hospitalisée. Je sens la crise de panique m’envahir, je fais appel à ma respiration yoga pour la contrer. L. m’installe le monitoring, Bébé se met enfin à bouger, elle sort en nous disant qu’elle va réserver une chambre individuelle (mon dossier stipule que je veux une chambre individuelle). Elle revient avec un bracelet d’identification pour moi et un papier pour noter les prénoms choisis pour Bébé, qu’il soit fille ou garçon. On lui précise qu’on a choisi de donner nos deux noms de famille à nos enfants, elle le note aussi. On a fait une reconnaissance anticipée (on se marie en août), ça évitera les erreurs dans l’orthographe de nos noms. Elle recopie scrupuleusement. Elle ne me demande pas comment je vais. Elle n’a pas un regard pour Chéri.

Quelques contractions apparaissent sur le monitoring, mais elles sont faibles. L. m’apprend que mon col est ouvert à « un doigt et demi des deux côtés », qu’elle a « tenté un décollement des membranes à la demande de la gynécologue » histoire de provoquer le sort car il avait été décidé que je serais « déclenchée demain à 8h30 ». Sympa de m’avoir prévenue. Je pensais même qu’il fallait mon accord pour un décollement ? Les membranes étant maintenant rompues, j’ai donc jusqu’à 8h30 le lendemain matin pour entrer en travail si je veux échapper au déclenchement. Je suis saisie à ce moment-là d’une angoisse terrible et je me mets la pression toute seule. L., elle, a de toute façon autre chose à faire que me rassurer, m’écouter, rester avec nous. Elle a déjà disparu dans le couloir qui mène aux salles de naissance.

Après le monitoring, une aide-soignante vient nous chercher pour nous conduire à la chambre qui m’est réservée. La chambre 19, juste en face du bureau infirmier. C’est une chambre bleue (il y a aussi des roses et des jaunes). Salle de douche privative avec toilettes, un lit, un fauteuil, une petite table et une chaise, un plan à langer muni d’une baignoire pour bébé. Le grand confort ! « Par contre, vous ne pouvez pas avoir la télé avant demain, vu qu’on est dimanche… » regrette l’aide-soignante. Sauf que là, j’ai tellement peur de ne pas entrer en travail que je me fiche royalement de ne pas pouvoir regarder Les Experts.

Il est 18h30, je n’ai rien avalé depuis le petit déjeuner ce matin et on me donne un plateau-repas digne d’un service de pédiatrie : pas d’entrée, de la purée et une tranche de jambon, un yaourt nature sans sucre, une pomme. « Il ne faut pas que vous mangiez trop, si jamais vous accouchez cette nuit ! » Mais bordel j’ai FAIM ! Je suis à jeun depuis longtemps là. J’avale le plateau-repas déjà froid, puis je décide d’aller dévaliser le distributeur de cochonneries situé au bout du couloir. Twix, Snickers, Kinder Bueno, barres de céréales en tout genre, je dépense une fortune mais je m’en fous : j’ai faim !

A 22h30, je suis convoquée au bloc obstétrical pour un nouveau monitoring. Bien sûr, j’ai pour consigne d’y retourner avant si le liquide amniotique se colore ou si je perds vraiment beaucoup de sang. Ou si le travail débute. Mais rien. Donc à 22h30, après avoir parcouru des kilomètres à pied dans le couloir en suppliant mon corps de se mettre en travail, Chéri et moi sommes de retour en salle de pré-travail. La sage-femme de nuit ne nous offre qu’un vague « Bonsoir », m’installe et repart. Elle a visiblement du travail par-dessus la tête. A la fin du monitoring, plat ou presque, elle m’examine, le col n’a pas bougé (« un doigt et demi ») et me renvoie en chambre. Elle rappelle à Chéri que les hommes n’ont pas le droit de passer la nuit sur place. Nous, naïfs que nous sommes, espérons qu’une petite largesse pourra lui être accordée car nous sommes à trois quarts d’heure de route de chez nous et je voudrais qu’il me tienne compagnie. Mais non. Il est environ 23 heures quand nous regagnons ma chambre et comme elle est en face du bureau infirmier ça n’échappe à personne : Chéri doit partir.

Solitude

Je pleure, je ne veux pas dormir seule ici. Et j’ai peur d’affronter l’inconnu sans lui. Je m’attends à une très longue nuit d’insomnie, seule dans cette chambre bleue. Je fais les cent pas pour que le travail débute. Je supplie Bébé de se décider à venir sans qu’on l’y oblige le lendemain matin. Je joue sur mon téléphone pour me détendre un peu. Je prends une douche. Je refais les cent pas. Je passe mon temps à supplier Bébé et à pleurer parce que ça ne bouge pas. Je surveille la couleur du liquide très souvent, priant pour qu’il ne se colore pas. Je finis par m’allonger inconfortablement sur mon lit, désespérée…

Chéri m’envoie un message pour me dire qu’il a pris une chambre dans un hôtel pourri pas très loin de l’hôpital. Il espère, lui aussi, être appelé dans la nuit pour cause de début de travail.

Vers 2 heures du matin, je ressens des contractions de plus en plus douloureuses et de plus en plus rapprochées. Elles me broient les reins. En allant aux toilettes, je constate que j’ai perdu pas mal de sang. Je décide de retourner voir la sage-femme de nuit. Avant de quitter ma chambre, j’envoie un SMS à Chéri pour lui signaler que j’ai mal et que je vais me faire examiner. J’espère secrètement que la sage-femme l’autorisera à revenir, car je ne supporte pas d’être seule. Je suis angoissée au plus haut point dans ma solitude forcée. J’emmène mon portable, mais pas de chance, il n’y a pas de réseau dans le bloc obstétrical car il est en sous-sol et, pour couronner le tout, ma batterie me lâche.

Je préviens l’équipe de nuit des suites de couches que je vais voir la sage-femme. L’une d’elles me demande si j’ai besoin de soutien pour traverser le couloir. Je décline gentiment et me plie en deux sur une contraction. « Ah ça fait mal hein ? Vous allez voir, c’est pas fini ! C’est normal, et vous en verrez d’autres dans les heures à venir. » Je la maudis silencieusement et me rends au bloc obstétrical en m’arrêtant pour deux contractions. Je les vois espacées de trois minutes.

La sage-femme, toujours la même qui ne dit pas bonsoir, est étonnée de me voir revenir. Elle me fait un monito qui montre effectivement une grosse contraction toutes les trois à quatre minutes. Elle m’examine et me dit toutefois que non, mon col n’a pas que très peu bougé, ce n’est « pas encourageant, on est à deux doigts ». Elle me demande de dormir et m’annonce qu’elle m’injecte « un produit pour aider votre corps » (plus tard, j’apprendrai que c’était de l’ocytocine de synthèse, que j’avais expressément refusée dans mon dossier en consultation de préparation à l’accouchement). Quand je lui dis que je me sentirais mieux avec Chéri à mes côtés, elle me répond : « Je ne vais pas l’appeler Madame, vu l’heure il doit dormir ! On lui a dit de revenir vers 8 heures, vous n’aurez pas accouché avant, ne vous inquiétez pas. » Mais je m’en fous ! Je ne veux pas rester seule. Cela dit, je n’arrive pas à parler pendant les contractions donc je me contente de la regarder méchamment entre deux puis de la regarder partir. Elle n’a pas laissé de temps pour que je lui parle.

Vers 4 heures du matin, la sage-femme vient me donner quatre gélules et un verre d’eau. Elle me trouve à quatre pattes, s’en étonne mais me dit simplement que je dois prendre les antibiotiques car la poche des eaux est rompue depuis douze heures. « Précaution d’usage. » Je lui réponds, entre deux contractions qui sont devenues vraiment intenses, que j’ai envie de vomir et que je n’arriverai pas à avaler quoi que ce soit. « Prenez-les, c’est pour votre bébé. Vous n’avez pas envie de faire du mal à votre bébé ? » Non, bien sûr. Et elle s’en va, éteignant la lumière et m’invitant à me « rendormir ». Gné ? Me rendormir ? Je prends mes quatre gélules avec beaucoup de difficulté, une à une pour ne pas me créer de haut-le-coeur, je manque de vomir à chaque gorgée d’eau. Mais j’y arrive. Je ne veux pas faire de mal à mon bébé.

Pendant ce temps, les contractions sont devenues si intenses que je ne pense même plus à Chéri. Je le voudrais avec moi quand je n’ai pas de contraction, mais pendant que j’en accueille une en me mettant à quatre pattes (seule position qui me convienne), j’oublie tout. Le monde autour n’existe pas. Mes reins sont broyés avec une force et une régularité incroyables. Au fond de moi, je sais que c’est parti, que je vais rencontrer mon bébé. Je suis dans la salle de pré-travail, seule, dans le noir, tout le monde pense que je dors et moi je passe mon temps à me mettre à quatre pattes et à retenir tous les sons qui se battent pour sortir de ma bouche afin de n’alarmer personne. Je sais que si la sage-femme revient, elle m’examinera et me médicalisera. Donc je prends sur moi.

Salle de naissance

8h30, Chéri me rejoint. Il m’annonce l’heure car je ne sais pas du tout où on en est de la journée. En plus il n’y a pas de fenêtre au bloc obstétrical (sous-sol oblige) donc je n’ai pas vu le soleil se lever. Chéri me raconte qu’il est allé dans la chambre 19 d’abord, s’est inquiété de ne pas m’y trouver et a eu peur car les infirmières lui ont dit que j’étais en salle d’accouchement. Je tremble de douleur, me mets à quatre pattes pour épargner mes reins, mais l’heure est venue de me faire examiner pour voir si l’on doit me déclencher. L., la même que la veille, réapparaît et, en me regardant, me dit que « le déclenchement devrait être inutile ». Elle me fait m’allonger sur le dos, je crie un peu de douleur, elle me demande de me taire et elle m’examine. Ca me fait horriblement mal, je lui dis, puis j’ai une contraction et j’ai l’impression qu’elle est dix mille fois plus douloureuse que toutes les précédentes réunies (ce que je ne sais pas, c’est que c’est uniquement parce que je suis allongée sur le dos …). L. m’annonce que mon col est dilaté à 4-5 centimètres et qu’il s’est totalement effacé.

Je me sens fière de moi, parce que j’ai géré et qu’à part le moment où elle m’a fait m’allonger sur le dos, je n’ai pas eu mal à en mourir. Mais elle trouve ça moyen et me demande de rester allongée le temps d’un petit monitoring. De toute façon, je suis désormais à moitié nue (le bas), je n’ai pas de drap, la porte de la salle est grande ouverte et si je me mets à quatre pattes, le couloir entier aura vue sur mon cul. Ca m’en passe l’envie. Elle me demande de manger, mais je lui dis que j’ai juste envie de vomir. Entre deux contractions, je la maudis, car la veille on m’a donné un plateau repas d’enfant alors que j’aurais eu besoin de forces. Toujours entre deux contractions, elle me propose une douche que je refuse. Enfin, elle me donne deux sachets individuels de sucre, que j’avale rapidement avant de sombrer à nouveau dans une douleur que je gère de moins en moins bien. Je ne veux plus qu’on me parle, je ne veux plus parler, et elle m’oblige à l’écouter et à lui répondre. J’ai juste l’impression qu’elle me torture.

Monitoring fini. « Il faut aller en salle d’accouchement. » Elle vient juste d’envoyer Chéri avec une infirmière pour qu’il mette une blouse et des sur-chaussures. Elle lui a aussi donné ma culotte et mon pantalon, pour qu’il les range… Ca ne la dérange pas de me demander de me lever et de marcher dans le couloir en étant à moitié nue. Je lui signale quand même. « Oh c’est bon, on en voit d’autres ! Je vais vous chercher un drap pour mettre autour de la taille. » On part donc en salle d’accouchement. Dans le couloir, je m’arrête une fois pour me pencher en avant pendant une contraction. C’est là que j’entends L. appeler l’anesthésiste pour « la salle 4 ». Et en arrivant dans la salle, je vois « salle 4 » sur la porte. Je lui dis que je ne veux pas de péridurale, que je veux pouvoir bouger. « Non, vous allez voir comment je vais vous installer, vous ne pourrez pas vraiment bouger. » Elle me demande de m’allonger sur la table d’accouchement et je me mets à pleurer de douleur, une douleur insupportable, quand mes reins sont à nouveau broyés par une contraction. Je suis allongée sur le dos, elle me place les sangles du monitoring, elle me perfuse le bras gauche (sans me dire ce qu’il y a dans la perfusion et je ne pense évidemment pas à demander, j’ai autre chose à gérer là) et me met le tensiomètre au bras droit. Elle rappelle l’anesthésiste. Je me sens terriblement seule dans cette douleur que je trouve insupportable. Je demande à bouger, elle me dit que je peux voir de moi-même que c’est impossible. Effectivement. Je me sens ligotée, entravée, étouffée. Elle me propose la péridurale à chaque contraction et me dit même que je ne tiendrai pas le choc, que j’ai besoin de dormir, que la péridurale me le permettra. Qu’elle a eu deux enfants et que même en étant sage-femme elle n’aurait pas su accoucher sans péridurale. Je finis donc par accepter.

Quand l’anesthésiste arrive, il se présente et je reconnais immédiatement l’accent (puis le nom) du machiste qui m’avait reçue en consultation. Je dois rester assise sans bouger, le dos rond. Pour l’occasion, L. a retiré le monitoring et le tensiomètre (trop aimable). J’assassine sa main à chaque contraction, mais elles sont redevenues plus gérables dans cette position. Il me badigeonne le dos, colle le champ stérile, anesthésie la zone où il va piquer (ça fait chaud dans mon dos), puis me dit qu’il va piquer. A part un craquement, je ne sens absolument rien. Seulement la sensation de froid qui me parcoure le bas du dos et les jambes. L. me dit que ça va vite aller mieux, que je prends les contractions dans les reins car mon bébé a son dos contre mon dos et que ça appuie très fort sur mes vertèbres. Moi, je pleure de douleur et surtout de déception. Je n’en voulais pas, de cette péri. Je pleure parce que je me trouve nulle et incapable.

Péridurale

10h30, la péridurale fera bientôt effet, je me suis rallongée et me retrouve à nouveau ligotée. Entretemps, je me suis entièrement déshabillée et le drap ne couvre que le bas de mon corps. J’ai des électrodes sur la poitrine en bonus. Hum, c’est pour quand l’opération chirurgicale ? Chéri revient à ce moment-là. Il a enfin le droit d’être avec moi, wahou ! Dommage pour lui, je fais une grosse chute de tension, puis je dors. Environ une heure. Et je perds la notion du temps. Pendant le travail, auquel je ne participe pas – laissant mon bébé vivre ça totalement seul –, je vais sans cesse être entre des phases de sommeil et des phases où… j’ai faim. Je veux un kebab, je ne pense qu’à ça (pourtant je n’aime pas ça et j’ai envie de vomir).

A un moment, L. vient m’examiner et me dit que je suis toujours à 5. Selon les schémas pré-établis en maternité, je devrais être à 7. « Je vais passer un produit dans la perfusion pour relancer le travail, la péridurale a dû l’arrêter. » Elle envoie Chéri manger un sandwich au rez-de-chaussée de l’hôpital car elle estime que je vais accoucher vers 13 heures (mais quelle heure est-il quand elle dit ça ?). J’en profite pour conclure un pacte de non-agression avec elle : je ne veux pas d’épisiotomie, je préfère une déchirure si elle doit se produire. Elle est d’accord. Quand elle s’en va, le monitoring montre de nouvelles contractions, très fortes et très peu espacées, mais heureusement je ne les sens pas celles-là.

Des gens vont se mettre à défiler dans la salle, sans dire bonjour et sans se présenter. Ils viennent prendre du matériel, sans un mot et même sans un regard vers moi. Ou vers nous, quand Chéri revient de sa pause repas. Après tout, tant mieux, vu que j’ai les seins à l’air ! Mais je suis frappée par cette exposition de mon corps à tant de monde, sans que ça n’interroge personne finalement. Je me sens terriblement mal – pour changer.

Lorsque les effets de la péridurale disparaissent, que les contractions recommencent à me broyer les reins, je lutte pour ne pas appeler tout de suite (pour une nouvelle injection). Je massacre un peu la main de Chéri, je lui dis quelques petites choses désagréables, je souffle, je finis même par pleurer. Mais je m’interdis d’émettre des sons, il ne faut pas déranger dans une maternité. En tout cas, vu le silence de mort qui règne dans le couloir, je me dis qu’il ne faut pas déranger. Et j’appelle. C’est un homme sage-femme qui vient me l’injecter (car L. est en train d’accoucher une autre femme, chez qui tout est allé plus vite). Il m’examine au passage, sait-on jamais.

L. revient peu après. Elle m’examine (pour la énième fois, je n’ai pas compté) et me dit, comme à chaque fois, que Bébé n’est pas encore tourné pour sortir dans la bonne position. Je ne sais même pas ce que ça veut dire, donc je ne relève pas… mais elle a l’air de commencer à s’inquiéter. Je suis à 8. Elle me fait essayer de pousser. Essai peu concluant, car je n’ai pas envie de pousser et je suis un peu endolorie par mes doses de péridurale. Puis elle doit repartir, une autre femme avance dans le travail…

« Ca passera pas »

Quand je rappelle pour dire que la péridurale ne fait à nouveau plus aucun effet, L. m’examine : « dilatation complète ! » Elle me demande si je veux ma troisième dose de péri ou pas, puisque ça met une trentaine de minutes à faire effet et que « je vais vous faire pousser dans vingt minutes ». Bon, ben non alors … si c’est chronométré à ce point … Grave erreur que de refuser ! Mais je ne le sais pas encore. L. repart, la femme d’à-côté doit pousser. Et puis elle accouche. Quand j’entends le bébé pousser son premier cri, ma réaction est assez violente : je crie moi-même à Chéri « qu’il ferme sa gueule, je veux le mien de bébé ! ».

Et puis vingt minutes se sont visiblement écoulées. Je ressens bien les contractions artificielles, je tremble à nouveau de douleur, je ne supporte pas du tout. Je suis broyée de partout. Mais je n’ai pas encore envie de pousser. Tant pis, « c’est l’heure, on s’installe. » Elle installe des sortes de repose-pieds et m’indique que je vais devoir tenir mes cuisses avec mes mains afin de les maintenir aux épaules pendant que je pousserai. Moi, je me sens très mal à l’aise dans cette position. Je ne me concentre que sur la douleur, je n’arrive pas à me concentrer sur la poussée. Pourtant, vient enfin une contraction « qui pousse ». J’en profite, je n’écoute pas L. et j’accompagne la contraction. En fait, je n’ai pas vraiment eu le choix. Bébé descend.

« Heu, par contre, ça ne passera pas là ! » lance L. à une aide-soignante. J’entends, mais elle ne m’adresse pas la parole ni même un regard et j’ai de toute façon trop mal pour avoir envie de poser une question. Elle explique à l’aide-soignante que le bébé n’a pas fini sa rotation et qu’il se présente mal, que ça ne passera pas dans le bassin mais que la tête y est déjà. Moi, je pleure de douleur, j’entends mais ne parviens pas à dire quoi que ce soit. Dans mon cerveau, défilent des peurs de bébé qui reste coincé et meurt en moi, des peurs de césarienne d’urgence. Chéri est assis sur un tabouret à ma tête, il me semble tellement loin … Moi, j’ouvre un peu les yeux et compte les personnes présentes. Quatre (sans nous compter nous). Qui sont-elles ? Que font-elles ici ? Pourquoi voient-elles mon cul et mon sexe ? Suis-je bien épilée, au moins ? Que vont-elles penser quand je vais pousser à nouveau et que des choses peu ragoûtantes vont tomber dans le sac poubelle placé sous la table, au ras de mon cul ? Je me sens affreusement mal.

L. recommence avec les ordres de pousser. Elle ne se fie qu’au monitoring, alors qu’il y a un décalage entre ce qu’il indique comme le début de la contraction et ce que je me prends dans le dos en réalité. Chaque fois, l’aide-soignante appuie de tout son poids (et elle n’est pas mince) sur mon ventre. Elle me fait horriblement mal et je ne pousse même plus. Toutes deux se fâchent et me disent que je vais avoir une ventouse si je ne pousse pas. J’explique donc, comme je peux entre deux contractions, que non seulement la position imposée ne me convient pas du tout, que j’aurais au minimum envie de me tenir à quelque chose de fixe plutôt qu’à mes propres cuisses, mais qu’en plus l’autre débile me fait atrocement mal quand elle met son poids sur moi, que j’ai l’impression d’étouffer. « Les autres ne se plaignent pas ! Poussez, sinon c’est ventouse, on n’a pas de temps à perdre. » Dans les larmes et la terreur, je tente en vain de pousser mon bébé dehors. « Ca passera pas, je le disais bien, il est pas tourné ce bébé », conclut L. en appelant la gynécologue de garde. Sans un regard pour moi. Sans un mot pour me rassurer ou tenter de sécher mes larmes. Je me sens tellement nulle, tellement inutile, tellement stupide. Je me dis que je pourrais partir et laisser mon utérus et mon vagin ici, que ça serait finalement bien mieux.

La gynécologue arrive, ne dit pas bonjour, ne se présente pas. Après tout, il y a déjà quatre personnes dans la salle, peu importe qu’une cinquième regarde entre mes cuisses ! Elle s’habille et se prépare, pendant que je pleure à chaque contraction et essaie de pousser mon bébé avant que la ventouse ne vienne l’attraper. Personne ne me parle, personne ne me soutient, personne ne me tient la main. On a relégué Chéri à un coin de la pièce, loin de tout. On me laisse seule pendant qu’on discute et je pousse pour rien, juste parce que j’ai peur de ce qui se passera quand on décidera enfin de me toucher et de faire sortir mon bébé à ma place. J’échoue à chaque poussée, évidemment. Je suis de toute façon tellement nulle que je ne sais pas accoucher ! Par contre, j’ai un sursaut et je crie littéralement : « Pas d’épisio ! » Ca étonne un peu les gens, mais la gynéco semble en prendre note dans sa tête.

Ventouse

Arrivée entre mes cuisses avec son débouche-chiottes, pardon : sa ventouse, elle me dit qu’elle va la poser sur la tête de Bébé et le faire tourner lors de la prochaine contraction (« il lui reste peu de chemin à faire mais il doit fléchir sa tête ») afin que je le sorte moi-même ensuite. Marché conclu. La contraction suivante est une horrible torture. Déjà parce qu’elle fait mal, mais en plus parce que je me retrouve à nouveau avec la débile sur mon ventre, qui m’étouffe, et parce que je sens mon bébé tourner en moi. J’ai l’impression qu’on est en train de m’écarteler et de me faire vriller le bassin en même temps. C’est affreux, je veux juste mourir. Tuez-moi tout de suite et sortez cet enfant de mon corps qui, incapable de faire ce que des millions de femmes font seules, ne sait pas l’expulser sans vous et vos instruments.

Fière d’elle, la gynéco annonce que sur la prochaine poussée je devrais y arriver car Bébé est en position. Mais elle ne retire pas la ventouse, au cas où, donc elle doit la tenir même sans tirer dessus. Chéri se lève de son tabouret, l’aide-soignante dégage de mon ventre et la gynéco se prépare avec L. à accueillir la tête de Bébé. Chéri veut regarder. Il assiste donc, à la poussée suivante, à l’arrivée de la tête du bébé avec une ventouse collée aux cheveux. Longtemps, il mimera la naissance de sa fille comme il mimerait le débouchage des toilettes publiques… Finalement, je sors mon bébé en deux poussées. Avec un « Oh t’as vu L., la tête a explosé l’hymen ! » Je refuse de l’attraper quand L. me le propose, je veux seulement que ça finisse. Je n’ai pas le sentiment d’être en train d’accoucher et de sortir mon bébé, mais juste d’être à l’abattoir devant des charognes prêtes à bouffer ma carcasse quand ce sera fini. Je vois alors arriver mon bébé sur mon ventre.

Il est 16h28. Je ne comprends pas vraiment ce qui m’arrive, mais je pleure de bonheur (et de soulagement) et j’appelle « mon bébé, mon bébé, mon bébé ». Bébé crie un peu et tousse. Ses yeux s’ouvrent, je plonge mon regard dans le sien. Je suis complètement ailleurs, je ne me rends compte de rien. Finalement, je demande le sexe de Bébé à Chéri, car il a regardé avant de couper le cordon. Mais il ne me répond pas. Il pleure, trop ému. Il pleure de joie, d’avoir vu sa fille naître. Je dois lui demander trois fois, au moins, avant que L. ne le réveille et lui demande de me répondre. Et je dis alors bonjour à J. A ma fille, toute brune, toute chaude, qui crie sur moi, contre ma peau.On me la retire immédiatement, pour la peser, la laver, l’habiller. Chéri reste avec elle, c’est dans la même pièce mais un peu à l’autre bout et je me retrouve à nouveau seule avec L.. Les spectateurs sont partis.

Délivrance… artificielle

L. tire sur le cordon ombilical, le placenta ne vient pas. Je n’ai pas de nouvelles contractions, ma fille n’a que cinq minutes de vie… Elle enfile un gant et va donc le chercher à la main. Je hurle de douleur (et de surprise ?). Elle finit ce qu’elle a à faire et je lui demande si tout va bien car dans ma tête, ce geste est signe que je fais une hémorragie et qu’il faut vite retirer le placenta. « Oui, très bien, mais je n’ai pas le temps d’attendre qu’il vienne seul, je dois partir à-côté. Comme je dois vous faire deux ou trois points dans la muqueuse, je préfère le faire maintenant donc je retire le placenta ! » Ok, juste tu pouvais prévenir, quitte à faire de la boucherie.

Chéri fait le premier câlin à sa fille, les larmes sur les joues, pendant qu’elle me recoud. J’ai donc échappé à l’épisiotomie, mais j’ai quelques points « dans la muqueuse ». Très serrés, ils me feront pleurer de douleur durant plus de dix jours. Je récupère ma fille, j’espérais un peau-à-peau mais elle est déjà emmitouflée dans son pyjama. « Elle n’a même pas la marque de la ventouse tellement vous avez été efficace, personne ne pourrait croire qu’elle en a eu une », me dit fièrement L.. Moi, j’ai juste envie de m’enterrer vivante en songeant à ce que je viens de faire subir à ma fille, et encore aujourd’hui j’ai honte de dire que ma fille a été ventousée.

On m’installe pour la première mise au sein. J. trouve tout de suite et le prend en bouche pour téter. Je la regarde, le monde autour n’existe pas du tout, Chéri nous prend en photo et je ne m’en rends même pas compte. Ma fille tète. Drôle de sensation, magique et bizarre, que de voir et de sentir mon bébé chercher quelque chose à boire dans mon sein droit. J’adore. Ma fille, désirée et attendue, la chair de ma chair, le petit être qui fonde ma famille. Ma fille, ma princesse, ma belle. Je l’aime. On m’a pris ma dignité et mon humanité, mais pas mon amour pour ma fille. Personne ne me le prendra jamais.

Le séjour a été un cauchemar. Fait d’oppositions au personnel sur le thème de l’allaitement maternel et des bains, puis d’un passage en néonatologie et de conséquences terrifiantes de mon entêtement à allaiter ma fille malgré le désir de biberons du personnel. Le mépris et l’humiliation ont été les maîtres mots de mon passage dans ces deux services.

Anonyme